Amendement N° COM-1 (Adopté)

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la moselle du bas-rhin et du haut-rhin

Déposé le 5 juin 2014 par : M. Reichardt.

Photo de André Reichardt 

Après l’article 8, il est inséré un article 9 ainsi rédigé :

I. – L’article 225 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle est complété à la suite du premier alinéa par les mots :

« … conformément à ce qui est précisé à l’article 226 alinéa 2 ».

II. - L’article 226 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle est complété par un second alinéa ainsi rédigé :

« A l’exception de la passation d’un acte de gré à gré translatif de propriété, toutes les décisions, notamment la réalisation d’une expertise, la vente d’un bien aux enchères publiques, l’attribution directe, avec ou sans soulte, d’un bien sans tirage au sort de lots, prises par lesdites parties intéressées, présentes et capables, s’imposeront aux non-comparants, régulièrement convoqués, dès lors que ces derniers auront été informés, préalablement, des propositions des comparants et des conséquences de leur non-comparution.»

Exposé Sommaire :

Les auteurs du Code civil ont envisagé l’indivision, situation dans laquelle plusieurs personnes sont concomitamment titulaires de droits de même nature sur un même bien, comme éminemment temporaire. Ainsi, l’article 815 dudit code énonce que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué ». Ce partage, qui met fin à l’indivision, peut être amiable et nécessite alors l’accord de tous. Ce cas de figure idéal ne se rencontrant malheureusement pas toujours, l’article 840 du même code dispose que « le partage est fait en justice lorsque l’un des indivisaires refuse de consentir au partage amiable (…) ».

Si la situation est compliquée lorsque les parties sont en désaccord, elle peut être bloquée lorsque l’un des indivisaires refuse purement et simplement le dialogue, lorsqu’il reste taisant et inactif.

La représentation nationale a, dans un passé récent, pris toute la mesure de ce problème.

La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a apporté une solution innovante reposant sur un mécanisme de représentation forcée. Ainsi, l’article 841-1 du Code civil dispose que « si le notaire commis pour établir l’état liquidatif se heurte à l’inertie d’un indivisaire, il peut le mettre en demeure, par acte extrajudiciaire, de se faire représenter. Faute pour l’indivisaire d’avoir constitué mandataire dans les trois mois de la mise en demeure, le notaire peut demander au juge de désigner toute personne qualifiée qui représentera le défaillant jusqu’à la réalisation complète des opérations ». Une fois le représentant nommé par le juge, le représenté ne pourrait plus s’opposer au partage amiable, quels que soient les biens qui lui seraient attribués et il serait alors définitivement privé de tout pouvoir de décision.

D’éminents auteurs, notamment Monsieur Eric SANDER, secrétaire général de l’Institut du Droit Local Alsacien-Mosellan, de même que le Comité d’Etudes Juridiques du Conseil Interrégional des notaires des Cours d’appel de Colmar et de Metz, enseignent que cet article 841-1 du Code civil et ses dispositions d’application contenues dans le Code de procédure civile ne sont pas applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

En effet, dans ces trois départements, la procédure de partage judiciaire est régie par les dispositions du titre IV de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Or le mécanisme de représentation forcée de l’article 841-1 du Code civil n’a pas été intégré dans le corps de cette loi du 1er juin 1924.

Cette intégration n’est d’ailleurs pas nécessaire dans la mesure où la procédure de partage judiciaire de droit local, dirigée par un notaire, connaît un dispositif spécifique de nature à passer outre l’inertie de l’un des copartageants. En effet, l’article 225 alinéa 1er de la loi de 1924 fait obligation au notaire, lorsqu’il convoque les copartageants, de les avertir « qu’au cas de non-comparution, les absents sont présumés consentir à ce que l’on procède au partage et que le partage sera obligatoire pour eux malgré leur non-comparution ». Tel qu’il a toujours été interprété, ce texte signifie que les non-comparants se trouvent liés par les décisions qui sont prises par les parties présentes lors des débats. Cette règle sanctionnerait le désintérêt du non-comparant pour la procédure en présumant son accord.

Pour la doctrine classique, les décisions des comparants sont pleinement opposables aux non-comparants. Il en va ainsi pour toutes décisions et notamment l’attribution directe de biens sans formation de lots et sans tirage au sort. Les non-comparants sont donc présumés consentir au mode de partage proposé qui devient alors obligatoire pour eux.

