En revanche, c'est bien sur ces ménages qu'a pesé, pour l'essentiel, la hausse de la TVA, par laquelle vous avez achevé de faire de la progressivité inversée le socle de votre politique fiscale.
En somme, pour reprendre l'expression de Nicole Bricq, le dernier quinquennat aura été celui de l'incohérence et des injustices.
Elle n'était d'ailleurs pas la seule à le souligner. Dans votre propre camp, certains s'inquiétaient de la différence de traitement dont bénéficiaient les ménages les plus aisés. Je citerai ainsi notre ancien collègue Nicolas About, qui regrettait, en 2010, à propos du bouclier fiscal, que « l'effort que les Français devront fournir pour redresser notre situation sera consenti par tous, sauf par nos concitoyens les plus aisés, protégés par le bouclier fiscal ». Il ajoutait : « Il ne faut pas nécessairement beaucoup plus d'impôt, mais il faut parvenir à un impôt plus juste. »
Apparemment, il n'a été guère été entendu. Certes, ces dernières années, vous avez fait le choix de plus d'impôt : 12, 5 milliards d'euros en 2011, 21 milliards d'euros en 2012, du fait de vos seules réformes.
C'est d'ailleurs à cela que vous devez la très relative réduction du déficit structurel, plus qu'à une réduction des dépenses, que vous vous êtes contentés de sous-budgéter avant d'être rattrapés par la réalité en cours d'exécution.
Il ne vous est donc plus possible d'opposer une droite responsable devant la dépense à une gauche idolâtrant l'impôt, car vous avez finalement trouvé cet outil très pratique pour rattraper vos erreurs. En revanche, vous n'avez rien fait pour que cet impôt soit plus juste.
Je prendrai pour cela l'exemple de la suppression de la taxe professionnelle. Les effets pour les entreprises sont bien moins clairs que ne l'envisageait le gouvernement de l'époque : dans certains secteurs, seules 40 % d'entre elles en profitent réellement et, en moyenne, seules 60 % sont gagnantes.
En revanche, ses conséquences sur les ménages et sur les collectivités territoriales sont durables. Comme nous l'annoncions, cette réforme a eu un triple effet pervers sur ces collectivités : une perte d'autonomie financière, une perte de prévisibilité des ressources et une disparité croissante entre les différentes collectivités territoriales.
Les effets de cette réforme pour l'État avaient également été sous-évalués. Le coût pour l'État de l'allégement au bénéfice des entreprises était en effet estimé à 5, 8 milliards d'euros en régime de croisière ; il devrait finalement s'élever à 7 milliards d'euros les prochaines années, et à plus de 8 milliards d'euros pour 2011.
S'agissant de l'impôt sur les sociétés, là encore, nous vous avions appelés à agir. Peu à peu, le taux de 33, 33 % est devenu bien théorique. Grâce à la création successive d'abattements et de niches fiscales, le taux moyen effectif est plus proche de 20 %, avec de très grandes disparités selon la taille de l'entreprise. Vous le savez comme nous, en moyenne, une entreprise du CAC 40 paye en réalité 8 % d'impôt sur les sociétés, soit un quart du taux légal.
C'est pourquoi nos collègues François Marc et François Rebsamen avaient proposé de mettre fin à ce « mitage » de l'impôt sur les sociétés. Leur proposition de loi avait été repoussée. L'Assemblée nationale a finalement fait sienne, tardivement, l'idée d'abroger le régime du bénéfice mondial consolidé. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en reprend une autre dans son projet de loi de finances rectificative, celle de la modulation de l'impôt en fonction du réinvestissement par l'entreprise des bénéfices dégagés. Il l'accompagne d'autres mesures permettant à l'impôt sur les sociétés de retrouver un rendement acceptable.
Car, non seulement vous n'avez pas souhaité réhabiliter l'impôt sur les sociétés, mais vous avez également surestimé son rendement. En 2011, alors que vous attendiez un produit de près de 45 milliards d'euros, celui-ci est inférieur à 40 milliards d'euros. Certes, c'est mieux qu'en 2010, mais ce n'est mieux que parce cette année-là cet impôt pâtit à la fois des mesures du plan de relance et du régime transitoire de la taxe professionnelle. Encore une fois, il était urgent d'agir ; vous avez préféré attendre.
S'agissant des recettes, votre bilan n'est guère plus brillant. Votre mesure la plus emblématique, c'était le non-remplacement, mécanique, d'un fonctionnaire sur deux. J'y reviendrai ultérieurement. La manière dont vous l'avez mise en œuvre s'avère un désastre. Vous affirmiez que cette politique serait un levier efficace de réduction de la dépense. En définitive, l'économie brute est inférieure d'un tiers à celle que vous annonciez et cette économie en postes n'a même pas correspondu à une économie en charges, car les mesures catégorielles accordées à cette occasion en annulent les effets.
Surtout, ces suppressions mécaniques, sans réflexion globale, ont contribué à augmenter le nombre d'heures supplémentaires, ce qui montrait bien que les réductions ne correspondaient pas, loin de là, à des sureffectifs.
Je prendrai l'exemple des préfectures. Celles-ci ont connu d'importantes suppressions d'effectifs qui ont touché les agents de guichet, lesquels sont chargés d'accueillir le public désireux de faire établir un document d'identité, la carte grise d'un véhicule automobile ou tout autre titre. La suppression de ces postes a rendu nécessaires, à certains moments, non seulement la fermeture des guichets afin de permettre le traitement des dossiers, mais encore le recours aux heures supplémentaires tout simplement pour que les agents puissent venir à bout de leur travail ordinaire.
Pour quel gain ? L'épuisement des préfectures et des préfets !
Voilà deux ans, j'avais rendu un rapport consacré à la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques dans les préfectures, sujet qui préoccupe aussi bien les personnels que les préfets et les administrateurs.