Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'affaire du socle commun est un débat déjà ancien qui nous amène à nous interroger sur le bilan que nous pouvons tirer de la « massification scolaire ».
Le socle commun vise à redéfinir le parcours scolaire des jeunes en faisant en sorte que ceux qui sont les plus en difficulté échappent finalement à un certain nombre de domaines de la connaissance, par exemple, en éducation physique, en sciences, en histoire-géographie, voire, dans certains domaines de la langue française et des mathématiques, tout ce qui relève, finalement, de l'abstraction et des savoirs les plus universels. Ils en seraient dispensés pour revenir à des connaissances instrumentales qu'ils ne maîtriseraient pas.
Le Gouvernement reprend une exigence de clarification de la « culture commune », que beaucoup partagent, mais en en donnant la définition la plus minimaliste qui soit et, du même coup, en préparant pour demain un tri des élèves en fonction de leurs origines sociales.
Toutefois, on ne peut pas faire une analyse du système éducatif si l'on n'examine pas sérieusement l'état actuel de l'institution avec le fait que les inégalités scolaires se sont maintenues, transformées et, parfois même, renforcées.
II faut se dégager des visions convenues qui se sont installées dans le débat scolaire entre « républicains » et « pédagogues », alors que l'on voit revenir en force l'idéologie du don, l'idée des talents, des goûts. Ainsi, lorsqu'un élève a envie de faire de la musique, d'apprendre le latin, d'étudier les arts, lorsqu'il se dirige vers l'enseignement professionnel, ou lorsque les filles vont vers des métiers sociaux et les garçons vers des métiers techniques, ce ne serait que l'expression des dispositions naturelles, venues d'on ne sait où.
Cette idéologie légitime les inégalités qui sont socialement construites. L'opposition entre savoirs concrets et abstraits, « l'intelligence de la main », notion chère à M. Raffarin, constituent le niveau idéologique le plus contestable. La segmentation de la population scolaire qui s'organisera à partir du socle commun et l'affaiblissement des dispositifs pédagogiques minimisent la possibilité de dédoubler les classes, de venir en aide aux élèves en difficulté.
Le grand mérite de l'étude qu'a publiée l'économiste Thomas Piketty sur les zones d'éducation prioritaires, est de montrer qu'une diminution forte des effectifs a un impact, car cela permet de réorganiser le dispositif pédagogique. Mais si diminuer le nombre d'élèves par classe revient à les faire passer de vingt-neuf à vingt-huit, cela n'aura aucun effet.
Or, les préconisations officielles de travailler plus par groupe, de s'attarder sur le travail d'un élève sans l'isoler pour revenir sur certains points, toutes modalités d'organisation pédagogique diversifiée qui sont aujourd'hui indispensables pour réussir l'école unique, sont impossibles à appliquer actuellement.
Malheureusement, ce qui se dessine, pour répondre à la difficulté, c'est de séparer les élèves et de créer des dispositifs sur le modèle de l'insertion qui vont préparer en douceur leur relégation.
Or, le socle commun telle que vous le définissez, monsieur le ministre, et les moyens affectés à l'éducation nationale participent d'une politique qui repose sur l'idée selon laquelle il faut renoncer à l'idéal d'une école pour tous et préparer les élèves les moins disposés à l'école à répondre à la demande des entreprises et au travail déqualifié.