Permettez-moi tout d'abord de saluer la présence de notre collègue Jean-Claude Carle, qui a présidé la mission d'information de 2007 relative à la formation professionnelle dont j'ai été membre.
Cette proposition de loi relative au développement de l'alternance et à la sécurisation des parcours professionnels prolonge notre discussion de la semaine dernière sur l'article 8 du projet de loi de finances rectificative pour 2011 relatif à la réforme de la taxe d'apprentissage. Nous en venons aujourd'hui aux principales mesures législatives traduisant le plan annoncé par le Président de la République en faveur des jeunes suivant une formation en alternance, l'objectif étant d'atteindre le seuil de 800 000 jeunes en alternance en 2015. Ce texte propose des réponses simples et efficaces aux difficultés que peuvent rencontrer de nombreux jeunes pour accéder à l'emploi et certains employeurs pour recruter.
Depuis son dépôt à l'Assemblée nationale au mois d'avril, il a connu plusieurs évolutions importantes. Son article 6, le bonus-malus sur l'apprentissage, a ainsi été intégré à l'article 8 du projet de loi de finances rectificative. Ses deux derniers articles, consacrés au partage de la valeur ajoutée dans l'entreprise, figurent maintenant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour 2011 que nous examinerons prochainement. En outre, saisis en application du protocole de consultation sur les propositions de loi touchant au domaine social, les partenaires sociaux ont conclu deux accords nationaux interprofessionnels (Ani) qui sont venus enrichir le texte initial. Surtout, le dispositif d'ensemble a considérablement évolué, puisqu'il est passé de douze à trente-neuf articles qu'il est assez difficile d'ordonner clairement.
J'ai retenu quatre thématiques principales, dont la première concerne le développement de l'alternance. Cette proposition de loi présente un ensemble de mesures en faveur des 600 000 jeunes qui suivent aujourd'hui une formation en alternance et qui, espérons-le, seront demain encore plus nombreux à le faire. Sans doute avons-nous tous, élus locaux, été un jour ou l'autre appelés à l'aide par des jeunes de nos départements qui ne parvenaient pas à trouver de place en apprentissage. J'ai moi-même, hier encore, reçu l'appel d'un jeune homme qui ne parvient pas à trouver de maître d'apprentissage dans le domaine de la maintenance informatique.
Le texte doit leur apporter des solutions concrètes : nouvelles possibilités de formation en CFA pendant qu'ils continuent leur recherche ; mise en place de passerelles pour ceux qui souhaiteraient changer de formation en cours de route et se réorienter vers un bac professionnel ou vers un CAP. L'alternance constitue une vraie réponse à la précarité grandissante qui touche certains jeunes, bien plus exposés aux effets des crises que nous ne l'étions à leur âge. C'est pourquoi cette proposition de loi s'attache à rendre l'apprentissage plus attractif et mieux valorisé.
Contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, elle n'envisage aucunement d'ouvrir l'apprentissage à quatorze ans - un débat que nous avons déjà eu par le passé. En revanche, elle souhaite revaloriser le statut de l'apprenti en créant une carte « étudiant des métiers » qui lui accordera les mêmes avantages, économiques, sociaux et culturels, que la carte d'étudiant. Je vous proposerai, d'ailleurs, de réserver son attribution aux seuls apprentis et de ne pas l'étendre aux bénéficiaires de contrats de professionnalisation, comme cela a été voté à l'Assemblée nationale.
L'apprentissage ne se développera pas sans la coopération complète des entreprises. Pour y parvenir, le texte propose de l'ouvrir à de nouveaux secteurs économiques qui en ont fait activement la demande : le travail temporaire et les activités saisonnières. Un jeune s'engageant avec eux dans l'apprentissage en retirera un avantage comparatif sur le marché du travail.
L'apprentissage ne se développera pas non plus sans les personnes dévouées, passionnées et prêtes à transmettre leur savoir-faire, que sont les maîtres d'apprentissage. Les branches devront négocier sur les moyens de valoriser leur engagement.
Pour alléger certaines contraintes administratives, les formalités relatives à l'enregistrement d'un contrat d'apprentissage seront dématérialisées, et les contrôles redondants supprimés.
Au gré des débats et dans l'enthousiasme du vote, ont été adoptées des mesures qui relèvent plutôt du gadget, comme la création d'une labellisation des entreprises « alternantes », qui ne me paraît guère convaincante et que je vous proposerai de supprimer.
Ce sont plutôt les initiatives locales, concrètes, qui doivent être valorisées. Si elles présentent des résultats satisfaisants, pourquoi ne pas les expérimenter à plus grande échelle ? C'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à élargir temporairement les missions des médiateurs de l'apprentissage, pour tirer partie de l'expérience de l'Alsace-Moselle - souvent citée en exemple - où, par leur action préventive, ils maintiennent le taux de rupture des contrats d'apprentissage à 8 % contre 24 % à l'échelle nationale.
Il faut aussi donner le goût de l'entreprise aux jeunes et mieux leur faire découvrir les métiers exercés dans leur région. Le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (Dima), que nous avons créé dans la loi sur la formation professionnelle de 2009, est ici renforcé pour les jeunes qui souhaitent, à la fin du collège ou au début du lycée, se familiariser avec le milieu de l'entreprise et le mode de fonctionnement de l'apprentissage.
Deuxième thématique : l'encadrement des stages. En application de l'Ani du 7 juin dernier sur l'accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise, des mesures viennent compléter celles déjà adoptées dans la loi « Egalité des chances », notamment à l'initiative du sénateur Jean-Pierre Godefroy. Elles sont ici renforcées dans un secteur où les abus sont nombreux, ce qui contribue à la précarisation des étudiants : durée maximale de stage de six mois par an ; encadrement pédagogique obligatoire et délai de carence entre deux stages.
