Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 juillet 2012 : 1ère réunion
Financement des établissements de santé — Présentation du rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Photo de Alain MilonAlain Milon, rapporteur :

Je vais maintenant évoquer la question de la qualité et de la pertinence des soins et des séjours.

Tout d'abord, il est assez difficile d'isoler les effets propres de la T2A, dans la mesure où elle interagit avec d'autres facteurs. En outre, aucune étude ne paraît avoir été menée en France sur ce sujet.

La T2A présente a priori un risque inflationniste. Il y a eu, c'est évident, un « effet codage », c'est-à-dire une meilleure description des séjours. Ce rattrapage dans l'exhaustivité des systèmes d'information est plutôt derrière nous et la pression ainsi exercée, artificiellement, sur les volumes devrait s'estomper. Cette question ne correspond pas à une augmentation des actes pratiqués mais à leur meilleure retranscription.

Plus généralement, on peut estimer qu'une part significative de l'augmentation de l'activité tient à des facteurs indépendants du mode de tarification : besoins de santé croissants, vieillissement de la population, développement des maladies chroniques et amélioration des techniques médicales (par exemple, les activités de radiothérapie et de chimiothérapie sont parmi les plus dynamiques, notamment parce qu'elles sont plus efficaces).

D'autres phénomènes plus critiquables contribuent cependant au développement de l'activité. Nous avons en particulier été frappés, lors de nos déplacements, par l'importance des actes pratiqués pour des raisons de couverture « médico-légale » au nom du principe de précaution et dans la perspective d'éventuels contentieux. Beaucoup de praticiens nous en ont parlé, les évaluations chiffrées sont impossibles, mais le nombre d'actes concernés ne semble pas du tout marginal.

Autre effet potentiel : le séquençage des séjours. Lorsqu'un patient nécessite un nombre d'actes plus élevé que celui sur lequel est fondé le coût moyen de son séjour ou lorsqu'il est souhaitable de pratiquer un examen ou un acte qui ne relève pas de sa pathologie principale et qui n'est donc pas intégré au GHS, l'établissement a en fait intérêt à laisser sortir le malade pour le faire revenir quelques jours après dans le but de couvrir ses coûts en percevant deux GHS.

Des garde-fous ont certes été créés dans le modèle, mais on nous a régulièrement parlé de ce phénomène de séquençage.

Par ailleurs, il peut exister un risque de sélection des malades vers ceux dont les cas seraient les moins graves et un risque de réorientation des activités vers celles qui seraient, selon le rapport entre coûts internes et tarifs, plus « rentables ». Ces risques doivent être pris en considération mais ils portent certainement plus sur le secteur privé qui peut se réorganiser plus librement et ils nous semblent relativement théoriques : de telles stratégies sont difficilement envisageables pour les grands établissements ou pour ceux qui assurent des missions de service public. En outre, il revient à l'ARS de définir les activités et de les organiser au niveau d'un territoire.

S'agissant de la pertinence des soins et des séjours, et de la qualité des prises en charge, nous souhaitons formuler plusieurs propositions.

La première vise à lutter contre les actes inutiles ou superflus. Une récente étude de la FHF, qui va dans le sens des éléments que nous avons pu recueillir durant ces six derniers mois, révèle un nombre élevé d'actes inutiles : les médecins, en ville ou à l'hôpital, estimeraient, pour des raisons diverses, que 28 % des actes se sont pas pleinement justifiés. Les actes inutiles n'ont pas nécessairement une motivation financière, liée à la T2A pour la partie hospitalière, mais ils ont en revanche un impact financier. Nous proposons de développer, de manière plus volontariste, les référentiels et autres guides de bonnes pratiques de la HAS et des sociétés savantes et de créer, au sein des ARS, un observatoire de la qualité et de la pertinence des soins.

Pour se prémunir d'une augmentation des actes qui serait la conséquence d'une mauvaise application du principe de précaution, il faut remettre à plat la question de la couverture assurantielle des praticiens et des établissements et améliorer les expertises judiciaires pour les rapprocher de l'exercice médical tel que les praticiens le vivent aujourd'hui.

Enfin, les études de santé, initiales et continues, doivent intégrer une dimension médico-économique comprenant une sensibilisation à la pertinence des actes.

