Déposé le 16 septembre 2013 par : Mmes Cukierman, Assassi, M. Favier, les membres du Groupe communiste républicain et citoyen.
Après l’article 17
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le titre II du livre Ierdu code civil est complété par un chapitre VIII ainsi rédigé :
« Chapitre VIII
« Du changement d’état civil des personnes transidentitaires
« Art. 101-1.– La transidentité concerne la personne dont l’expérience intime et personnelle de son identité ne correspond pas à la mention du sexe à l’état civil. Elle comprend la conscience personnelle du corps, qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres, et d’autres expressions d’identité, y compris l’habillement, le discours et les manières de se conduire.
« La procédure est gracieuse et ne nécessite pas d’avocat.
« Les modifications d’état civil par jugement, acte administratif ou autre procédé usuel et régulièrement obtenues à l’étranger, sont opposables en France, sur simple production des documents avec traduction certifiée conforme.
« Pour les étrangers titulaires d’un titre de séjour, une modification ordonnée en France ou à l’étranger, par voie judiciaire, administrative ou autre procédé usuel, fonde le changement des mentions de sexe et de prénoms sur le titre de séjour, même si l’acte originaire étranger n’a pas été modifié.
« Les droits et obligations vis-à-vis des tiers, antérieurs au changement, ne peuvent s’éteindre suite au changement.
« Les changements opérés s’appliquent à l’ensemble des actes d’état civil et documents administratifs concernant la personne.
« Sans préjudice des dispositions de l’article 101, les actes reposant sur l’acte d’état civil doivent, sous peine de l’amende édictée à l’article 50, intégrer le changement à la date de dépôt de la demande.
« L’information aux tiers concernés et la rectification de tout document administratif ou contractuel, jugement, acte notarié, attestation de travail, statut, mandat, diplôme, donnée informatisée, et autre information concernant l’intéressé sont effectuées sous trois mois suivant la date du changement. Nul ne peut s’y opposer. Les nouvelles pièces d’identité et le nouveau numéro d’inscription au registre sont établis à bref délai. Les régimes obligatoires et les organismes d’état sont également informés, avec l’obligation de procéder aux changements nécessaires à bref délai.
« Le changement des mentions de sexe et de prénoms à l’état civil est sujet à l’article 9 du présent code. En conséquence, dans le cadre de rectification de l’article 101-2, l’ancien acte de naissance est intégralement rectifié et les nouvelles mentions sont déclaratives pour l’ensemble des autres actes d’état civil concernant la personne. Les actes d’état civil antérieurs à la promulgation de cette loi sont modifiés en conséquence.
« Dans le cadre du changement d’état civil prévu à l’article 101-3, les modifications sont portées en marge des actes d’état civil en tant que mention. Ces mentions marginales ordonnées conformément à l’article 101-3 ne doivent en conséquence faire état directement ou indirectement de la transidentité de l’intéressé.
« Art. 101-2.– La rectification des mentions du sexe et des prénoms est de la compétence du ministère public.
« La demande est gracieuse. Le formulaire de demande et les instructions sont mis à disposition de toute personne sur simple demande.
« La demande est accompagnée, au seul choix de la personne :
« 1° Soit d’un acte de notoriété témoignant de la vie de la personne correspondant aux mentions de sexe et de prénoms demandés ;
« 2° Soit de cinq documents qui attestent de la réalité d’une telle vie ;
« 3° Soit de deux attestations de personnes capables témoignant de la réalité d’une telle vie ;
« 4° Soit d’un compte rendu opératoire d’un chirurgien établi en France ou à l’étranger ou d’une attestation d’un endocrinologue ou d’un autre médecin établi en France ou à l’étranger attestant du parcours de la personne.
« Ces éléments sont réputés de bonne foi.
« En cas de doute réel et sérieux sur la bonne foi des éléments produits, le ministère public peut saisir le président du tribunal de grande instance, qui est tenu à statuer à bref délai sur ceux-ci.
« Le juge peut ordonner toute mesure de constatation utile sur la bonne foi de ces éléments.
« Sur production de ces éléments, le ministère public ordonne sous trente jours à l’officier d’état civil compétent de procéder à la rectification des mentions du sexe et des prénoms à tout acte d’état civil concernant l’intéressé. Passé ce délai, la demande est réputée acceptée.
