Intervention de François Houllier

Commission des affaires économiques — Réunion du 17 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de M. François Houllier candidat désigné aux fonctions de président de l'institut national de la recherche agronomique

François Houllier, candidat à la présidence de l'INRA :

Je suis très honoré que les deux ministres de tutelle aient proposé mon nom et que le Premier ministre envisage de le soumettre au président de la République. M'exprimer devant vous est également un honneur car le Sénat représente les territoires de notre pays, territoires dans lesquels l'INRA est profondément ancré, et cette audition constitue une première, la procédure s'appliquant pour la première fois à mon établissement.

C'est comme scientifique et administrateur de la recherche que je me présente à ce poste de haute responsabilité. La recherche et l'innovation ont un rôle déterminant à jouer dans une société de la connaissance ; de surcroît, les activités de l'INRA concernent un secteur majeur de l'économie française et, plus généralement, des domaines - l'alimentation, l'agriculture et l'environnement - essentiels pour l'avenir.

Quels sont les points forts de mon parcours ? Doctorant, puis partenaire extérieur, directeur d'une unité mixte de recherche, chef de département, directeur scientifique et, enfin, directeur général délégué, j'ai découvert différentes facettes de l'INRA. Ingénieur, enseignant-chercheur, chercheur, gestionnaire de la recherche, j'ai exercé en France et à l'étranger divers métiers aux ministères de l'agriculture et des affaires étrangères, avec des organismes de recherche, des universités et des écoles d'ingénieurs. J'ai travaillé avec de nombreux opérateurs français, européens ou internationaux. Mes activités ont porté sur la production, l'écologie et la biodiversité des forêts et sur la modélisation des plantes. Elles se sont élargies à d'autres domaines : en Inde, où j'ai eu la chance de diriger l'Institut français de Pondichéry, un institut pluridisciplinaire alliant écologie, géomatique, sciences humaines et sociales ; dans un cadre paneuropéen, lorsque j'ai présidé l'Institut forestier européen ; à l'INRA, comme directeur scientifique en charge du secteur des productions végétales, puis comme directeur général délégué supervisant son dispositif scientifique. J'ai alors porté une grande attention à la cohérence entres nos orientations scientifiques nationales et leur inscription territoriale. J'ai mis en place des groupements d'intérêt scientifique associant l'ensemble des acteurs publics et privés concernés, comme le GIS Biotechnologies vertes qui implique le CNRS, le Cirad, le CEA, l'IRD et l'INRA ainsi que des instituts techniques, des semenciers, des pôles de compétitivité et des entreprises de l'aval des filières végétales. J'ai aussi développé la programmation de l'INRA pour traiter de grands enjeux : l'adaptation de l'agriculture et de la forêt au changement climatique, la gestion intégrée et durable de la santé animale et de la santé des cultures, la sécurité alimentaire.

A cinquante trois ans, je me présente donc à vous, fort de cette expérience et de quelques convictions : j'ai le goût de la collaboration, entre disciplines, entre individus, entre partenaires ayant des missions et fonctions différentes mais des ambitions et des objectifs communs ; j'ai aussi le goût des allers-et-retours entre l'approfondissement des connaissances et leur transformation en applications concrètes. De plus, je m'intéresse à la coopération scientifique internationale, parce que l'exercice individuel de la recherche est par essence international, mais aussi parce que les défis adressés à la recherche agronomique sont globaux.

Si je recueille votre confiance, je mettrai cette expérience, ces compétences et ces convictions au service de l'INRA, à un moment où l'effort partagé et la solidarité nationale sont nécessaires, où les sciences de la vie ouvrent des perspectives remarquables, où l'on attend de la science qu'elle irrigue la formation et l'innovation, et de la recherche agronomique qu'elle contribue à l'émergence d'une bioéconomie.

