Intervention de Pascal Canfin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Pascal Canfin ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères chargé du développement

Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères chargé du développement :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis heureux d'avoir la possibilité aujourd'hui d'échanger avec vous. Je souhaite profiter de cette première audition devant votre commission - et devant une assemblée puisque le Sénat a la primeur de mon intervention devant une commission parlementaire - pour présenter les grandes lignes qui gouverneront mon action au service du développement.

Il s'agit d'un domaine ministériel sur lequel existe un certain consensus politique qu'il convient de maintenir. J'ai cru comprendre que ce consensus républicain était largement d'usage dans cette commission sur un sujet qui, il est vrai, ne se prête pas au clivage partisan. J'entends cultiver cet état d'esprit.

Je voudrais en préambule saluer l'action de mon prédécesseur, Monsieur Henri de Raincourt, et son action pour le développement des financements innovants, l'introduction des questions relatives au développement à l'agenda du G20, ainsi que l'élaboration d'un document-cadre définissant la stratégie de notre pays dans ce domaine. Sur ces points au moins, mon intention est de m'inscrire dans la continuité.

Mon action s'inspirera de quatre principes : la soutenabilité, l'efficacité, la transparence et le dialogue.

Soutenabilité car face aux défis environnementaux et climatiques, notre politique de développement ne peut aujourd'hui qu'être durable. Nous devons modifier notre conception du développement, changer de logiciel pour intégrer cette donnée fondamentale liée à la préservation de notre environnement.

Efficacité, car en ces temps de redressement budgétaire, nous devons optimiser chaque euro dépensé. Efficacité, aussi, car les besoins des populations du Sud sont immenses.

Transparence, vis-vis du Parlement, vis-à-vis de nos citoyens, vis-à-vis de nos partenaires et de leurs populations, car chacun doit être en mesure de juger des réalités de notre politique d'aide au développement. C'est un gage d'efficacité et de démocratie.

Dialogue, enfin avec les ONG, avec nos partenaires, avec les sociétés civiles au Sud, car le développement n'est possible qu'en partenariat.

Mais avant de développer plus longuement ces priorités, je souhaitais revenir sur le périmètre de mon ministère et son intitulé. Je suis le ministre du développement et plus celui de la coopération. Ce changement est le signe d'un nouveau partenariat avec l'Afrique. C'est en premier lieu, une rupture avec les dérives de la Françafrique. Je crois que de ce point de vue, la disparition du terme coopération dans l'intitulé de ma fonction n'est pas anodine. L'époque du Ministère de la coopération est aujourd'hui close. Les relations bilatérales avec les pays africains sont normalisées. A l'Elysée où il n'existe plus de cellule Afrique. Au quai d'Orsay où le Ministre des Affaires Etrangères est pleinement en charge des relations bilatérales avec l'Afrique.

Il ne s'agit pas de rompre avec l'Afrique car les liens qui nous unissent n'ont pas changé. Il s'agit de définir un nouveau partenariat d'égal à égal avec les pays qui le souhaitent. Ce changement de cap doit se faire sans naïveté. Nous avons une histoire, des liens géographiques, des intérêts économiques à défendre. Ce nouveau partenariat doit s'inscrire dans le cadre de la nouvelle donne géopolitique. Vous l'avez noté, la Chine a annoncé la semaine dernière, pour le meilleur et pour le pire, le doublement de ses prêts à l'Afrique dans les trois prochaines années. Cette nouvelle donne, nos partenaires l'ont en tête. Nous ne pouvons l'ignorer. Il n'y a plus aujourd'hui de relations obligées, il n'y a de relation que dans un partenariat ou chacun considère l'autre comme son égal.

Ce nouveau partenariat doit se fonder sur la bonne gouvernance, le développement et la mobilisation de toutes les énergies. Cette logique, nous devons l'avoir pour l'Afrique mais aussi pour l'ensemble du monde en développement.

