Monsieur le ministre, vous l'avez compris, nous sommes tout à fait hostiles à la notion de « socle commun ». C'est la raison pour laquelle nous avons déposé, parmi d'autres, cet amendement.
Sur le plan des analyses des capacités cognitives des élèves, monsieur le ministre, votre conception ne correspond pas aux études des spécialistes, qui, tant bien que mal, tentent encore de faire des sciences de l'éducation ou de la recherche pédagogique.
La culture, quel que soit le niveau où on la situe, ne saurait se réduire ni à un empilement de connaissances ni au simple apprentissage de quelques savoir-faire. Elle résulte, au contraire, de la confrontation de la personne en train de se construire - qu'il s'agisse d'un enfant ou d'un adulte - avec une multitude de savoirs et de comportements diversifiés. A ce stade, il n'y a pas de place pour distinguer entre ce qui serait fondamental et ce qui serait secondaire. Une telle différenciation vient ultérieurement.
Le socle que vous nous proposez, monsieur le ministre, présente la caractéristique essentielle d'être très en retrait par rapport aux programmes actuels de l'école primaire, si ce n'est l'introduction de la « maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication ». A l'heure actuelle, les enfants maîtrisent très bien ces techniques, dès lors qu'ils ont la possibilité d'avoir un ordinateur ! S'il ne s'agit que d'une question de technique, il n'y a pas de souci à se faire.
J'indique par ailleurs que la plupart des professeurs des écoles, quand ils ont eu la possibilité d'être assistés par des aides-éducateurs, notamment des emplois-jeunes, ont initié les élèves à l'informatique. Cet apprentissage se fait très rapidement, quelles que soient les connaissances et le degré de maîtrise de la lecture et de l'écriture des élèves d'ailleurs.
Contrairement à vous, monsieur le ministre, nous défendons, dès l'école maternelle et jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire, de manière progressive et graduée mais ininterrompue, le développement d'une culture adaptée aux exigences de la « société de la connaissance », dont vous vous faites le chantre.
Cette culture doit valoriser et permettre à tous de « mettre à distance » les techniques, les histoires, les cultures autres et la sienne propre, les langues nationales aussi bien que régionales, les valeurs qui sont le fruit de tous ces savoirs et en particulier celles dont sont porteurs les jeunes, quelles que soient leurs origines sociales, culturelles ou ethniques. Enracinée dans le passé, mais ouverte sur l'avenir, articulée aux pratiques sociales, au travail et à la citoyenneté, elle intègre sans hiérarchies et sans discriminations toutes les formes de l'expérience et de la connaissance, y compris physiques et artistiques, technologiques, professionnelles, philosophiques, qui sont tout aussi « fondamentales pour l'épanouissement de l'individu » que les cultures linguistiques, par exemple.
Vous me rétorquerez, monsieur le ministre, que 10 % des élèves ne savent ni lire ni écrire à la fin de leur parcours scolaire. Il s'agit là des objectifs de l'éducation nationale ! Les objectifs que vous fixez aujourd'hui ne sauraient être ceux de l'école de Jules Ferry qui a institué l'école obligatoire. Quand 80 % des Français n'allaient pas à l'école, il était tout à fait normal que les objectifs fussent d'apprendre à lire et à écrire ; ce fut d'ailleurs une sacrée aventure ! Comment affirmer aujourd'hui que les objectifs se réduisent à un socle commun ? Pensez-vous vraiment que les enseignants n'ont pas pour objectif d'apprendre à lire, écrire et compter à l'école primaire ?