Cette audition est une première, tant pour moi que pour votre jeune délégation. J'en ai souhaité ardemment la création ; elle a bénéficié de l'appui du Président Bel, que je tiens à remercier. Elle s'affirme déjà, par le travail qu'elle a mené durant l'intersession, comme une instance primordiale pour l'évaluation des politiques publiques outre-mer par une approche transversale et de fond qui est la tradition du Sénat. Des sénateurs, qui ne sont pas forcément des élus ultramarins, en sont membres. Je m'en réjouis car, depuis plusieurs années, le Parlement souffre d'une relative méconnaissance des outre-mer. Je ne doute pas que vous travaillerez en bonne intelligence avec la délégation que l'Assemblée nationale va créer à l'image de celle du Sénat. Ce sont des signes importants du changement, un changement qu'ont voulu les Français en disant avec force leur volonté d'alternance.
Ce changement s'incarne dans de nouvelles méthodes de travail d'un ministère désormais des outre-mer. Ce pluriel n'est pas cosmétique, il traduit notre volonté de remettre les élus au coeur de l'action de l'État outre-mer. Des élus que je veux recevoir au ministère avant fin juillet. Je souhaite les voir étroitement associés à notre action.
Dans les outre-mer, nous devons retisser un lien de confiance avec les populations. Leurs votes très tranchés ont montré un fort désir pour le changement, le changement d'une politique qui, sous couvert de développement endogène, a sous-estimé les difficultés spécifiques de ces territoires. Là-bas, on l'a perçue comme le signe d'un désintérêt, une intention à peine déguisée de désengagement de l'État. Il est temps d'en finir avec les promesses non tenues et d'appliquer les mesures de justice et d'équité que nos compatriotes attendent. Pour cela, mon ministère devait gagner en autorité et en transversalité, d'où la décision d'un ministère de plein exercice doté d'un cabinet de haut niveau et de correspondants dans tous les autres ministères.
Le Président de la République s'est engagé à redresser les outre-mer par la relance de la production et la lutte acharnée contre le chômage. L'emploi et la jeunesse, ces deux priorités du Gouvernement, s'appliqueront outre-mer comme partout ailleurs, pour remettre l'urgence éducative au coeur de l'action publique. Je ne reviens pas sur les chiffres du chômage, le taux d'emploi des jeunes, la détérioration du marché du travail qui se solde par la désespérance des jeunes. Inutile d'y insister pour vous prouver que, chez nous, les contrats aidés trouvent toute leur pertinence. Le Gouvernement a augmenté leur volume de 50 % au second semestre 2012 par rapport à la programmation initiale, soit 80 000 contrats supplémentaires. Il a également procédé à un réajustement progressif pour favoriser les régions manifestement sous-dotées qui comptent de nombreux demandeurs d'emploi de longue durée. C'est le cas de la Guadeloupe, qui a obtenu 2 500 contrats aidés non marchands, et de La Réunion dont les contrats aidés augmentent de 63 % par rapport à la prévision.
Pour les outre-mer, nous faisons le choix de l'amélioration de la qualité des emplois et de l'accès au travail. Terminée la logique de guichet, il faut développer de vrais projets globaux et d'insertion durable dans l'emploi. Cette priorité sera déclinée en accord avec le marché du travail et les élus locaux, elle suppose l'accord de tous. Une attention particulière sera portée aux secteurs de l'éducation, de la justice et de la police. Les outre-mer ont déjà reçu leur part de la création de 1 000 postes dans le primaire, qui sera financée dans le collectif budgétaire, et nous travaillons, avec M. Vincent Peillon, sur le projet de loi d'orientation et de programmation prévu à l'automne. De même, mon ministère a été pleinement associé à la conférence sociale et à la délimitation des périmètres sur les contrats d'avenir et de génération.
L'effort de redressement appelle également des mesures spécifiques, conformément aux trente engagements pris par le Président de la République pour les outre-mer. Il passera par un renforcement de l'investissement public de 500 millions sur cinq ans et un rattrapage en matière d'équipements structurants, en particulier de logement. Il n'y a aucune raison que les outre-mer ne bénéficient pas d'une qualité d'équipements identique à celle de la l'hexagone. Je pense, en particulier, au logement. Très concrètement, l'engagement pluriannuel de l'État se traduira localement par un contrat passé avec chacun des territoires.
Je n'oublie pas l'amélioration de l'offre de soins ; un dossier urgent, qui en Martinique, qui à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je veillerai particulièrement aux emplois que les établissements de santé abritent.
Le succès de cette politique de redressement dépend de notre capacité à lutter contre la vie chère. La députée de La Réunion, Mme Ericka Bareigts, m'a interrogé récemment sur ce sujet lors d'une séance de questions au Gouvernement. Partout, des mouvements sociaux, qui deviennent récurrents. Partout, un renchérissement du coût de la vie de 30 à 70 % par rapport à l'hexagone. Partout, des rentes de situation, des monopoles, des oligopoles, des cartels non avoués dans le secteur alimentaire, le transport aérien, le transport maritime, la téléphonie mobile, les assurances, les banques et les carburants. À Mayotte, et c'est emblématique, la bouteille de butane est à 36 euros ! Tout ce qui a été tenté jusqu'ici, même si l'intention était bonne, n'a pas fonctionné. Pour l'heure, on s'est surtout contenté de créer des observatoires indépendants et de détacher des magistrats de la Cour des comptes pour faire la transparence sur les coûts.