« Dans les quinze jours de la date à laquelle elle est acceptée ou réputée acceptée, la rectification des mentions d’état civil est transcrite sur les registres de l’état civil à la requête du procureur de la République.
« L’acte rectifié énonce le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’intéressé ainsi que les prénoms tels qu’ils résultent de la demande acceptée de rectification de sexe, les prénoms, noms, date et lieu de naissance, profession et domicile des parents. Il ne contient aucune indication relative au sexe et aux prénoms figurant sur l’acte de naissance originaire et le cas échéant, l’acte de naissance établi en application de l’article 58.
« L’acte rectifié tient lieu d’acte de naissance d’origine de l’intéressé.
« Lorsque l’intéressé est né à l’étranger, la rectification est effectuée sur les registres du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères.
« Le lien de filiation par descendance ne subit aucune altération. Une version de l’acte de naissance de l’enfant comportant les nouveaux prénoms et le sexe correspondant du parent est délivré afin d’assurer un exercice effectif de l’autorité parentale.
« Le lien de filiation par ascendance est modifié pour correspondre aux mentions de sexe et de prénoms à l’état civil.
« Art. 101-3.- Avant ou pendant la procédure prévue à l’article101-2, si la personne concernée l’estime nécessaire, elle peut saisir par voie de référé, le juge compétent qui peut, en application de l’article 9 du présent code, prendre toutes mesures conservatoires urgentes pour prévenir les atteintes à la vie privée de la personne. Il peut en conséquence ordonner, à la demande de la personne, la modification des mentions du sexe et des prénoms à l’état civil.
« La requête est motivée par les risques d’atteinte à la vie privée et de discrimination. Elle est réputée de bonne foi.
« Le juge ordonne à l’officier d’état civil compétent de procéder à l’apposition d’une mention marginale désignant le nouveau sexe et, le cas échéant, les prénoms à tout document d’état civil concernant l’intéressé.
« Sans préjudice des dispositions de l’article 101, les actes reposant sur l’acte d’état civil doivent, sous peine de l’amende édictée à l’article 50, intégrer le changement à la date de dépôt de la demande. »
II. – La loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifiée :
1° Le premier alinéa de l’article 8 est ainsi modifié :
a)Après le mot : « ethniques, », sont insérés les mots : « la transidentité » ;
b)Il est ajouté une phrase ainsi rédigée : « Dès lors qu’il s’agit de la transidentité, ces règles s’appliquent aux données d’état civil ou issues de celles-ci. » ;
2° Le premier alinéa de l’article 40 est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Les données issues directement ou indirectement de l’état civil modifiées par l’article 101-1 et suivants du code civil sont considérées comme périmées et sont remplacées ou supprimées à la demande de la personne concernée. Nul ne peut s’y opposer. »
Une Loi sur l’égalité homme-femme ne serait pas complète sans traiter la question du changement des mentions de sexe et de prénoms à l’état civil pour les personnes transidentitaires.
En effet, selon la Directive 2006/54/CE : La Cour de justice a considéré que le champ d’application du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes ne saurait être réduit aux seules discriminations fondées sur l’appartenance à l’un ou l’autre sexe. Eu égard à son objet et à la nature des droits qu’il tend à sauvegarder, ce principe s’applique également aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe d’une personne.
Il est établi que, sans changement des mentions de sexe et de prénoms, l’état civil devient très rapidement vecteur de discrimination, de marginalisation et de précarisation des personnes transidentitaires, soit directement via les actes d’état civil, soit indirectement via les pièces d’identité, le NIR (numéro de Sécurité sociale) et d’autres dérivés de l’état civil.
Loin donc d’être une simple formalité administrative, la capacité de changer les mentions du sexe et des prénoms correspondant à l’état civil est l’enjeu clé dans la protection des personnes trans et la garantie de la décence de leurs conditions de vie.
