Interventions sur "génocide"

19 interventions trouvées.

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

Nous sommes invités à nous prononcer sur la proposition de loi de Mme Valérie Boyer visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 22 décembre 2011. Ce texte tend à punir d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende les personnes qui contestent ou minimisent de façon outrancière, publiquement, l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide, reconnus comme tels par la loi française. En l'état du droit, le dispositif s'appliquerait aux personnes qui conteste...

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

..., même limitée à une flétrissure ». Or une déclaration d'inconstitutionnalité de la loi du 29 janvier 2001 serait un recul pour les rescapés de 1915 et pourrait être regardée comme une victoire par les négationnistes - ce que notre commission ne peut pas accepter. Si, en l'état du droit, seule la négation de la Shoah est susceptible de donner lieu à des poursuites pénales, les rescapés d'autres génocides ne sont pas pour autant dépourvus de voies de recours contre les propos négationnistes. Diffamation, injure raciale ou religieuse, provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine sont passibles de sanctions pénales - l'apologie des génocides et crimes contre l'humanité l'est également. Par ailleurs, de te...

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

La Shoah a été reconnue en droit international et par la communauté internationale - il ne s'agit pas d'une loi du vainqueur. La situation juridique n'est pas identique ici. Ceux qui souhaitent l'adoption de la proposition de loi peuvent répondre qu'en 2001, le législateur a voté un texte sans conséquence juridique. Mais toute loi doit avoir une application ; et la reconnaissance du génocide peut prendre d'autres formes qu'une loi. Ceux qui soutiennent la proposition de loi veulent en fait affirmer haut et fort que le génocide a existé et qu'il faut que cette reconnaissance emporte des conséquences sur le plan pratique. Nous sommes conscients des conditions dans lesquelles se déroule ce débat, relancé par le président de la République à quelques semaines de l'élection présidentie...

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Je voterai la motion d'irrecevabilité en reprenant, au-delà des problèmes posés par la précipitation dans le dépôt de ce texte, plusieurs des arguments avancés par le Président Sueur. Il ne saurait être question de nier le génocide arménien, mais je partage son raisonnement sur les risques d'inconstitutionnalité liés en particulier au non-respect du champ d'intervention du législateur. Contrairement à la loi Gayssot qui pouvait trouver des fondements dans le droit positif, la présente proposition représente un véritable détournement de la fonction législative. Elle constitue aussi une menace pour le travail des chercheurs, ...

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

...ortée de l'article 34 de la Constitution mais, pour notre part, nous considérons qu'il ne revient pas au législateur de se prononcer sur des événements historiques, et nous partageons l'ensemble des motifs invoqués par le Président Sueur. Par ailleurs, faire revenir ce texte ne contribue en rien à la réconciliation entre ces deux peuples dont l'histoire douloureuse a notamment été marquée par ce génocide dont nous ne contestons nullement l'existence. L'adopter ne donnerait décidément pas une belle image de notre République.

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

... la loi de 2001 fasse l'objet d'une question prioritaire de constitutionalité (QPC) qui constaterait l'existence d'une difficulté, auquel cas nous pourrions aussitôt déposer une proposition de résolution destinée en quelque sorte à remplacer cette loi. Nous avons en effet, avant tout, besoin de savoir à quoi nous en tenir sur la valeur des textes et leur applicabilité, d'autant plus qu'au-delà du génocide arménien nous risquons d'être sollicités par d'autres communautés. D'une façon générale, ce débat provoque un malaise car il est l'objet d'un certain nombre de non-dits, à commencer par celui lié au risque d'une forme de hiérarchisation des différents génocides, ce qui serait un non-sens, puisqu'un événement est un génocide ou il ne l'est pas. En m'inspirant d'un article écrit par une de nos col...

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

En tant qu'historienne, je travaille sous le véritable diktat de la loi Gayssot imposée par les différentes communautés qui ne cessent de nous dire comment l'on doit écrire l'Histoire. Mon maître Pierre Vidal-Naquet, dont la famille a disparu dans les camps, s'était élevé, à l'époque, contre la loi Gayssot. S'agissant du génocide arménien en particulier, je rappelle qu'il a toujours été nié par la Turquie, et que les archives de l'Empire ottoman sur les Arméniens et les Juifs ne sont pas ouvertes. Mais, quand j'ai rédigé ma thèse sur la période 1908-1920, j'ai vu voir de nombreux documents qui attestent de la réalité du génocide arménien. Mais l'essentiel aujourd'hui est que les Turcs eux-mêmes règlent cette question avec...