Cette bonne gouvernance, elle est évidemment, démocratique. Nous devons faire plus pour consolider les Etats aujourd'hui fragiles. L'effondrement du Mali, que nous vivons avec la plus grande tristesse, nous rappelle cet impératif. Avec le Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, nous suivons avec attention l'évolution de la situation au Sahel.

La France travaille à définir une réponse sécuritaire et humanitaire à la crise actuelle. Il y a chez nos partenaires européens comme au Sahel une forte attente vis-à-vis de la France. Nous avons à l'égard de cette zone une responsabilité qu'il nous faut assumer.

Vous avez examiné la semaine dernière le traité d'amitié franco-afghan. Le Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a confirmé début juillet à Tokyo l'augmentation de l'aide française et le renforcement de la coopération civile franco-afghane. Je me suis moi-même rendu début juin en Afghanistan pour évaluer les perspectives de coopération civile. En ratifiant ce traité, la France agit pour éviter une nouvelle déstabilisation de l'Etat afghan. Je peux vous assurer que je serai très attentif à la bonne mise en oeuvre de nos projets de coopération civile et à la sécurité de nos personnels qui y participent. Pour autant, notre engagement n'est pas sans condition. Je serai tout aussi attentif au respect par nos partenaires afghans de leurs engagements notamment en matière de lutte contre la corruption et de respect des droits de l'Homme et notamment du droit des femmes.

Consolider les Etats, c'est aussi travailler à renforcer les capacités fiscales des Etats bénéficiaires pour leur permettre d'accroître leurs ressources budgétaires. L'aide au développement ne doit pas seulement s'intéresser à l'aide publique au développement, mais s'inscrire dans une réflexion plus globale sur l'ensemble des flux financiers nécessaires au développement des pays concernés. Dans cette perspective, la promotion des capacités fiscales des États est essentielle.

Mais consolider les Etats ne peut suffire à consolider la démocratie. Consolider la démocratie, c'est renforcer les parlements, renforcer la société civile, avec ses associations, ses fondations politiques, renforcer une presse et des médias libres et indépendants. C'est enfin assurer l'accès à la justice qui permet aux citoyens l'exercice effectif de leurs droits. Pour mettre en oeuvre ces objectifs, le fonds de solidarité prioritaire doit retrouver sa vocation première au service de la gouvernance démocratique.

Ce nouveau partenariat avec les pays en développement, comme je vous l'ai déjà dit, ce n'est bien évidemment pas une rupture. Demain comme hier, notre aide ira en priorité à l'Afrique subsaharienne. Car c'est là que se trouvent les besoins les plus importants. Car c'est aussi là que nous avons des liens particuliers, des liens historiques, quel que soit le regard que nous portons sur cette histoire, des liens culturels avec cette langue que nous avons en partage mais aussi des liens familiaux pour les centaines de milliers de Français dont les parents sont originaires de la région.

Je souhaite également que la rive sud de la méditerranée continue de faire l'objet d'une attention particulière pour consolider le mouvement démocratique qui est globalement à l'oeuvre dans la région.

Au-delà des institutions, l'enjeu de la politique de développement, c'est le financement de projets concrets de nature à favoriser la croissance des pays concernés, une croissance équilibrée, soutenable et partagée. C'est ce que fait la France, et notamment l'AFD.

Vous avez évoqué les pays du Maghreb et les printemps arabes. Je reviens notamment du Maroc où j'ai pu constater les progrès réalisés. Nous pouvons être fiers de ce que nous faisons. Dans le même temps, je constate que nous arrivons au bout de ce que nous pouvons faire en intervention directe de l'AFD puisque l'agence atteint sur ces géographies les limites de ses ratios prudentiels en matière de grand risque. Il nous faudra réfléchir à des nouvelles modalités d'intervention notamment sous forme de garantie.

