La question des prix de transfert est effectivement très importante. Comme le disait Marie-Christine Coisne, la France est en pointe pour ce qui est du nombre d'accords signés. Elle cherche toujours à faire plus en ce domaine.
Les conventions fiscales sont très utiles aux entreprises. Elles constituent un gage de protection, puisque leur but principal est effectivement d'éviter tout risque de double imposition. Elles fonctionnent très bien, sauf avec certains pays, que je ne nommerai pas, réticents à les appliquer.
L'OCDE propose un modèle de convention fiscale très complet, à même de définir lequel des deux États concernés doit taxer tel ou tel revenu, appliquer telle ou telle retenue à la source. L'article 9 est consacré aux prix de transfert, l'article 25, si je ne me trompe, étant destiné à régler le problème des doubles impositions lorsqu'il survient.
L'entreprise et l'administration sont alors amenées à engager des discussions, à procéder à des arbitrages, pour éviter ces doubles impositions, en particulier en matière de prix de transfert.
Un autre article traite de l'échange de renseignements, dont votre commission a déjà longuement parlé, et qui, pour moi, est la vraie arme contre la fraude. Dans ce sens, je souscris au point de vue de l'OCDE.
Ce modèle est donc un instrument très complet, par ses définitions, son fonctionnement et les commentaires ajoutés par l'OCDE. Il assure une excellente protection des entreprises, françaises en particulier, qui savent où elles vont, et sert aussi d'arme contre la fraude et tout ce qui s'éloigne des règles légales et normales.
Outre le modèle OCDE, il existe, pour les pays en développement, un modèle ONU, beaucoup plus dissymétrique en ce qu'il vise à favoriser ces pays par le développement des impositions à la source, de sorte qu'ils ne voient pas sortir automatiquement et mécaniquement des revenus. Ayant moi-même travaillé avec les pays de l'Afrique subsaharienne, je sais combien une telle dissymétrie permet une protection particulière en la matière.
Puisque la question des prix de transfert a été abordée, il serait bon d'en dresser un tableau un peu plus général.
Premièrement, les prix de transfert résultent d'un état de fait : des sociétés appartenant à un même groupe se facturent des marchandises et des services ; cela découle de la vie normale des affaires.
Vous êtes un fabricant de machines en France. Pour les vendre en Asie, vous allez créer une succursale sur place, qui va stocker le matériel, en faire la promotion, le vendre, assurer le service après-vente, faire remonter les informations, recenser les dysfonctionnements observés par les utilisateurs, puis demander à la recherche et développement d'envisager les modifications nécessaires pour les résoudre.
Dans un tel cas de figure, il faut déjà intégrer la facturation des machines. D'autres coûts peuvent entrer en ligne de compte, comme l'usage d'une marque ou la fourniture de services, informatiques notamment.
Cet état de fait résulte de la structure des grands groupes internationaux. Que leur siège soit ou non en France, il y a forcément quantité de flux internes, car il est rare que ces groupes vendent directement à des tiers dans les pays étrangers : ils installent une société pour alimenter le marché spécifique d'une région, ou même d'un pays si celui-ci est suffisamment important.
Deuxièmement, il importe de souligner que le problème des prix de transfert n'est pas nouveau. Cela fait longtemps que l'OCDE y travaille, depuis les années soixante-dix, puisqu'elle a publié son premier rapport en 1979.
Au début des années quatre-vingt-dix, les Américains ont soulevé la question en parlant de fraude. À leurs yeux, trop d'argent sortait des États-Unis et il fallait revoir l'ensemble du dispositif. Des travaux ont commencé en 1992 et se sont achevés, si je puis dire, en 1995, sous la forme de ce fameux manuel des principes directeurs, mis à jour au fur et à mesure.
C'est en juillet 2010 qu'une version finalisée est apparue. Voici donc le manuel qu'utilisent tous ceux qui appliquent des prix de transfert. Ces 400 pages sont le fruit d'un travail de vingt ou trente ans entre les administrations et les entreprises. Au sein de l'OCDE siègent des personnels des différentes administrations, notamment de notre direction de la législation fiscale, de notre contrôle fiscal, et la consultation y est permanente.
Le MEDEF joue un rôle très important, par le biais du BIAC - le « MEDEF des MEDEF » -, comité placé auprès de l'OCDE. Il intervient aussi en direct. Si vous allez sur le site de l'OCDE, vous y trouverez nos nombreux commentaires, écrits et prises de position. Là est le vrai rôle du MEDEF : faire avancer la doctrine en faisant valoir les contraintes des entreprises.
Les administrations sont très curieuses de tout cela parce qu'elles voient bien leur intérêt au regard de l'objectif recherché. Il arrive que nous leur disions : oui, nous sommes d'accord avec vous, mais vous ne pouvez pas agir ainsi, il faut faire autrement, sinon ce n'est pas réalisable.
Le livre que j'évoque depuis tout à l'heure s'intitule Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales. Il a donc une visée paritaire. J'y insiste, car cela veut bien dire que les administrations et les MEDEF sont d'accord sur la résolution du problème.
La problématique se résume ainsi : puisque cession entre deux sociétés du même groupe il y a, l'argent passe d'une poche à l'autre et, finalement, ledit groupe fixe le prix qu'il veut ; c'est alors que les administrations s'interrogent sur sa pertinence.
Au début, il y avait cette histoire de paradis fiscaux, dont on parle toujours. Certains factureraient leurs produits ou services à une entité située dans l'un de ces territoires. L'ennui, c'est que les vrais paradis fiscaux qui subsistent sont des petites îles, où il n'y a pas de marché. Ce n'est pas là-bas que je trouverai des acheteurs pour mes machines à imprimer !
Depuis que les États-Unis ont réagi au début des années quatre-vingt-dix, tous les gouvernements cherchent à sauver leur assiette imposable. Le problème est budgétaire. Dans le cadre de la convention multilatérale d'arbitrage européenne, deux procédures sont en cours en matière de prix de transfert : entre la France et l'Italie, et entre la France et l'Allemagne. Tous se battent comme des chiffonniers pour de l'argent.
L'administration française fait son boulot. Je suis tout à fait d'accord pour qu'elle agisse ainsi. Ne l'oublions pas, son homologue allemande ou américaine, en face, agit exactement de la même manière. Chacun se dispute.