Intervention de Arnaud Montebourg

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Arnaud Montebourg ministre du redressement productif

Arnaud Montebourg, ministre :

Si dans certains secteurs, les constructeurs demandent une baisse du coût du travail, ce n'est pas le cas dans d'autres filières.

Les coûts de production ont, je le rappelle, trois composantes et ne se limitent donc pas au coût du travail, et du financement de la protection sociale. Sur ce premier point, le Premier ministre a confié à Louis Gallois une mission d'enquête qui permettra de structurer le débat dès la rentrée. Car il n'y a pas de débat interdit et vous serez invités à participer pleinement à cette analyse afin que nous arrivions au point de vérité. La Nation ne doit ni esquiver ni escamoter le débat.

En second lieu, il faut aussi prendre en compte le coût du capital, et -disons-le- la « gourmandise » du système financier. L'anglo-saxonisation de notre économie pose un vrai problème, car elle ne correspond pas à l'ADN de notre modèle économique et social. L'utilisation de l'endettement comme moyen d'acquisition des entreprises, par le LBO (leveraged buy-out ou acquisition avec effet de levier), a provoqué de nombreux dégâts, et lorsque le ratio ROE (return on equity ou rendement des capitaux propres) sert de boussole à l'ensemble des investisseurs au point de fermer des entreprises pourtant profitables parce qu'elles n'ont pas une rentabilité à deux chiffres. Où est donc la nationalité et l'équité ? Quand les outils industriels rentables disparaissent ? Face à ce que le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz appelle la cupidité de la finance, il faut rechercher dans toutes les directions des outils de modération. La modération, voilà l'esprit du ministère du redressement productif.

Troisième facteur, l'énergie dont le prix est devenu un élément de la productivité de notre industrie. L'un des enjeux du débat sur l'énergie que Delphine Batho mènera sans aucun tabou, sera de préserver nos acquis tout en imaginant un avenir qui passe notamment par les filières des énergies renouvelables - nous espérons être leaders dans de nouvelles filières. Cet équilibre appartient à notre intelligence collective.

L'autre grand volet de notre plan de reconquête industrielle, est celui du financement. Pourquoi a-t-on imaginé la Banque publique d'investissement (BPI) ? Un tel outil serait superflu si le secteur bancaire privé faisait correctement son travail et finançait l'économie réelle sans se focaliser sur la rentabilité à court terme : la patience est l'arme des investisseurs, l'impatience, l'attribut du système financier. C'est cette contradiction que nous voulons résoudre en créant les conditions d'une mobilisation de notre épargne, véritable atout de la France dans la mondialisation, que nous utilisons peu. Au contraire, nous laissons se développer l'assurance-vie, c'est-à-dire une épargne défiscalisée dont l'encours s'élève entre 1.300 et 1.500 milliards d'euros sans contrôle suffisant sur les investissements qu'elle finance.

La BPI offrira aux entreprises un guichet unique pour l'accès à Oséo ou au Fonds Stratégique d'Investissement (FSI) et rapprochera du terrain les lieux de décision. Les élus locaux y joueront un rôle important en contribuant à la décision sur les engagements financiers. Dans notre esprit, la BPI s'apparente au modèle des banques mutualistes des Länder allemands, dans lesquelles la prise de décision est totalement décentralisée par l'entremise d'un système de drainage de l'épargne locale. Tout en conservant une cohérence nationale, il faut en effet augmenter les possibilités d'engagement sur les territoires. On n'ira plus à Paris plaider un dossier FSI à Paris quand on peut le faire plus efficacement sur le terrain, croyez-en un ancien président de conseil général et conseiller général d'un canton de 2 000 âmes !

En outre, nous ne souhaitons pas que la BPI se comporte comme une banque privée. Au contraire, elle sera une alternative, avec une autre vision de l'investissement, plus de patience et moins de « gourmandise ». Nous allons créer des circuits courts d'épargne, le livret d'épargne industrie servant à financer la PME locale, celle que l'on connaît, qui embauche vos enfants et dont vous appréciez et consommez les produits. Bref, nous voulons ainsi solidariser les territoires autour des entreprises.

