Intervention de Pierre Fauchon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 décembre 2010 : 3ème réunion
Audition de M. Pierre Fauchon candidat proposé par M. Le Président du sénat pour siéger au sein du conseil supérieur de la magistrature

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Je suis à la fois impressionné et heureux de me présenter devant des collègues avec qui j'ai travaillé, pour certains, de très nombreuses années.

Je voudrais tout d'abord vous dire ce qui, dans ma carrière maintenant assez longue, m'a, me semble-t-il, préparé à cette fonction. Passant en revue mon passé, je me suis aperçu qu'à de nombreuses reprises j'avais eu l'occasion de voir de près comment fonctionnait la justice.

Au début de ma carrière, j'ai travaillé auprès d'un avoué pendant deux ans et j'ai vu de près les petits métiers de la justice, ce qui était une bonne expérience de terrain. J'ai ensuite été fonctionnaire français comme adjoint du contrôle civil au Maroc alors que le protectorat prenait fin. Comme j'avais fait des études de droit et de sciences politiques, mon patron de l'époque m'a confié la responsabilité de la justice dans la ville sainte du Maroc, Moulay Idriss. Je suis devenu le représentant du parquet du tribunal de cette ville. J'ai donc été chargé de l'instruction de quelques affaires criminelles et j'ai assisté le Caïd, à savoir le juge, dans ses décisions. Je devais, en plus, gérer le greffe et le secrétariat du tribunal et j'ai même dirigé un temps la prison qui regroupait 100 détenus, et jusqu'à 300 après des émeutes. J'ai fait au Maroc presque tous les métiers de magistrat. Je menais les instructions et je me vante même d'avoir introduit quelques modifications. J'ai rétabli la justice de proximité, comme au temps de Lyautey. Nous allions à cheval dans les douars pour rendre la justice sous des tentes. C'était un réel bonheur d'arriver dans ces villages, accueillis par une fantasia et toute la population qui nous remerciait de venir rendre la justice sur place, d'autant que la procédure y était totalement orale et que le rôle des témoins y était, par là même, essentiel.

J'ai également été le premier à demander que les jugements soient motivés. Mon père étant avocat, je ne pouvais en effet pas imaginer qu'un jugement ne soit pas motivé. Au bout de six mois, les avocats de Meknès, qui étaient formés à Bordeaux, ont écrit aux autorités françaises du protectorat pour se féliciter des jugements motivés du tribunal de Moulay Idriss.

Toujours au Maroc, j'ai dû gérer une prison à un moment difficile, après des émeutes. J'ai épargné à une centaine de détenus politiques d'être transférés dans des centrales gérées par les militaires. Quand on m'a demandé ce transfert, j'ai refusé pour des raisons que vous pouvez imaginer : j'ai argué que j'avais besoin de ces détenus pour des travaux d'intérêt général. Je savais ce que voulait dire l'emprisonnement dans ces centrales à l'époque.

Quand on parle du statut des prisonniers, je pense, fort de mon expérience, qu'il faudrait donner davantage de permissions de courte durée : elles ont un effet apaisant indéniable sur les détenus. Bien sûr, dans leur quasi-totalité, ils reviennent et le climat carcéral en est profondément transformé, d'autant qu'ils savent que, si tout se passe bien, ils bénéficieront d'une autre sortie l'année suivante ou à l'occasion de quelque fête.

A la fin du protectorat, le nouveau régime m'a demandé de rester fonctionnaire chérifien. Je n'avais pas l'intention de m'établir durablement au Maroc avec mon épouse, mais comme il s'agissait d'un honneur qu'on me faisait, je suis resté en fonction encore près d'un an. Grâce à cette expérience, j'ai donc une idée assez précise du fonctionnement de la justice.

De retour en France, j'ai exercé la profession d'avocat. J'ai notamment été un collaborateur de Jacques Isorni. J'ai eu à connaître différentes affaires de l'OAS et je sais les problèmes que posent certains avocats par rapport à la confidentialité et je sais aussi ce que peut représenter la présence d'un avocat dès la première heure d'une garde à vue.

J'ai ensuite été membre du cabinet du garde des Sceaux Jean Lecanuet pendant trois ans. J'étais chargé de rédiger ses discours et de préparer ses interventions, notamment en direction des avocats. Après avoir vu pour ainsi dire d'en bas le fonctionnement de la justice, je l'ai vu d'en haut.

Une expérience m'a beaucoup frappée et a modifié mon jugement : j'ai dirigé pendant trois ans l'Institut national de la consommation. J'ai pu alors observer la justice avec l'oeil des petits justiciables et des petits litiges. Cela a été très formateur.

