Intervention de Pierre Fauchon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 décembre 2010 : 3ème réunion
Audition de M. Pierre Fauchon candidat proposé par M. Le Président du sénat pour siéger au sein du conseil supérieur de la magistrature

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Certes, mais il ne faut plus avoir affaire à la justice de sa vie. Néanmoins, cette réforme est nécessaire car les magistrats, comme tout être humain, ne sont pas des personnes parfaites et ils doivent respecter un certain nombre de règles. On peut attendre du meilleur fonctionnement de la formation disciplinaire une amélioration du cours de la justice.

Sur le statut du parquet, la commission des lois devra en délibérer, et je regretterai de ne plus être parmi vous. Je suis de la vieille école : comme l'a rappelé Me Soulez-Larivière dans un article du Monde il y a quinze jours, il n'est pas normal que l'évolution de notre droit pénal ait abouti à ce que la majorité des affaires pénales soient tranchées par des magistrats chargés de la poursuite. De plus, personne ne sait pourquoi des affaires sont classées sans suite ; l'Italie a supprimé l'opportunité des poursuites : toute affaire y est poursuivie.

La solution du plaider coupable ? Ainsi que l'a voulu le Conseil constitutionnel, on a introduit un certain contrôle par le juge du fond. Mais ce juge a déjà énormément de travail : faut-il en rajouter ? En outre, les magistrats n'aiment pas être en discussion les uns avec les autres : ils ne souhaitent pas relever les erreurs dans les dossiers de leurs collègues.

Pourtant, je crois beaucoup au plaider coupable : en Grande-Bretagne, si les débats sont véritablement approfondis, c'est que 80 % des affaires sont traitées à l'amiable. On peut alors consacrer beaucoup de temps aux 20 % restant. Nous devrions développer la culture du plaider coupable. Point n'est besoin de discuter de la culpabilité lorsqu'elle n'est pas discutable.

Je suis donc partisan de rapatrier à des juges, et non pas au parquet, le jugement des affaires. Il ne faut pas non plus critiquer outre mesure les parquetiers : ce sont des magistrats qui ont la même formation que leurs collègues du siège. Ils ont le même sens du devoir.

Mais j'ai toujours pensé que les magistrats ne devraient pas pouvoir faire des va-et-vient entre parquet et siège durant toute leur carrière. C'est en effet très choquant pour le justiciable. Dans certains tribunaux, vous voyez un procureur puis, six mois après, la même personne est assise au siège et juge les affaires, et parfois celles qu'il a eu à traiter en tant que procureur ! Quelle que soit la vertu des magistrats, la justice est aussi faite pour être comprise du public et des justiciables. Et de tels changements sont incompréhensibles. J'avais proposé à une époque qu'à la sortie du second grade, les magistrats choisissent définitivement de faire leur carrière au parquet ou au siège.

En second lieu, se pose le problème des instructions individuelles de la Chancellerie. On croit qu'elle passe son temps à en donner : il n'en est rien, car à chaque fois qu'une instruction est donnée, elle est suspecte d'arrière-pensées politiques. Pourquoi ne pas créer une autorité indépendante du ministère de la justice chargée du suivi individuel des affaires ? Le Sénat avait voté une proposition de loi en ce sens, le procureur général de la République, mais elle n'a pas prospéré. Le Président de la République voulait instaurer un procureur général de la Nation qui aurait eu ce rôle. Cette personne aurait pu être nommée pour quatre ou cinq ans par le Président de la République, mais sur une liste de trois noms proposée par le CSM, de manière à éviter tout abus, et son mandat n'aurait pas été renouvelable. Elle aurait été chargée de suivre individuellement les dossiers et de donner ces fameuses instructions écrites et versées au dossier. L'indépendance de cette autorité aurait été assurée. J'en ai parlé au Président de la République, mais il a estimé que cela faisait beaucoup d'autorités indépendantes. Certes, lui ai-je répondu, mais celle-là serait particulièrement utile et contribuerait à améliorer le système, car actuellement, la direction des affaires criminelles de la Chancellerie se tient au courant des affaires, mais elle n'ose pas donner d'instructions, même si les circulaires restent de son domaine.

J'ai fait cette année un stage d'immersion au parquet général de Rouen pour voir comment fonctionnait une telle instance. Je croyais que le rôle de ces parquets n'était que formel et qu'ils ne suivaient pas l'action des procureurs. Il n'en est rien ! Le suivi de leurs actions est très bien fait, des conférences et des téléconférences ont régulièrement lieu et les échanges d'expérience se font. Ces parquets généraux font des rapports à la Chancellerie ; mais cette dernière ne donne pas d'instructions, m'a-t-on dit. Si une autorité politique a, par malheur, quelque chose à dire à un magistrat, elle ne passe pas par la direction des affaires criminelles. Quel que soit le système en place, elle saura le dire par des voies détournées. D'ailleurs, si vous voulez consolider l'indépendance des magistrats, songez à supprimer les décorations, comme cela fut fait pour les parlementaires. Ce serait un grand progrès.

Reste la question des nominations : actuellement, le CSM donne un avis, mais la Chancellerie peut prendre une décision différente pour les magistrats du parquet. Faut-il prévoir un avis conforme ? Nous devrons sans doute tenir compte de l'état de l'opinion publique et prévoir un avis conforme, réserve faite pour les chefs de cour qui sont nommés en Conseil des ministres.

Je ne suis pas partisan d'aller vers la confusion entre les magistrats qui sont chargés des poursuites et les magistrats qui jugent les affaires. Ce sont deux écoles de pensée et deux cultures différentes, même si la déontologie est commune.

J'ai été magistrat à la Cour de justice de la République lorsqu'il a fallu juger le dossier Pasqua. J'ai été extrêmement embarrassé d'avoir à juger, car ma culture est celle d'un avocat. Je suis prêt à défendre une cause, mais il m'est beaucoup plus difficile de prétendre dire la vérité : je n'ai pas suffisamment d'assurance en moi-même pour le faire.

« Soyez objectif, maître », dit un juge au jeune avocat que j'étais ; « ce n'est pas à moi de l'être, mais à vous ! », lui rétorquai-je ! Il ne faut pas confondre les fonctions.

Dans les affaires de criminalité organisée, je ne conteste pas que certains avocats soient amenés à être des complices. J'ai moi-même refusé des clients de l'OAS à l'époque, pour cette raison. L'avantage est que le choix par le prévenu de tel ou tel avocat crée parfois une présomption de culpabilité ! La solution espagnole me paraît bonne : l'avocat est choisi sur une liste établie par le bâtonnier, en collaboration avec le parquet. Ainsi tout soupçon peut être écarté, sans que soit oublié le fait que la délinquance organisée est la plus dangereuse de toutes.

S'agissant du juge unique et des assesseurs non magistrats, je pense que les juges de proximité peuvent redonner un sens aux collégialités.

Il faut savoir sanctionner les juges qui font traîner les délibérés et rallongent les délais : certains ne rendent aucun arrêt ! Les retards de la justice sont une constante. On ne peut doubler le nombre de magistrats ; ceux-ci ne le souhaitent d'ailleurs pas. Une solution pratique serait d'affecter une brigade supplémentaire d'une cinquantaine ou d'une centaine de juges à telle cour d'appel, pour résorber le retard, puis à telle autre, etc. Si l'on veille à ce que les retards ne se reconstituent pas, on devrait avoir tout résorbé en dix ans.

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