Je voudrais à mon tour exprimer les craintes que cet article m'inspire. Ces craintes relèvent de considérations d'ordre économique et social.
D'un point de vue économique, si l'épargne salariale est essentielle, c'est parce qu'elle permet notamment de créer de l'épargne longue dans les véhicules d'épargne retraite. Nous savons que notre système d'assurance vieillesse, avec ses différents niveaux – l'assurance obligatoire, les régimes complémentaires par répartition – nécessite un « troisième étage », un étage « surcomplémentaire ». Cet étage est bienvenu pour celles et ceux qui ont la possibilité de lui consacrer des versements volontaires et peuvent y être incités par des abondements de leur employeur.
Depuis vingt ans, j'ai toujours été de ceux qui pensent que l'épargne salariale doit trouver sa place et qu'elle a un rôle important à jouer dans le dialogue social au sein des entreprises. En effet, c'est ainsi que les partenaires sociaux, représentants de la direction et des salariés, appelés à dialoguer autour d'une table et à trouver des solutions empiriques pour définir des régimes, pour acquiescer au système d'abondement ou pour surveiller ensuite la gestion de ces fonds, progressent dans l'exercice de leurs responsabilités.
Notre économie a cruellement besoin de cette épargne longue : au regard des nouvelles règles comptables qui s'imposent, nous savons tous que la situation de la France en Europe est, hélas ! originale. La France est beaucoup plus vulnérable à la nouvelle normalisation comptable internationale entérinée par l'Union européenne, parce qu'elle a choisi – et personne, ici, ne penserait à revenir sur ce choix fondamental – de fonder la couverture du risque vieillesse sur des systèmes par répartition. De ce fait, l'espace disponible pour les régimes d'épargne retraite est plus réduit que dans d'autres pays. Or vous savez qu'en matière de répartition des actifs et de calcul des risques du système d'assurance, les normes ont de plus en plus un effet dissuasif quant à la détention d'actions. Dès lors, pénaliser la constitution de cette épargne longue, ralentir les flux qui lui permettront de se sédimenter davantage est, sans doute, une erreur économique, je n'hésite pas à le dire ! Seuls les fonds d'épargne retraite peuvent se permettre, aujourd'hui, de détenir dans leurs actifs plus de 50 % d'actions ou de placements en fonds propres – de l'ordre de 60 % pour les PERCO, si ma mémoire est bonne.
À cela s'ajoute la préoccupation que peut nous inspirer l'indépendance capitalistique de nos entreprises. Jean-Pierre Chevènement a évoqué ce point et il me remettait en mémoire l'épisode vécu par un grand groupe français du BTP, le groupe Eiffage. Ce groupe a pu sauver son indépendance, certes avec l'appui de la Caisse des dépôts et consignations, grâce aux 17 % du capital détenus par l'actionnariat salarié, au moment où un grand groupe espagnol du BTP – c'était un autre temps ! –, pris de rêves de grandeur, essayait d'en prendre le contrôle.
Certains se rappellent sans doute cet épisode qui a défrayé la chronique et les contentieux qui en ont résulté : toujours est-il que ce grand groupe étranger se trouvait très près de prendre le contrôle de cette entreprise française. Compte tenu de l'évolution de la situation économique et financière de l'Espagne lors des dernières années, il est vraisemblable que ce grand groupe aurait été démantelé peu après et que la perte, en termes d'emploi et de substance économique, aurait été considérable. Le fonds commun représentatif des salariés a donc été un élément essentiel dans la solution qui a assuré l'indépendance durable de cette entreprise.
Donc, sur le plan économique, je crois que cette hausse importante et brutale, monsieur le ministre, va avoir des conséquences défavorables, et je le déplore. Certes, vous l'avez dit, le forfait social n'est pas votre invention. Il a évolué selon une progression arithmétique d'année en année, mais, si vous nous aviez proposé 10 % ou 12 %, je crois que…