Il nous faut aussi déployer une véritable stratégie de la qualité. Nous avons régulièrement entendu la proposition d'intégrer la qualité dans le système de financement par des incitations ; nous sommes perplexes quant à la capacité technique d'un tel processus et sur sa légitimité même. En effet, la démarche de qualité est particulièrement protéiforme ; elle nécessite de définir des indicateurs dans de multiples domaines : sécurité des patients, gestion des risques (prise médicamenteuse, dispositifs médicaux, environnement...), taux de mortalité, durée du séjour, réadmissions, ré-interventions, complications, infections nosocomiales ou autres événements indésirables. En outre, les résultats d'une intervention ou d'un traitement sont influencés à des degrés divers par les caractéristiques des patients : âge, sexe, gravité, comorbidités associées, statut socio-économique, capacité à suivre les prescriptions... De ce fait, il est presque impossible de « modéliser » la qualité pour qu'elle intègre un système de financement, surtout quand il est lié à l'activité.

Qui plus est, la France est très en retard dans la prise en compte de la qualité et il ne faudrait pas reproduire le défaut que nous avons évoqué au sujet de la T2A : faire porter à l'outil plus qu'il ne le peut, pour éviter de prendre d'autres types de décisions. Le monde médical et administratif a toujours été réticent sur la publication d'indicateurs de qualité. D'autres pays ont pourtant avancé sur cette question et il est temps d'engager une démarche concertée et scientifiquement fondée, ne serait-ce que pour éviter les « palmarès » qui fleurissent chaque année dans les magazines et qui sont souvent réducteurs.

Nous proposons en conséquence de déployer une véritable stratégie de la qualité, en confiant une mission explicite de supervision à une institution indépendante dotée de l'autorité suffisante. Il faut également améliorer les indicateurs existants et les compléter par des enquêtes de satisfaction et des sondages auprès des patients et des personnels soignants. En outre, la publicité d'indicateurs pertinents et scientifiquement fondées doit être organisée largement car la réputation d'un établissement est tout aussi importante que d'éventuelles incitations tarifaires.

Pour aller plus loin, nous proposons de sanctionner les établissements lorsqu'y surviennent des événements indésirables, par exemple en ne leur remboursant pas certains séjours. Enfin, les dotations non tarifaires devraient inclure une enveloppe dédiée à la qualité attribuée sur appels à projets.

La T2A ne tend pas naturellement à favoriser l'innovation car elle promeut plutôt une forme de « process industriel ». En outre, la France est encore nettement en retard en ce qui concerne le développement de la télémédecine pourtant très prometteuse pour répondre aux enjeux présents du système de santé : isolement de certains patients, démographie médicale... Nous proposons d'intégrer les actes de télémédecine explicitement dans la grille tarifaire pour en assurer la visibilité et la pérennité. Globalement, la T2A doit être conçue pour ne pas nuire au développement de pratiques innovantes.

Le système de santé français s'est construit, comme beaucoup d'autres, sur la prise en charge aiguë d'une pathologie, dans un temps où l'espérance et les modes de vie limitaient le développement des maladies dégénératives et / ou chroniques. Aujourd'hui, 9 millions de personnes sont en affection de longue durée, soit 15,5 % de la population, ce qui représente quasiment les deux tiers des dépenses de l'assurance maladie. Le seul diabète, première ALD en effectifs, pèse 10 milliards d'euros pour l'assurance maladie, soit 7,5 % de l'Ondam. On estime plus largement à 15 millions le nombre de personnes atteintes d'une maladie chronique.

Il est donc nécessaire d'adapter le système de santé et la prise en charge sanitaire pour prendre en compte ces nouvelles données. Par exemple, on sait qu'un certain pourcentage des hospitalisations est évitable, notamment pour les personnes âgées et alors même que celles-ci se retrouvent souvent dans un état de santé dégradé au sortir de l'hôpital car elles ne relevaient pas nécessairement d'une prise en charge sanitaire lourde. Tous les établissements connaissent le phénomène d'arrivées importantes de patients âgés le vendredi à l'hôpital...