Enfin, j'ai siégé avec bonheur à la commission des lois où j'ai eu l'occasion de contribuer à plusieurs travaux. J'ai notamment rédigé un rapport sur les moyens de la justice à l'occasion duquel je me suis penché sur la réforme de la carte judiciaire. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur cette réforme qui n'a pas été conduite comme nous l'imaginions. Enfin, nous avons rédigé avec M. Charles Gautier un rapport sur la formation des magistrats. A ce propos je veux saluer les méthodes de travail mises en place par notre président de commission : il est bon que des sénateurs de différents bords politiques participent ensemble à l'élaboration de rapports. La formation des magistrats nous est apparue trop théorique et ne faisant pas suffisamment de place aux connaissances de la réalité. Pour faire de bons juges, il faut avoir cette « faculté de discernement » dont parle La Bruyère, chose rare et qui suppose une certaine expérience.

Ce rapport a débouché sur une réforme de l'École nationale de la magistrature et il semblerait, d'après les contacts que j'ai avec le directeur de l'Ecole, M. Jean-François Thony, que les choses s'améliorent.

Bien évidemment, je me suis intéressé à la question du fonctionnement de la justice. Or, c'est un des rôles du CSM qui est amené à se développer dans les années à venir. Il aura à connaître tous les problèmes quotidiens de la justice, en sus des nominations et du statut, et des débats sur l'indépendance du parquet. La lenteur de la justice n'est aujourd'hui plus supportable. C'est son principal défaut et c'est celui que l'on peut le plus facilement corriger. Certes, la justice mécontente fatalement une personne sur deux, voire les deux, et il est exact que la justice ne saurait être infaillible, même si la formation des magistrats peut améliorer les choses. Mais je suis persuadé que l'on peut faire de grands progrès dans la rapidité des jugements. Dans notre monde moderne, il n'est pas acceptable que des litiges familiaux ou économiques, dont les enjeux sont considérables, ne soient réglés qu'après des années de procédure. Le jugement n'a alors plus d'intérêt. Pour accélérer les délais de jugement, le CSM a son rôle à jouer.

Bien que je ne souhaite pas sanctionner systématiquement les magistrats, j'estime que le CSM doit intervenir quand des délibérés sont reportés de mois en mois, d'année en année. Faire diligence me semble être une obligation professionnelle. D'ailleurs, la Cour de Strasbourg a estimé qu'une procédure trop longue équivalait à un déni de justice.

Le CSM se prononce lors des nominations des magistrats. C'est une question d'appréciation très délicate et j'essayerai de faire de mon mieux. L'expérience des hommes que j'ai pu engranger lors de ma carrière m'y aidera sans doute.

La fonction disciplinaire du CSM est importante. Longtemps, les poursuites ont été inexistantes. Les magistrats ne commettent pas plus de fautes que dans d'autres professions, mais ces fautes mettent en cause des intérêts humains et économiques considérables et c'est pourquoi il convient d'être particulièrement vigilant. Il fut un temps où la saisine du CSM ne pouvait être que le fait du Garde des Sceaux et il s'abstenait de le faire car toute poursuite aurait été suspecte d'arrière-pensées politiques. Je l'ai vu lorsque j'étais au cabinet de M. Lecanuet. Moyennant quoi, on a laissé se développer des comportements choquants dans telle ou telle juridiction.

Nous avions cru trouver une solution en donnant la possibilité aux chefs de cour, procureurs généraux et premiers présidents, de saisir le CSM. Mais cette réforme n'a pas donné satisfaction : l'esprit de corps et de camaraderie font que les magistrats, même très haut placés, ne veulent pas causer d'ennuis à leurs collègues. La révision de la Constitution permet désormais aux particuliers de saisir directement le CSM dans sa fonction disciplinaire. Mais il me semble très difficile pour un plaideur de se plaindre de son juge ! Il faut qu'il soit sûr de ne plus jamais avoir ensuite de procès de sa vie ! Pourtant, la réforme me semble importante car elle pourra sans doute corriger un certain nombre de comportements fâcheux. Nous avons pu voir récemment des rivalités entre juges de très haut niveau dans certaines cours qui disqualifient la justice. Comment voulez-vous que le justiciable ait confiance dans ces cas-là ? J'entends parler de cours d'appel où sévissent de véritables guerres de clans, entre les magistrats, ou les magistrates, qui les composent, puisque la parité est totalement réalisée dans cette profession. Il y a même plus de femmes que d'hommes, maintenant.

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