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

...noncée en faveur de la proposition de loi déposée par notre collègue Serge Lagauche, et même si cette nouvelle proposition de loi présente quelques défauts, je maintiendrai néanmoins ma position en votant contre la motion d'irrecevabilité, car il me semble que la loi Gayssot a ouvert une voie dans laquelle il est possible de s'engager sans que cela n'aboutisse à une quelconque hiérarchisation des génocides. La communauté arménienne n'a pas eu droit à son Nuremberg, notamment parce que nous faisons face à un négationnisme d'État de la part de la Turquie, qui revient à perpétuer le génocide. Dès lors, les ressortissants français d'origine arménienne sont fondés, au moment où la Turquie est candidate à l'entrée dans l'Union européenne, à demander des comptes pour eux-mêmes mais aussi pour les membr...

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

...t notre République, et, en la matière, nous les mettons à mal. Ce texte porte d'abord atteinte au principe de la séparation des pouvoirs en considérant que le politique peut disposer de tous les pouvoirs, en l'occurrence se substituer à la justice, ce que nous ne pouvons accepter sans conséquences désastreuses. Ensuite, si nous admettions l'idée que le Parlement puisse décider de l'existence d'un génocide, il faudrait admettre que la vérité historique variera selon les temps et les lieux, c'est-à-dire selon les majorités politiques et les Parlements concernés, alors que c'est précisément ce que veut combattre, me semble-t-il, la communauté arménienne. Je voterai d'autant plus la motion d'irrecevabilité que la voie de l'action judiciaire, au civil, et celle de la résolution d'origine parlementair...

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

...ui nous garantit le droit de dire ce que l'on pense, même si l'on pense mal. Je fais bien évidemment référence aux opinions et non aux actes qui pourraient en être le prolongement, ainsi que les appels à la haine raciale, l'apologie de l'antisémitisme ou de la xénophobie qui sont déjà par ailleurs sanctionnés. Bien que n'étant pas parlementaire à l'époque, j'étais favorable à la reconnaissance du génocide arménien. Mais il s'agissait seulement d'une affirmation, alors qu'il nous est demandé aujourd'hui de sanctionner ceux qui ne s'y conformeraient pas. J'entends l'argument selon lequel il est incohérent de ne pas sanctionner ceux qui contestent des valeurs que l'on affirmerait par ailleurs. Mais alors, dans ce cas, allons-nous par exemple sanctionner ceux qui pensent que les droits de l'homme ne s...

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle :

...n a été saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité en la matière, celle-ci ne l'a jamais transmise au Conseil. S'il existe bien un risque d'inconstitutionnalité, force est de constater qu'il ne s'agit pas d'une certitude et que nous pourrions laisser le processus législatif aller à son terme et le Conseil constitutionnel se prononcer définitivement. Nous avons légiféré sur les deux génocides que sont la Shoah et le génocide arménien ; le premier a été assorti d'un dispositif pénal, l'autre non, cette distorsion mérite à mon sens d'être corrigée pour des raisons de cohérence législative. Enfin, je rappelle que, contrairement aux affirmations de notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, douze États européens se sont prononcés en ce sens, dont six qui ont mis en place des disposit...

Photo de Corinne BouchouxCorinne Bouchoux :

Si nul ne conteste la réalité du génocide arménien, les débats que nous avons posent néanmoins la question de savoir à quoi sert le Parlement et quels sont les sujets sur lesquels nous devons et pouvons légiférer. L'opportunisme législatif dont ce texte est empreint et qui met un certain nombre de nos collègues dans l'embarras me semble justifier le vote de la motion d'irrecevabilité proposée par le rapporteur. Il faut refuser ce type de...

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Tout en étant sensible aux arguments relatifs à l'atteinte à la séparation des pouvoirs et au risque de fragiliser la loi de 2001 par le vote d'un nouveau texte, il me semble que la reconnaissance de la réalité du génocide arménien est une priorité. Compte tenu de la gravité d'un tel événement, il me semble difficile d'y opposer le souci de la liberté de la recherche ou même de la liberté d'expression. En outre, la pénalisation de la négation de ce génocide contribuerait à la cohésion nationale déjà évoquée par certains collègues, dans la mesure où je vous rappelle que 500 000 de nos concitoyens sont les descenda...