Excellent moyen de parfaire une formation, les stages sont une étape clé pour l'insertion dans le monde du travail. Ils seront désormais mieux reconnus : les stagiaires accéderont, au même titre que les salariés, aux activités sociales et culturelles de l'entreprise et la durée du stage sera mieux prise en compte dans la période d'essai en cas d'embauche. Plusieurs de mes amendements vous proposeront de parfaire le dispositif.
Troisième thématique, l'aide aux personnes victimes d'un licenciement économique. Destiné à encadrer leur parcours de retour à l'emploi et à leur permettre, par une formation longue et des périodes de travail, de se reconvertir professionnellement, le nouveau contrat de sécurisation professionnelle (CSP) réalise la fusion de deux dispositifs existants, le contrat de transition professionnelle (CTP) et la convention de reclassement personnalisée (CRP), qui coexistent difficilement : le CTP, piloté par l'Etat, s'applique aux bassins géographiques les plus touchés par le chômage et en situation économique et sociale défavorable ; la CRP, dispositif promu par les partenaires sociaux, est disponible sur l'ensemble du territoire mais dans une optique de retour rapide à l'emploi. Du fait de querelles internes, le pilotage et les méthodes employées dans ces deux dispositifs n'ont jamais été harmonisés. Les conseillers de Pôle emploi, chargés principalement de la mise en oeuvre de la CRP, n'ont eu ni la formation nécessaire ni l'incitation suffisante pour exploiter le potentiel qu'offre un accompagnement de long terme centré sur l'orientation et la formation.
Pour répondre aux critiques, la fusion des deux dispositifs dans le CSP s'opère sur la base de mesures qui ont fait leurs preuves : l'accent est mis sur le pilotage territorial du futur dispositif, qui a fait le succès du CTP lorsqu'il repose sur des acteurs locaux inventifs et compétents, comme j'ai pu en auditionner. Le lien avec le tissu économique local sera essentiel pour identifier les métiers vers lesquels orienter la reconversion des bénéficiaires du CSP.
Le 31 mai dernier, les partenaires sociaux ont conclu un Ani pour définir les modalités de mise en oeuvre du CSP. Bien que cet accord en lui-même ne soit pas l'objet de notre texte, on peut relever que le CSP sera ouvert aux salariés à partir d'un an d'ancienneté, contre deux ans pour la CRP ; qu'il donnera droit au versement d'une allocation équivalente à 80 % du salaire brut ; surtout, qu'il posera les bases d'une expérimentation de cette forme nouvelle d'accompagnement auprès des publics précaires, ceux qui ne bénéficient d'aucune sécurité dans le marché du travail, qu'ils soient en fin de CDD ou en intérim.
Quatrième thématique, enfin : les groupements d'employeurs. Créés en 1985, ces groupements par lesquels des entreprises adhérentes forment entre elles une association loi de 1901 permettant la mise à disposition non lucrative de salariés travaillant à temps partagé représentent aujourd'hui 23 000 emplois. Cette formule a pour intérêt d'offrir des emplois stables tout en répondant à un besoin temporaire de main-d'oeuvre des entreprises : les petites entreprises peuvent notamment partager de cette manière des techniciens qualifiés, un comptable par exemple ; les plus grandes, quant à elles, peuvent développer par ce biais une coopération avec les autres acteurs économiques locaux.
La proposition de loi simplifie les modalités d'adhésion et les règles de responsabilité financière applicables. Cela devrait encourager les entreprises à considérer le groupement comme le moyen de s'adapter aux variations de l'activité tout en protégeant leurs travailleurs et non pas, comme le craignent certains, être facteur de précarisation des salariés.
Je m'arrêterai un instant sur les relations entre groupements d'employeurs et collectivités territoriales, car celles-ci ne sont pas des acteurs économiques comme les autres. Elles tiennent de leur statut des responsabilités spécifiques : les besoins temporaires de main-d'oeuvre pour des travaux d'entretien peuvent ainsi être satisfaits en faisant appel à des entreprises d'insertion. L'Assemblée nationale ayant assoupli certaines règles, je vous proposerai un amendement pour assurer le respect des principes de fonctionnement de la fonction publique territoriale.
La proposition de loi permet aussi de faire des groupements d'employeurs de véritables vecteurs de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés : grâce aux modalités de calcul de l'obligation d'emploi de 6 % de l'effectif qu'elle propose, les personnes handicapées mises à disposition par le groupement seront décomptées dans les mêmes conditions que les salariés de l'entreprise.
Toutes ces mesures me paraissent utiles Cependant, les partenaires sociaux ayant ouvert, la semaine dernière, une négociation interprofessionnelle sur le thème des groupements d'employeurs, je vous proposerai de reporter l'entrée en vigueur de ces dispositions au 1er novembre prochain, afin de laisser son temps à la négociation. Si les partenaires sociaux parviennent à un accord d'ici là, la loi en tiendra compte, mais il ne faudrait pas que l'intervention du législateur soit entravée par des négociations qui pourraient ne jamais aboutir. Cela fait déjà plus de deux ans que la réforme des groupements d'employeurs est attendue, il est grand temps d'agir.
Pour conclure, ce texte n'a pas la prétention de proposer des solutions miracle aux problèmes de formation des jeunes ou de développement de l'emploi. Mais il présente de nombreuses mesures pragmatiques, à mettre en oeuvre sans délai et susceptibles d'amorcer une dynamique de croissance de l'emploi.
Je regrette néanmoins la précipitation avec laquelle nous l'examinons, dans des délais beaucoup trop courts pour mener une réflexion d'ensemble approfondie. Faisons donc en sorte d'aboutir au meilleur texte possible, en pensant à tous nos jeunes en recherche de stage ou d'apprentissage.