La recherche agronomique est au coeur d'enjeux majeurs. Au XXIe siècle, nos sociétés doivent relever trois défis : assurer la sécurité alimentaire pour neuf milliards d'êtres humains, devenus majoritairement urbains ; préserver les ressources naturelles et l'environnement ; pallier la raréfaction et le renchérissement des ressources fossiles. L'interdépendance et la conjonction de ces trois défis en renforcent l'acuité et tous trois interpellent l'agriculture. Ils sont au coeur des enjeux du développement durable et d'une bioéconomie fondée sur les usages du carbone renouvelable, la connaissance des régulations écologiques et la conception de nouveaux systèmes agricoles et alimentaires. Les relever suppose de mobiliser une science qui soit à la fois excellente et pertinente, belle et utile.

Le domaine stratégique de la recherche agronomique est défini par un tripode : l'alimentation, condition première du bien-être des populations humaines et qui met en jeu un tissu d'industries agroalimentaires ; l'agriculture, qui recouvre un ensemble d'activités humaines, techniques et économiques, principalement dédiées à cette finalité alimentaire ; l'environnement, dont les ressources et milieux sont indispensables à l'agriculture et dont il convient de préserver la qualité et les fonctionnalités pour les générations futures. Ce domaine interagit avec d'autres : le climat, l'énergie, la chimie, la santé humaine, le développement périurbain. C'est cette vision de la recherche agronomique que j'entends promouvoir.

Le secteur agricole et agroalimentaire a un poids important dans l'économie et l'emploi : il est le premier secteur excédentaire de la balance commerciale nationale en 2011, mais c'est aussi un secteur fragile qui doit rester compétitif. L'agriculture et la sylviculture s'inscrivent dans les paysages et les territoires, ont une forte empreinte environnementale et rendent des services écologiques d'approvisionnement, de régulation, de support ainsi que culturels. L'INRA sera mobilisé pour élaborer de nouveaux modèles agricoles et de nouveaux systèmes alimentaires.

Par sa production scientifique, l'INRA est la deuxième institution de recherche mondiale en agronomie, la première en Europe. Depuis l'an 2000, l'Institut a accru le nombre de ses publications : plus de 3 800 en 2011 (+ 60% depuis 2000). Il a affirmé son leadership dans l'étude des flores du tube digestif et acquis une place privilégiée en Europe : il participe à 208 projets et coordonne ainsi l'initiative de programmation conjointe dédiée à la sécurité alimentaire et à l'adaptation de l'agriculture au changement climatique. Alors que l'on constate un regain mondial d'intérêt pour la recherche agronomique, qu'émergent de nouveaux acteurs scientifiques internationaux, en Chine, au Brésil ou en Turquie, et que des organismes plus académiques se réorientent dans cette direction en Grande-Bretagne ou en Allemagne, l'une de mes priorités sera de maintenir notre leadership.

Organisme public national, l'INRA est partie prenante du système national de recherche et d'innovation. Il dispose d'un patrimoine expérimental et d'infrastructures scientifiques dont la pérennité et le renouvellement sont essentiels. Avec son budget de près de 850 millions d'euros, ses 8 480 titulaires, ses 49 unités expérimentales et ses 200 unités de recherche, dont les deux tiers sont mixtes associant d'autres organismes, des universités, des écoles ou des instituts techniques, l'INRA est au coeur d'une communauté scientifique et technique qui accueille 1 800 étudiants et chercheurs étrangers et implique plus de 1 000 agents d'autres établissements. Je m'attacherai à faire vivre les missions nationales de l'Institut ainsi que son ancrage territorial.

Il incombe à l'INRA de produire des connaissances nouvelles au meilleur niveau, mais aussi de contribuer à l'innovation et à l'émergence de nouvelles ingénieries, d'éclairer les politiques publiques par la synthèse de connaissances et la prospective, d'assurer un vivier d'experts pour des agences dédiées, de participer à la formation et à la diffusion des connaissances, de s'engager dans les débats sociétaux. Je veillerai à ce que l'Institut continue à remplir pleinement ces missions.

Depuis 2004, son président directeur général assure à la fois son pilotage interne, la présidence du conseil d'administration et les relations avec la puissance publique et la société. Ses priorités ont été fixées par son contrat d'objectifs 2012-2016 sous-tendu par le document d'orientation 2010-2020.

