Après son adoption, le rapport de la mission d'information a été très bien repris dans les médias, que ce soit à la radio ou dans la presse écrite. Trop souvent, les journalistes se sont focalisés, parmi nos trente-huit propositions, sur celle concernant l'interdiction des cabines de bronzage. Cela nous a d'ailleurs valu bien des critiques et des insultes ; les professionnels du secteur ne partagent bien évidemment pas notre position. Il appartiendra au législateur de trancher ; la mission n'a pas d'autre pouvoir que celui de faire des recommandations.
Pour revenir brièvement sur les cabines à UV, elles sont reconnues comme un facteur d'augmentation des pathologies cutanées, notamment de la plus grave d'entre elles, le mélanome. Lorsqu'il n'est pas traité, celui qui en est victime a une espérance de vie qui ne dépasse pas six mois. De ce fait, et en dehors des applications médicales comme la puvithérapie, leur interdiction a déjà été prononcée dans un pays, le Brésil, qui passe pour mettre l'accent sur l'esthétique. Le même raisonnement a prévalu en Nouvelle-Galles du Sud, l'Etat le plus peuplé d'Australie. En Islande, où le mélanome était inconnu il y a quarante ans, on constate un développement de cette maladie de la peau depuis que des cabines de bronzage y ont été importées. Il ne faut pas laisser ces machines, qui posent un vrai risque de long terme à la santé de ceux qui les utilisent, entre les mains de personnes qui n'ont pas conscience des dangers qui y sont liés. Leur formation est insuffisante. C'est une question, à mes yeux, d'une telle importance qu'il fallait ouvrir le débat. On peut espérer qu'un jour cette recommandation soit suivie d'effet. Il faut prendre exemple sur le Brésil, où la justice a considéré que le droit à la santé doit prévaloir sur le droit au libre exercice de l'activité économique.
La recommandation d'interdiction rejoint donc pleinement le fil conducteur de nos travaux : faire prévaloir la sécurité dès lors qu'il est question de santé publique.
C'est d'abord le cas en matière de dispositifs médicaux implantables. Malheureusement, cette dramatique affaire PIP est venue confirmer les craintes que nous avions exprimées à l'automne 2011 lors de la discussion de la loi « Médicament » : nous sommes confrontés à un scandale sanitaire impliquant un dispositif médical.
L'affaire PIP n'est pas seulement celle d'une utilisation frauduleuse d'un gel de silicone impropre à un usage médical. C'est aussi l'illustration la plus radicale du mauvais fonctionnement des mécanismes d'encadrement des dispositifs médicaux. Sur ce point, la mission propose d'agir dans deux directions : réformer en profondeur le mécanisme de mise sur le marché des dispositifs et mettre en oeuvre un véritable suivi après implantation. Le premier volet relève, pour l'essentiel, du droit communautaire ; le second, de notre réglementation nationale.
La Commission européenne a engagé une vaste réforme des directives relatives aux dispositifs médicaux. Elle pense pouvoir proposer un projet de règlement à l'automne. Tel qu'il nous a été décrit, ce projet consiste à modifier le système existant mais pas à le remplacer par un mécanisme proche de celui qui s'applique au domaine du médicament. Il aurait été possible de se rapprocher du régime d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments, sans bien sûr le copier. Ce n'est pas la voie qui a été retenue. En clair, pour être mis sur le marché, les dispositifs médicaux, comme l'ensemble des marchandises, doivent obtenir le marquage CE. Celui-ci est délivré par des « organismes notifiés », entreprises privées payées par le fabricant. S'il n'en est pas content, celui-ci peut en changer. Le travail des organismes certificateurs se déroule dans une grande opacité, d'autant que dans le système actuel, rien n'oblige le fabricant à fournir un échantillon de son produit. Au contraire, il peut obtenir la certification simplement en présentant des études réalisées précédemment, c'est ce qu'on appelle la voie bibliographique. S'il peut démontrer que son produit est équivalent à un autre dispositif déjà sur le marché, là aussi, il n'est pas obligé de présenter le produit lui-même et tout peut se passer sur dossier écrit. C'est vraiment n'importe quoi !
La Commission européenne paraît décidée à modifier sensiblement ce système, en imposant une plus grande rigueur aux organismes notifiés, tant en ce qui concerne leurs méthodes de travail que les conditions dans lesquelles ils effectuent les contrôles après mise sur le marché. Il est donc essentiel de s'efforcer de peser sur les choix de la Commission afin de renforcer la rigueur à toutes les étapes.