En matière d'innovation, beaucoup de choses ont été faites grâce au grand emprunt, à telle enseigne que, député de l'opposition et représentant spécial du candidat François Hollande, je disais qu'il faudrait presque un grand emprunt par an. Nous n'avons certes pas besoin d'endettement public supplémentaire, mais de mobiliser l'investissement et d'attirer les financements privés, voire de les allier à l'investissement public. La France et l'Europe doivent inventer les produits de demain pour que, la production étant aussi un acte culturel, nous ne devenions pas dépendants d'autres cultures ou d'autres identités. Le financement de l'innovation technologique constitue bien un enjeu à la fois national et local, y compris dans des territoires où les PME sont actuellement livrées à elles-mêmes, sans grand groupe pour les aider. Nous investirons pour faciliter la rencontre entre l'innovation technologique, les laboratoires de recherche, et les écosystèmes économiques locaux.

Quel arbitrage dans nos préférences collectives entre producteurs et consommateurs ? En observant certaines évolutions, l'on pourrait imaginer que nous sommes avant tout une nation de consommateurs se ruant sans réflexion suffisante sur le low-cost. Toutefois, selon une étude du CREDOC, 60 à 65 % des Français accepteraient de payer plus cher un bien ou un service produit dans notre pays. Ce changement fondamental signifie que le consommateur est devenu acteur et citoyen : en poussant son caddy, il s'intéresse au circuit de fabrication de la marchandise qu'il acquiert. Objectif politique, le pouvoir d'achat devient suicidaire quand il passe par la destruction de nos entreprises, de nos emplois.

Nous devons réconcilier le consommateur et le producteur. C'est le sens du travail que nous menons avec Fleur Pellerin sur la téléphonie mobile. Nous ne souhaitons pas reprendre aux consommateurs les avantages qu'ils ont acquis mais nous regardons ce qui se passe dans le monde : il y a deux grands opérateurs et deux petits aux Etats-Unis, il y en a deux en Chine, et l'Europe en compte 140 pour 400 millions d'habitants. La balkanisation, la concurrence libre et non faussée, presque sauvage, aboutiront pour les Européens à la perte de souveraineté dans le numérique. Nous serons de simples consommateurs offrant leurs données personnelles comme des objets commerciaux à d'autres puissances, comme nous le faisons déjà avec Facebook ou Google. Nous ne pouvons plus nous contenter d'être des consommateurs amoureux du court terme, notre souveraineté numérique passe par la défense du producteur.

Il est nécessaire de dresser le bilan des années low-cost et de constater les délocalisations dans le secteur automobile, les difficultés d'Air France, ou les plans sociaux dans la téléphonie mobile, comme chez SFR et Bouygues qui affichaient pourtant des résultats et une rentabilité exceptionnels.

Dans le secteur des télécommunications, nous associerons le Parlement aux arbitrages politiques de réequilibrage. La discussion sera aussi multipartite puisqu'elle concerne les syndicats, qui défendent les victimes des plans sociaux, et aussi les salariés invisibles des sous-traitants ; elle concerne également les opérateurs qui cherchent à rétablir leurs marges et leurs dividendes et auxquels nous demanderons quelques efforts, notamment de recapitalisation. Nous discuterons avec les associations de consommateurs, qui nous interrogent légitimement sur les raisons de la remise en cause de certains acquis. Cet équilibre sera défini avec la nation tout entière.

Enfin, la nécessité de réorienter l'Europe vers la croissance fait, grâce à François Hollande, l'objet d'une prise de conscience de la part des dirigeants de l'Union. Le président a installé ce débat au coeur de l'agenda économique européen en pleine crise de la zone euro. Les décisions de remise en ordre des comptes publics doivent être compensées par une mobilisation des ressources européennes favorables à la croissance, car rien n'est pire que d'aggraver les difficultés en pensant les résoudre, comme le médecin de Molière tue le malade qu'il croit soigner par la saignée.

Cette réorientation vaut aussi en matière de politique de la concurrence et de politique commerciale extérieure. Le bloc juridico-politique qui organise la concurrence permanente entre les Européens interdit la naissance de champions européens ou nationaux et favorise toujours le consommateur au détriment du producteur, ce qui nous expose à voir d'autres puissances venir faire leur shopping en Europe, ramasser les brevets, les technologies ou les outils de travail, et faire disparaître les emplois de nos territoires.

Nous demandons la réciprocité en matière commerciale, c'est à dire que l'Europe se défende des divers comportements protectionnistes qu'elle subit des autres pays. La concurrence mondiale déloyale doit être combattue et j'ai déjà, avec l'aide d'un certain nombre de ministres de l'industrie de l'Union, pris des initiatives en ce sens dans le cadre du Conseil de compétitivité. Vis-à-vis de nos concurrents déloyaux, qui ne sont pas soumis aux règles de Bruxelles, nous revendiquons le droit de l'Europe à défendre les Européens plutôt que de les accabler.

Tel est l'esprit du ministère du redressement productif.

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