Selon la CNCDH, dans son avis du 27 juin 2013 : « La CNCDH est par ailleurs consciente de la situation très précaire des personnes transidentitaires en France, victimes de discriminations et d’exclusion sociale. Le droit, non seulement n’est pas suffisamment protecteur pour ces personnes, mais contribue aussi à les maintenir pendant de nombreuses années dans une situation de grande vulnérabilité sociale. C’est pourquoi la CNCDH estime nécessaire une refonte de la législation française concernant… le processus de changement de sexe à l’état-civil. Les questions abordées, dont l’enjeu est d’améliorer la lutte contre les discriminations et de défendre le principe de l’égalité́ devant la loi, apparaissent pleinement et étroitement liées à la promotion des droits fondamentaux. »
Par ailleurs, le changement de la mention du sexe à l’état civil est depuis 1992, suite à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, le seul et unique changement d’état civil régi par le respect dû à la vie privée (Articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne). Or, on chercherait en vain aujourd’hui dans le Code civil un Article sur le changement de la mention du sexe à l’état civil ou sur un changement d’état civil dans le respect de la vie privée, y compris dans l’urgence.
Les dégâts les plus importants de ce vide législatif sont humains, apparents dans les pratiques jurisprudentielles actuelles de modification d’état civil. La procédure est longue (entre trois et neuf ans après le début de la transition), coûteuse, douloureuse, humiliante. Pendant tout ce temps, les personnes ne peuvent bénéficier d’aucune protection de leur intimité perdant ainsi bon nombre d’autres droits, en plus du risque important de marginalisation et de précarisation. Le résultat à l’état civil, qui trace le parcours transidentitaire de la personne via des mentions marginales très explicites, les expose à des violations d’intimité pour le restant de leurs vies. Et quand ces personnes sont fragilisées et marginalisées, c’est tout un tissu social - leurs enfants, leurs conjoints ou ex-conjoints, leurs parents, leurs frères et sœurs, leurs entourages – qui en subit le choc.
Enfin, en l’absence d’une loi, les tribunaux sont libres d’interpréter comme bon leur semble une intention législative jamais explicitée. La disparité importante entre juridictions – de fond ou d’appel – dans cette interprétation est en effet frappante que ce soit en termes d’exigences de chirurgie ou de divorce préalables, d’expertises, d’éléments de preuve, de procédure. Le résultat est une loi locale, prétorienne, propre à chaque juridiction, où l’égalité de traitement sur le territoire français ne peut être respectée. La République en ressort ainsi affaiblie.
Son inclusion dans cette loi s’en trouve en conséquence indispensable.
Notre amendement propose un nouveau chapitre du Code civil afin de cadrer le changement de ces mentions. Il permet, un changement des mentions à l’état civil démédicalisé si la personne le souhaite et déjudiciarisée, conformément aux recommandations de la CNCDH. Il s’appuie notamment sur le Ministère Public qui met à disposition des formulaires permettant une rectification intégrale rapide dès lors que certains critères spécifiques sont remplis. Ce changement permet une protection complète – l’acte de naissance concernant la personne est rectifié, sans mention du changement (à l’instar du système qui existe en France pour l’adoption plénière) et les autres actes d’état civil concernant la personne sont modifiés également.
Cette étape pouvant prendre un certain temps et le droit à la protection de la vie privée de la personne concernée ne pouvant attendre, il est prévu aussi dans cet amendement, si la personne le souhaite, qu’elle puisse avoir recours par voie de référé au juge compétent en matière de protection de la vie privée, qui prendra toutes les mesures nécessaires à cette fin.
Ce dispositif permet également de pallier à l’inconvénient majeur de la procédure d’homologation judiciaire telle que recommandée par la CNCDH. En effet, l’obligation d’homologation, avec passage obligatoire devant le juge, n’offre pas les garanties nécessaires à la protection de la vie privée durant le temps nécessaire à cette homologation qui pourra prendre un certain temps.
Cet amendement reprend par ailleurs la définition de la transidentité retenue par les principes de Jogyakarta, référence internationale sur le sujet et cité dans l’avis de la CNCDH.
Il permet également le changement d’autres documents nécessaires pour la vie quotidienne, afin de concilier notamment intimité et preuve d’autorité parentale.
Il est applicable également aux personnes intersexuées qui souhaitent rectifier les mentions de sexe et de prénoms à l’état civil.
Enfin, il propose une modification à l’article 8 de la loi informatique et libertés, afin d’expliciter la prise en compte de la transidentité comme donnée dite « sensible » et à l’article 40, afin de permettre une meilleure protection des données issues de l’état civil pouvant révéler la transidentité ou le parcours transidentitaire de la personne.
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