En premier lieu, il faut neutraliser l'« effet domino » : un dispositif ne doit pas pouvoir être certifié par équivalence avec un dispositif qui a lui-même été certifié par équivalence. Il faut aussi interdire le « forum shopping » ; en clair un fabricant qui s'est heurté au refus de certification par un organisme notifié ne doit pas pouvoir se tourner vers un autre afin d'obtenir le marquage CE. Pour cela il est indispensable que les dispositions qui existent déjà soient vraiment respectées et que les organismes notifiés puissent avoir accès à la base de données Eudamed qui recense ce type de décisions, aujourd'hui réservée aux autorités nationales. Les organismes notifiés doivent être tenus d'effectuer des contrôles inopinés chez les fabricants. Il faut aussi contrôler de la même manière, aléatoirement, les produits une fois sur le marché. Enfin, ils doivent être eux-mêmes mieux contrôlés, notamment par des inspections conjointes de plusieurs autorités nationales.
On rejoint là une préoccupation constante : permettre une meilleure circulation de l'information. Dans l'affaire PIP, c'est ce qui a manqué : les inspections réalisées par les autorités américaines et australiennes, qui avaient des doutes sur l'ensemble de la qualité de la chaîne de fabrication, ne sont jamais parvenues jusqu'aux autorités sanitaires françaises. C'est ce qui nous a été affirmé, mais c'est tellement curieux que parfois j'en doute.
La circulation de l'information doit également constituer le maître-mot du suivi des dispositifs après leur implantation. Dans ce domaine, nous ne pouvons incriminer Bruxelles. Si les défauts de conception des prothèses de hanche DePuy ont été détectées en Australie et en Suède et non pas en France, c'est parce que nous ne tenons pas de registres exhaustifs des dispositifs. Nous n'avons pas la culture de ces registres, contrairement au Danemark et à la Suède. Dans ces pays, un dispositif médical est suivi dès son implantation et le patient fait régulièrement l'objet de visites de contrôle.
Dans le même ordre d'idées, il faut simplifier la déclaration d'incidents graves, et accroître la transparence des liens d'intérêt. Plus généralement, plusieurs dispositions de la loi « Médicament » concernant les dispositifs médicaux restent en l'attente des textes d'application. La ministre nous a annoncé la sortie prochaine de plusieurs d'entre eux, il nous faut être vigilants sur ce point.
J'en viens à la chirurgie esthétique, pour laquelle la France fait figure d'exemple. Le délai de réflexion de quinze jours avant l'intervention, l'interdiction de la publicité, l'encadrement des interventions sont des éléments essentiels dont plusieurs pays cherchent à s'inspirer.
En revanche, en matière de médecine esthétique, c'est la jungle. Le marché est en forte croissance et de nouvelles techniques apparaissent sans cesse. La frontière entre les actes accomplis par les professionnels de santé - médecins ou dentistes dans certains cas - et ceux réalisés par les esthéticiennes s'estompe, sans oublier que certains matériels sont désormais en vente libre, je pense par exemple aux lampes à lumière pulsée utilisées pour la dépilation. Celles proposées dans le commerce sont des escroqueries. Elles ne sont pas dangereuses mais n'ont aucun effet dépilateur : au contraire, elles augmentent la force du poil et n'attaquent pas sa racine !
Il est difficile d'y voir clair, d'autant que si certains dangers sont avérés, d'autres risques ne sont que potentiels, ce qui fait peser une incertitude juridique sur les mesures susceptibles d'être décidées. C'est ce qui s'est produit l'année dernière avec les techniques de lyse adipocytaire, dont la suspicion de nocivité n'était que potentielle. Le décret pris par le Gouvernement en avril 2011 a été en partie invalidé par le Conseil d'Etat.
En attendant, il faut clarifier les choses et faire prévaloir la sécurité, en agissant dans plusieurs directions. Les actes potentiellement dangereux doivent être réservés aux seuls médecins. Ce devrait être le cas des procédés de dépilation, lasers ou lampes à lumière pulsée au-delà d'une certaine puissance. Il faut aussi préciser les conditions de formation des médecins esthétiques. La médecine esthétique ne doit pas constituer une spécialité à part entière mais les praticiens doivent disposer d'une véritable capacité. La création d'un Desc, diplôme d'études spécialisées complémentaires, est donc indispensable dans ce domaine.