Comment faire ? Il faut s'attaquer aux structures par un plan de lutte contre la vie chère : ce sera l'objet de ma communication du 25 juillet prochain en Conseil des ministres. Quelle sera sa philosophie ? Administrer, réguler, contrôler n'a pas entraîné la réduction des prix. Sans compter que les effectifs de la DGCCRF, renforcés après les mouvements sociaux, ont fondu... Depuis l'ordonnance de 1986, les outre-mer connaissent un régime de liberté de prix. Revenir en arrière n'aurait pas de sens. Pour nous, la solution passe par la pierre angulaire de la « théologie européenne » : instiller une belle dose de concurrence, une concurrence un peu plus libre et moins faussée, dans tous les secteurs. Nous allons rendre plus difficiles, sinon interdire, les exclusivités de produit, de distribution et de territoires. Lorsqu'un produit quitte l'hexagone, il est frappé d'un tribut de 30 à 60 % auquel s'ajoutent le transport, l'assurance, les taxes le stockage et les marges de distribution. Cela explique le renchérissement du coût des produits de 30 à 70 %.
Au-delà des changements législatifs, il faut encourager les actions plus concrètes pour les collectivités. Je pense à la mise en place de plates-formes logistiques communes ou encore au regroupement de petits commerces, les fameux « lolos » qui existent déjà dans certains territoires pour casser le monopole des distributeurs. Pourquoi ne pas revoir aussi le seuil de concentration à partir duquel l'Autorité de la concurrence peut intervenir ? En Martinique, elle a intimé à un groupe de se séparer d'une entité. Une idée est de faire émerger un contre-pouvoir consommateur, avec des organisations de consommateurs qui auront pignon sur rue, mèneront des actions de groupe et des enquêtes plus précises que celles de l'INSEE ; il faudra leur ouvrir des plages d'antenne à la radio, à la télévision et sur la toile pour informer. Des pistes existent dans votre rapport d'information de 2009, nous ne manquerons pas de les exploiter pour alimenter ma communication du 25 juillet.
Secteur par secteur, il faut développer l'interministériel. Dans le secteur du carburant, le précédent Gouvernement m'a manifestement laissé une petite bombe : on n'a pas approuvé le budget prévisionnel des pétroliers. À La Réunion, cela pose un problème. Résultat, les pétroliers s'apprêtent à déposer des recours. Au nom de quoi peut-on facturer par anticipation la suppression de l'abattement de 30 % de l'impôt sur les sociétés en 2013 ? Sans compter que la législation fiscale peut évoluer... Même chose sur l'amortissement, on applique une quote-part d'amortissement sur les équipements neufs financés en partie par la défiscalisation ex ante, et pas au terme de l'exercice comptable. Et le client paiera plein pot à la pompe ! Ce problème très technique doit être mis à plat.
Sur l'itinérance en matière de téléphonie mobile, j'ai obtenu, par un accord à l'amiable avec les opérateurs, une baisse de 17 % du prix par anticipation sur l'entrée en vigueur d'un texte européen qui n'est pas encore transposé.
Le secteur bancaire posera davantage de difficultés. Nos PME et nos entreprises ont besoin d'accéder au crédit. Or les banques, trop souvent, justifient leurs coûts par un risque de place : encore un point à élucider.
Je félicite l'Autorité de concurrence pour sa vigilance dans les outre-mer depuis les mouvements sociaux. Nous attendons, avec quelque impatience, les résultats des enquêtes en cours.
Sur le logement, nous attendons les arbitrages budgétaires, la situation est difficile. Nous devons trouver entre 7,5 et 12 milliards d'euros selon le taux de croissance.
Il faudra tout à la fois, le Président de la République l'a dit, respecter les engagements pris et l'impératif de redressement des finances publiques avec une juste répartition de l'effort requis. Nous devrons hiérarchiser nos priorités : la lutte contre la vie chère, la jeunesse, l'emploi, la réussite éducative et le logement. Comment programmer les 500 millions sur cinq ans quand tous les ministères sont très sollicités ? Comment, si j'ose dire, prioriser les outre-mer ? Le Président de la République le sait parfaitement, comme le Premier ministre, nous avons déjà beaucoup donné, au-delà de nos facultés contributives. Il faudra tenir compte des contraintes.
Autre urgence, la situation financière et fiscale des collectivités outre-mer. Là encore, je trouve quelques petites bombes sous le tapis. Je pense à Saint-Martin, à la Polynésie Française, à Mayotte.
Un chantier institutionnel nous attend. Vous ne l'ignorez pas, puisque vous l'avez inauguré. Il s'agit de la réforme territoriale : la suppression du conseiller territorial aura des conséquences en Guadeloupe et à La Réunion.
J'aurai dû évoquer également, mais le temps presse, les problèmes de sécurité, de désenclavement, et encore quelques questions d'actualité sur les grandes productions que sont la banane et le riz avec le problème de l'épandage aérien ainsi que la départementalisation de Mayotte et sa « rupéisation ». Tout cela dans un contexte difficile où rien n'est acquis au niveau européen.
Voilà, dans les grandes lignes, la feuille de route que le Gouvernement m'a fixée.