Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 27 juillet 2012 à 9h30
Loi de finances rectificative pour 2012 — Article 25

Jérôme Cahuzac  :

L'avis du Gouvernement est, évidemment, défavorable.

Les propos qui ont été tenus s'adressaient peut-être moins à ceux qui siègent dans cette enceinte qu'à d'autres. Trois questions ont été soulevées.

La première, d'ordre juridique, sera vite réglée. Confondre les revenus du patrimoine avec ceux du travail n'est pas raisonnable. Exciper de la jurisprudence européenne ou de celle de la Cour de cassation pour prétendre que les revenus concernés sont des revenus du patrimoine peut avoir deux explications : soit on en a fait une mauvaise lecture, soit on a reçu des informations erronées.

Le Conseil constitutionnel est clair : la CSG comme la CRDS sont des impositions de toute nature, bref, des impôts, et non des cotisations sociales.

Puisque cette loi de finances rectificative sera évidemment soumise au Conseil constitutionnel, je ne doute pas une seconde qu'il réaffirmera la nature de la CSG et celle de la CRDS.

Voilà au moins tout un pan de l'argumentation adverse qui ne devrait plus être repris dans cet hémicycle. C'est en tout cas le vœu que je forme.

Au-delà du débat juridique, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques-uns d'entre vous ont cru opportun de soulever une deuxième question, qui est une question de fond : sous prétexte que telle ou telle contribution assurerait le financement de certaines prestations, ceux qui n'en bénéficieraient pas devraient en être exonérés. Quel raisonnement curieux ! Finalement l'impôt est envisagé comme une contribution consumériste et non comme une contribution universelle.

Il y a sûrement parmi vous des parlementaires dont les enfants ne sont plus scolarisés et dont les petits-enfants ne sont pas encore en âge de l'être. Doivent-ils pour autant être exonérés de la quote-part de leur impôt qui reviendrait à l'éducation nationale ? Tel est le raisonnement que certains d'entre vous ont tenu : dès lors que l'on ne bénéficie pas des prestations sociales que la CSG et la CRDS contribuent à financer, il faudrait être exonéré des ces impositions.

Si l'on pousse le raisonnement jusqu'à son terme, un citoyen qui estimerait faire son affaire de l'élimination des déchets ménagers serait en droit de s'exempter de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Chaque unité la plus élémentaire de notre société pourrait, ainsi, décider librement quelle contribution elle consent et quelle contribution elle refuse, en fonction de ses usages personnels. Au bout du compte, cela revient à nier totalement toute vie collective, toute vie sociale, toute mutualisation, bref, tout destin collectif.

Vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement ne partage pas cette conception. Il souhaite que les impositions de toute nature, donc la CSG et la CRDS, soient affectées du caractère universel que suppose un destin collectif.

À la lecture du compte rendu de vos travaux, certains seront intéressés d'apprendre que, pour défendre des compatriotes expatriés, quelques-uns parmi vous ont cru bon de remettre en cause le principe fondamental du consentement à l'impôt, dont la finalité est d'assurer non seulement le fonctionnement, mais surtout le destin d'un pays et d'une communauté d'individus ayant décidé de mutualiser leur histoire, leur passé, leur présent, leur futur. À chacun d'avoir la conception qu'il souhaite !

La troisième question est d'ordre fiscal. C'est un débat intéressant, voire amusant.

En matière de fiscalité, il existe un principe auquel nombre d'entre vous se sont souvent référés par le passé : celui de la territorialité de l'impôt. J'ai cru comprendre que ce principe était aujourd'hui remis en cause par ceux qui rejettent les dispositions de l'article 25 du projet de loi.

Notre pays adhère au principe de territorialité, inscrit dans notre droit et sur lequel sont fondées toutes les conventions fiscales que nous avons pu signer.

Un seul pays, les États-Unis, conteste ce principe en lui préférant celui de nationalité, mais assorti de très nombreuses dérogations : dès lors que l'un de ses résidents travaille, où que ce soit, il doit des impôts à son État de nationalité et non à son État de résidence.

C'est d'ailleurs en s'inspirant du droit nord-américain que certains ont pu estimer que nos compatriotes expatriés devaient acquitter des impôts en France, lors même que c'était à l'étranger qu'ils produisaient la richesse.

J'ai même entendu certains représentants des Français de l'étranger s'indigner que puisse être émise, sur notre territoire, l'idée de voir les expatriés contribuer à la prospérité et aux ressources de l'Hexagone, puisque, précisément, étant expatriés, en vertu du principe de territorialité, ceux-ci n'avaient pas à acquitter la moindre contribution assise sur des revenus tirés d'un travail effectué à l'étranger.

Or ce sont les mêmes qui, aujourd'hui, récusent le principe de territorialité et se fondent sur le principe de nationalité qu'auparavant ils estimaient scandaleux !

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut choisir ! Si vous gardez en tête de telles idées, ne soyez pas surpris s'il est demandé un jour aux Français expatriés de contribuer, en France, à l'impôt sur le revenu, à la CSG et à la CRDS sur la totalité de leurs revenus, fussent-ils conquis en dehors de nos frontières !

Si cette perspective vous effraie, je vous conseille d'accepter le principe de territorialité : dès lors que des loyers sont perçus ou que des plus-values immobilières sont enregistrées en France, des impositions de toute nature telles que la CSG et la CRDS s'appliquent.

Récuser le principe de territorialité, c'est, je le répète, ouvrir la voie au principe de nationalité. Je suis prêt à vous suivre jusqu'au bout, mais je doute que telle soit votre intention. Je vous demande de faire preuve d'un peu de cohérence : retirez vos amendements et votez l'article 25.

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