La coordination entre l'ensemble des acteurs est primordiale, tant en termes d'échange d'informations que de pratiques professionnelles ; cette concertation dans la prise en charge doit concerner à la fois les praticiens en ville et tous les établissements (sanitaires, SSR et médico-sociaux). Or, la T2A peut se révéler être un handicap de ce point de vue car elle n'est pas organisée autour du malade mais de sa maladie. Sa logique peut être antinomique de celle d'un parcours de soins ou de santé au sens large. Aux Etats-Unis, des programmes ont été lancés pour mettre en place un paiement global, du début à la fin d'une prise en charge, par exemple pour les pontages coronariens, la chirurgie bariatrique ou les angioplasties.

Nous proposons d'engager rapidement une réflexion sur une tarification « au parcours » en identifiant les pathologies pouvant faire l'objet d'une expérimentation. Cela suppose de « casser » les cloisonnements actuels, ne serait-ce, de manière anecdotique, qu'entre les sous-objectifs de l'Ondam, pour dégager une enveloppe de financement globale pour la prise en charge du patient, du diagnostic au traitement et aux soins postérieurs à l'hospitalisation.

Je terminerai cette présentation par les trois secteurs qui ne sont pas couverts actuellement par la T2A.

Les anciens hôpitaux ruraux doivent théoriquement passer à la T2A le 1er mars 2013. Or, ils seront touchés de plein fouet par les effets pervers actuels de ce mode de financement : ils développent surtout une activité médicale, notamment gériatrique, très peu chirurgicale ou obstétricale ; les bassins de population dans lesquels ils exercent sont souvent vieillissants. Pourtant, les hôpitaux locaux rendent un véritable service public de proximité et permettent de stabiliser les médecins et les autres personnels soignants libéraux en leur ouvrant la possibilité de remplir des vacations et en assurant un point de référence sur le territoire. Naturellement, ces hôpitaux locaux ne sauraient devenir des hôpitaux généraux, disposant de tout le plateau technique ; ils doivent remplir des missions spécifiques. C'est pourquoi nous proposons de suspendre le passage à la T2A des hôpitaux locaux dans l'attente d'une réflexion stratégique sur leur place dans le système de santé.

De leur côté, les établissements de soins de suite et de réadaptation doivent en théorie passer à la T2A le 1er janvier prochain. La préparation et l'élaboration du modèle ont avancé mais des travaux complémentaires importants sont, de l'avis unanime, encore nécessaires, à quelques mois de l'échéance. Surtout, il nous semblerait opportun d'intégrer l'évolution du mode de financement des SSR dans l'idée du parcours de santé dont j'ai parlé précédemment. Autant profiter de l'occasion qui nous est donnée de réfléchir concrètement à cette question, alors même que le SSR s'y prête parfaitement. C'est pourquoi nous proposons de confier à l'Igas une mission sur le passage à la T2A des activités de SSR dans le cadre d'une évolution vers le financement d'un parcours de soins.

Régulièrement est affiché l'objectif - certes lointain - de faire passer le financement des soins psychiatriques dans une tarification à l'activité. Comme vous le savez, notre commission m'a confié une mission sur l'état de la psychiatrie en France. Il nous semble largement prématuré d'avancer sur la voie de la T2A alors même que le secteur ne connaît pas de pratiques, de référentiels ou de cadres thérapeutiques comparables. Le processus de rapprochement et d'évaluation des pratiques professionnelles ne peut qu'être un préalable à la réforme du financement, même si celle-ci est indispensable.

Voici, mes chers collègues, nos principales propositions qui visent, vous le voyez, à faire évoluer un mode de financement dont beaucoup de nos interlocuteurs soulignent qu'il ne saurait rester figé. Après les prix de journée, après la dotation globale, la T2A marque un nouveau cycle dans la recherche d'une meilleure allocation des ressources, en les dirigeant là où se situent les besoins de santé et où l'on peut le mieux y répondre. Il nous semble que dans ce cadre, bien des améliorations peuvent être apportées, à la fois pour prendre en compte des activités ou des situations qui se prêtent mal au financement par tarifs et pour veiller à ce que la pertinence et la qualité des prises en charge restent en tout état de cause le fondement du fonctionnement de nos établissements.

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