Ma première ligne d'action concernera l'ingénierie de la production scientifique. Je souhaite améliorer la qualité et l'impact des productions de l'Institut, qu'elles soient académiques ou tournées vers les usagers de la recherche - c'est la clé de son leadership et du respect dont il bénéficie aujourd'hui.

Je garantirai les compétences de l'INRA, son aptitude à explorer de nouveaux domaines pour aller de la découverte jusqu'aux aux applications. Je développerai sa capacité de programmation sur les grands enjeux scientifiques, technologiques, économiques, sociaux ou environnementaux. Je prolongerai les grands programmes en y associant davantage nos partenaires. Je consoliderai les infrastructures scientifiques collectives de l'Institut qui fondent son originalité, son efficacité et son attractivité. Je veillerai à la mise en place des deux démonstrateurs préindustriels (tube digestif, biotechnologies blanches) et des infrastructures nationales sélectionnées dans le cadre des investissements d'avenir que vous avez évoqués.

Ma deuxième ligne d'action consistera à promouvoir la recherche agronomique dans différents écosystèmes : un organisme public de recherche finalisée se définit aussi par ses partenariats. Accroître l'efficacité et le rayonnement de la recherche agronomique dans les écosystèmes de recherche et d'innovation, aux échelles locale, nationale et internationale constitue un enjeu majeur.

Tout en maintenant son engagement en Europe, je poursuivrai l'internationalisation de l'INRA en prenant appui sur les grands programmes et la montée en puissance d'Agreenium, consortium de recherche et de formation agronomique et vétérinaire tourné vers l'international et qui rassemble le Cirad, l'INRA et plusieurs écoles d'ingénieurs, en privilégiant les collaborations avec les grands opérateurs de l'Institut et dans certaines régions du monde, notamment la Méditerranée ; en amplifiant l'implication de l'INRA dans des initiatives de grande portée, à l'image de ce qui a déjà été fait dans le cadre de l'alliance globale de recherche sur les gaz à effet de serre en agriculture, ou de la Wheat Initiative, lancée par le G20 et coordonnée par l'Institut en lien avec le BBSRC, son homologue britannique, et le CIMMYT.

J'impliquerai aussi l'INRA afin de structurer le système national de recherche et d'innovation : il contribuera aux alliances nationales de recherche, tout particulièrement à AllEnvi, dédié à la recherche environnementale. Je souhaite développer une politique territoriale, respectueuse des missions des uns et des autres.

Enfin, l'Institut continuera à jouer son double rôle de pionnier et de garde-fou avec tous les acteurs des filières, des territoires et du développement agricoles - instituts techniques, coopératives, chambres d'agriculture - et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). Nous prendrons appui sur des instruments existants, sur les trois instituts Carnot récemment créés et sur le consortium de valorisation thématique d'AllEnvi. La collaboration avec l'INRA doit être un facteur de compétitivité pour ses partenaires. Avec nos concitoyens engagés dans, le secteur associatif de la consommation et de la protection de l'environnement, je développerai les sciences participatives afin de les impliquer davantage à nos travaux.

Je privilégierai les contacts directs, le respect mutuel, le dialogue, la solidarité collective dans la mise en oeuvre des choix et des décisions. Je tirerai parti des idées et des initiatives individuelles, je favoriserai les formes collégiales de gouvernance et veillerai à simplifier le fonctionnement de l'INRA, afin de garantir la cohérence et la mobilisation de la communauté de travail dans un contexte exigeant où la cohésion est un facteur de réussite. Il est nécessaire de moderniser notre gestion pour que les ressources contractuelles contribuent à financer la dimension collective de nos activités.

L'INRA doit donner aux Français l'envie de comprendre la science, à ses partenaires l'envie de collaborer, et aux techniciens, ingénieurs et chercheurs l'envie de rejoindre l'Institut.

Voilà la vision de la recherche agronomique, des missions et de la place de l'INRA que je me propose de porter dans le cadre des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, et tels sont mes engagements, si je suis nommé à la tête de l'INRA.

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