Cette position doctrinale n’a pas été suivie dans certaines décisions jurisprudentielles. La Cour d’appel de Metz, notamment, dans un arrêt très remarqué du 17 octobre 1984 a retenu une solution dénuée de toute ambiguïté : pour que le partage puisse être réalisé par voie d’attribution, qui serait un mode dérogatoire par rapport au tirage au sort de lots, le consentement de tous les copartageants est nécessaire, donc également celui des non comparants.

Cette interprétation des textes de la loi d’introduction du 1er juin 1924 réduit considérablement l’efficacité et l’intérêt de la règle inscrite à l’article 225. Grâce à elle, les comparants aboutiront certes au partage, mais il s’agira d’un partage empreint d’aléa, fruit du hasard, dépendant d’un tirage au sort. Quelle satisfaction pour les comparants ! Belle réussite pour le non-comparant dont l’indifférence était teintée d’intention de nuire !

Cette interprétation place ainsi la procédure de partage judiciaire de droit local en état d’infériorité par rapport à celle de droit général et pénalise dès lors les copartageants en relevant. En droit général, la personne qualifiée, désignée par le juge sur le fondement de l’article 841-1 nouveau du Code civil, pour représenter la personne défaillante pourra convenir d’un partage sans tirage au sort susceptible de satisfaire les parties comparantes sans pour autant porter préjudice à la partie défaillante. En droit local, le partage, procédant nécessairement au tirage au sort, risquera fort de ne satisfaire personne !

Or le mécanisme de l’article 225 de la loi de 1924 est pleinement satisfaisant dès lors que l’on adopte une autre lecture des textes.

Le présent amendement repose sur trois idées.

La première idée est qu’il faut revenir à l’interprétation de l’article 225 de la loi du 1er juin 1924 telle qu’elle était proposée par la doctrine classique, d’autant plus que la solution ci-devant énoncée de la Cour d’appel de Metz procède d’une analyse des textes juridiquement contestable.

La deuxième idée est que, malgré tout, les non-comparants ne peuvent être laissés sans un minimum de protection. Mais, il est possible de revenir sans aucun frein à l’analyse de la doctrine classique dès lors que la protection des non-comparants s’opère différemment, notamment par une information suffisante. Cette exigence d’information des non-comparants a déjà été posée par la Cour d’appel de Colmar, dans un arrêt du 27 avril 1976, énonçant que les non-comparants ne pouvaient être liés par un partage décidé par les seuls comparants que dans la mesure où ils avaient été avertis des conséquences de leur non-comparution et dans la mesure où les conditions du partage avaient été portées à leur connaissance préalablement. Dès lors que le copartageant, régulièrement convoqué, suffisamment informé à la fois des conséquences de sa non-comparution et des propositions de ses cohéritiers, décide de n’être ni présent ni représenté, ne doit-on pas sanctionner son indifférence ou son inertie ou au moins présumer son accord ? Au nom de l’efficacité de la procédure locale, l’opposabilité aux non-comparants des décisions prises lors des débats ne doit pas dépendre de la nature de la décision, mais du niveau suffisant d’information des non-comparants. Il appartiendra au juge chargé d’homologuer le partage de contrôler la régularité de la convocation aux débats (sans quoi le non-comparant ne peut être traité comme tel) et la suffisance de l’information.

La dernière idée est qu’il faut tout de même fixer une limite à l’opposabilité aux non-comparants des décisions prises par les parties présentes lors des débats. Les décisions relatives à l’orientation de la procédure, une expertise par exemple, et celles relatives aux modalités de partage, doivent pouvoir lier les non-comparants. Il doit en aller de même des décisions de vente d’un bien indivis aux enchères publiques, hypothèse dans laquelle les non-comparants auront toujours la possibilité de participer aux enchères pour se voir, s’ils le souhaitent, attribuer le bien en question. Mais les comparants ne doivent pas pouvoir imposer aux non-comparants une vente de gré à gré qu’ils auraient conclue seuls. Une telle possibilité serait incompatible avec la protection constitutionnelle ou supranationale du droit de propriété. Elle serait par ailleurs difficilement praticable.

Le présent amendement a pour objet de clarifier l’un des outils emblématiques de la procédure de partage judiciaire de droit local afin de permettre, tout en conservant ses mécanismes fondamentaux, d’atteindre pleinement les objectifs ayant conduit au vote de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Il résulte d’un vœu adopté par le XIème Congrès interrégional des notaires des Cours d’appel de Colmar et de Metz, le 19 octobre 2012 et de l’approbation unanime de la Commission d’Harmonisation du Droit privé lors de sa séance du 21 décembre 2012.

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