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

...ge par la commémoration, indiquant ainsi aux communautés visées, en l'occurrence la communauté arménienne, qu'elles font partie intégrante de la communauté nationale. Si nous commençons à décider dans un texte ce que doit être la mémoire nationale, nous risquons de déclarer une guerre des mémoires consistant à savoir si la Révolution française est bien notre socle politique ou si elle a commis un génocide en Vendée, alors c'est toute la construction politique, intellectuelle et affective de la Nation que nous mettons en danger. Je regrette que des hommes et des femmes qui prétendent être des hommes ou des femmes d'État se soient permis des déclarations à ce sujet qui sont indignes de quiconque veut diriger la République.

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

...onnellement une difficulté à voter une loi dans le dessein de permettre au Conseil constitutionnel d'en vérifier la constitutionnalité et par voie de conséquence de déclarer éventuellement l'inconstitutionnalité de la loi de 2001. Je crains aussi une forme d'effet de « contamination » de cette proposition de loi et que des propositions de lois soient déposées pour reconnaître officiellement qu'un génocide a été commis au Cambodge, au Rwanda, en Vendée, ou encore lors de la colonisation, entravant ainsi le travail des scientifiques. Les victimes, comme les bourreaux, du génocide arménien ont disparu, la véritable réparation offerte aux familles des victimes serait la reconnaissance du génocide par la Turquie et je ne crois pas que nous y parviendrons de cette manière, alors même que les Gouvernem...

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

...t la Turquie, le doyen Vedel soulignant déjà en son temps le débordement de compétences de la part du Parlement lorsque celui-ci s'immisce dans les relations internationales. Quant au débat sur la question prioritaire de constitutionnalité, je vous soumets une question de politique fiction : si elle est posée ou bien si un recours permet de « purger » en quelque sorte la loi de 2001 et qu'aucun génocide n'est reconnu, quel service rendrions-nous vraiment aux Arméniens ? Nous n'avons pas vocation à écrire l'Histoire. Dès lors, le problème n'est pas celui de la communauté arménienne auquel nous sommes tous sensibles, mais celui de savoir comment le Parlement doit écrire le droit. J'estime que nous avons le devoir de voter cette motion d'irrecevabilité.

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

...st de se prononcer sur les questions juridiques. Celles-ci sont loin d'être simples car, si la loi du 29 janvier 2001 est certainement contraire à l'article 34 de la Constitution, à partir du moment où nous voterions cette proposition de loi, nous donnerions à la loi de 2001 un effet utile, autrement dit certaines de ses dispositions deviendraient exécutoires. Ainsi le fait de nier l'existence du génocide arménien serait passible de sanctions pénales. Par conséquent nous ne serions plus du tout dans le schéma d'une loi remplaçant une résolution qui ne pouvait pas, à l'époque, être adoptée par le Parlement, mais dans celui d'une loi comportant une sanction pénale. L'autre problème de constitutionnalité, plus difficile à résoudre et tenant au texte même de la proposition de loi, concerne la sépara...

Photo de Christophe BéchuChristophe Béchu :

Je suis complètement opposé aux lois mémorielles, y compris à la loi de 2001, mais je ne souscris pas aux arguments relatifs à la constitutionnalité de la présente proposition de loi, en ce qu'elle prévoit que tout génocide reconnu ne peut être contesté. Certes, il y a des difficultés, comme la signification exacte des termes « minimiser de façon outrancière ». Mais je suis aussi très surpris d'entendre en commission des lois des arguments tendant à protéger une loi que l'on considère comme constitutionnellement fragile et à éviter pour cela le risque qu'une QPC ne soit posée. Ne serait-ce pas une incitation à ado...

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

... à prendre quelques initiatives ... Merci, M. Zocchetto, pour vos propos, mais je souligne le paradoxe consistant à vouloir s'inscrire dans une continuité envers une loi dont la constitutionnalité est douteuse. Le doyen Gélard a répondu à ce raisonnement par l'absurde, mais je suis en phase avec M. Zocchetto quant aux lois mémorielles et au devoir de mémoire envers les victimes arméniennes de ce génocide. Mme Benbassa s'est exprimée avec sa compétence d'historienne. Il est assurément souhaitable que les autorités arméniennes et turques continuent à se parler. Des actes ont déjà eu lieu, comme le fait d'assister ensemble à un match de football. Il serait bon que l'Unesco crée une commission mixte d'historiens, ce que souhaitent certains intellectuels turcs et arméniens. Je remercie Mlle Joissain...