La soutenabilité, c'est le défi de concilier développement et développement durable. D'inventer les nouveaux modes de production capables de sortir 1,3 milliard d'êtres humains de la pauvreté tout en faisant en sorte que l'humanité puisse vivre à 9 milliards dans les limites de notre planète. C'est notre défi commun.

C'était le défi de la Conférence du développement durable, Rio+20. J'étais à Rio, aux côtés du Président de la République et du Ministre des affaires étrangères. La France a porté une parole forte à Rio en faveur du développement durable. Malheureusement, nous n'avons pas - encore - réussi à convaincre nos partenaires émergents d'adopter un agenda ambitieux. Il faudra encore batailler notamment pour donner un contenu à l'un des rares acquis de Rio : les objectifs du développement durable.

Pour autant et précisément parce que nous n'avons pas réussi à dresser cette feuille de route vers un développement durable au niveau global, il faut plus que jamais continuer à agir à notre niveau. Les réalisations de notre politique d'aide au développement sont encore la meilleure démonstration de la pertinence de notre discours.

A travers nos réalisations, nous pourrons démontrer, à nos partenaires du Sud et aux émergents, que développement durable et développement économique ne sont pas des objectifs antagonistes. Prendre en compte le développement durable, c'est même une condition de réussite économique. Nos partenaires s'endettent aujourd'hui pour construire des barrages. Or, moins de pluies, plus de sécheresse, débouche rapidement sur des infrastructures surdimensionnées qui tournent au ralenti. C'est déjà le cas de certains barrages au Kenya. L'impact du changement climatique modifie donc la rentabilité économique de ces ouvrages. Or, si ces infrastructures se révèlent impossibles à rentabiliser, au lieu d'être un vecteur de développement, elles se transforment en un poids supplémentaire pour les générations futures.

A travers nos réalisations, nous pourrons démontrer que le développement durable n'est pas une composante complémentaire des politiques de développement, un luxe ou un supplément d'âmes pour les pays développés, mais bien une nouvelle façon de penser le développement.

Pour ce faire, nous aurons besoin de l'innovation. Celles de nos centres de recherche comme l'IRD et le CIRAD. Celles des entreprises françaises qui disposent de savoir-faire. Des grandes entreprises mais aussi des PME de vos territoires que vous connaissez bien mais qui ne sont pas toujours identifiées par nos partenaires. N'hésitez pas à ce propos à faire remonter vers mes services les expériences et les entreprises que vous connaissez qui peuvent contribuer au développement durable de nos pays partenaires. Il ne s'agit pas, bien entendu, de lier notre aide à la signature de tel ou tel contrat. Mais en matière de services urbains, de mobilité ou d'énergies renouvelables, il existe bien un savoir faire français, un savoir-faire utile au développement.

Nous aurons aussi besoin d'innover dans nos sources de financements. Au-delà de la taxe sur les transactions financières, dont je souhaite qu'une partie des recettes soit affectée au développement, il faut essayer d'utiliser toutes la boîte à outils évoqué par le G20 en matière de financements innovants. Il ya des pistes intéressantes, notamment le menu de 7 options envisagées par le G20 développement, comme la taxe sur les soutes des navires. Nous aurons aussi à innover en termes d'ingénierie financière, en particulier de mixage prêt-don notamment dans les énergies renouvelables. J'ai rencontré à l'occasion de sa venue à Paris le président du Sénégal, Macky Sall. Nous avons évoqué ensemble les grands enjeux de développement pour le Sénégal et en particulier les problématiques énergétiques auxquelles est confronté le pays. Aujourd'hui, le Sénégal envisage de construire une nouvelle centrale électrique - construite par la Corée du Sud - au charbon importé de Chine par bateau. Ce choix, compréhensible, c'est celui de l'énergie la moins chère. Pour changer cette réalité, il nous faut inventer les solutions pour faire en sorte que le choix de l'énergie bon marché sur le long terme devienne celui des énergies renouvelables.

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