Intervention de Chantal Kerbec

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 décembre 2010 : 3ème réunion
Audition de Mme Chantal Kerbec candidate proposée par M. Le Président du sénat pour siéger au sein du conseil supérieur de la magistrature

Chantal Kerbec :

Je tiens à remercier le président du Sénat qui a proposé ma candidature au Conseil supérieur de la magistrature. Je mesure l'honneur mais aussi la responsabilité qui m'échoit, puisque cet organisme a vocation à veiller à l'indépendance de l'autorité judiciaire, dont le Président de la République est le garant. Je ne suis pas la première fonctionnaire du Sénat appelée à siéger au CSM, puisque deux anciens secrétaires généraux du Sénat m'ont précédée, M. Ollé-Laprune et M. Bécane, ce dernier dont les fonctions prendront fin autour du 21 janvier. C'est peut-être là la preuve que les fonctionnaires parlementaires peuvent être utiles à cette institution. Je remercie les sénateurs et les députés d'avoir, par leur vote lors de la réforme, élargi de fait le nombre potentiel de femmes au CSM : c'est sans doute une des raisons pour lesquelles le président du Sénat a pensé à moi.

Fonctionnaire du Sénat depuis quarante-quatre ans, j'ai demandé à bénéficier de la retraite à compter du 31 décembre. Je suis entrée au service de l'administration parlementaire en 1967, juste après ma sortie de Sciences-po. J'ai donc connu le Sénat avant le référendum de 1969... J'y ai fait toute ma carrière, tout d'abord au service de la séance, à la division des lois, où je me suis initiée à la rigueur juridique, tout en poursuivant une licence de sciences économiques.

Car j'avoue que c'est au Sénat, plus que dans mes études initiales, que j'ai trouvé ma formation juridique. J'ai passé dix années à la commission des affaires sociales, où j'ai été successivement chargée des questions touchant au droit du travail, à la sécurité sociale - y compris, déjà, dans ses aspects financiers, puisqu'il s'agissait de remédier à un déficit récurrent - et à la santé - domaine où les relations avec les professionnels ont suscité chez moi beaucoup d'intérêt. Autant de matières certes moins prestigieuses que celles dont votre commission des lois a à connaître, mais qui m'ont dotée d'une solide culture juridique.

Il faut croire que les hautes autorités du Sénat ne m'ont pas tenu rigueur de mon élection à la présidence du syndicat du Sénat, que j'ai assurée pendant un an, puisqu'elles ont appuyé, auprès du service du personnel, ma candidature à un poste au sein de ce service, où j'ai passé dix ans. J'en ai été nommée directrice en 1986, à une époque où une telle promotion était accessible à de jeunes administrateurs, en raison de la pyramide des âges. Durant mes quatre années comme directrice du personnel, je me suis occupée du recrutement, de l'avancement, des changements d'affectation des personnels, du régime des concours ; j'ai préparé et suivi les réformes statutaires, et c'est à cette époque qu'a été introduite la règle des mobilités externes.

Puis, j'ai été nommée, en 1990, à la direction du service du secrétariat général de la présidence, poste qui m'a donné l'occasion de participer à bien des prises de décision. Assistant le secrétaire général pour le secrétariat du Bureau, j'ai connu une époque où furent agitées bien des questions statutaires relatives au mandat de sénateur - transparence, déclarations de patrimoine, déclarations d'appartenance, immunités. Le secrétariat général de la présidence était également une pépinière de divisions opérationnelles. J'ai vu la division de l'information devenir service de la communication, de même que la division des relations internationales, créée à l'initiative de M. Monory, rapidement s'ériger en service. Avec la division des impressions et des scrutins, j'ai eu à mettre en oeuvre la création de l'espace librairie, chargée de diffuser les documents parlementaires... avant qu'ils ne soient bientôt mis en ligne sur Internet.

Puis, en 1998, j'ai été nommée directrice du service des commissions, ce que je suis toujours. J'y ai beaucoup appris en toutes les matières qui touchent à l'action publique. Si ces fonctions sont par nature moins proches de l'activité législative au jour le jour, j'ai cependant assuré le secrétariat d'une longue mission sur la décentralisation, qui a été riche d'enseignements. Le rôle du directeur du service des commissions est de faire en sorte que les services fonctionnent de façon satisfaisante. Cela suppose de nombreux échanges avec les fonctionnaires du service, pour assurer une solidarité sans faille à l'intérieur des équipes et entre elles. Ce sont là des fonctions très enrichissantes, bien que très discrètes.

Je suis fière, au terme de ma carrière, d'avoir appartenu à la fonction publique parlementaire, qui est un observatoire exceptionnel de la vie politique et de la vie publique en général et où j'ai eu la chance de travailler dans des conditions de convivialité remarquables.

Que le président du Sénat ait pensé à moi pour le CSM, organisme chargé de veiller à l'indépendance de l'autorité judiciaire, m'honore : c'est une mission de premier ordre. Y siéger, c'est se trouver au coeur des compétences très concrètes qui sont les siennes : participer à la nomination des magistrats, selon des procédures différentes selon qu'ils appartiennent au siège ou au Parquet ; dans ce dernier cas, même si la compétence a été élargie par la révision constitutionnelle aux procureurs généraux, l'avis simple continue de prévaloir, la question de l'avis conforme, au terme de longs débats, n'ayant pas été tranchée.

Ces fonctions de nomination représentent une part importante de l'activité du CSM, puisque 8 000 magistrats sont concernés par la mobilité, ce qui représente plus de 1 000 dossiers par an. C'est une charge lourde, qui appelle une information aussi rigoureuse que possible, les auditions des pressentis, mais aussi celles des « observants ». Pour les membres de la Cour de cassation, les premiers présidents de cours d'appel, les premiers présidents de tribunaux de grande instance, le CSM propose des nominations au Président de la République.

L'autre compétence est disciplinaire. Le CSM est conseil disciplinaire pour les magistrats du siège et rend des avis pour les magistrats du Parquet, qui sont en pratique toujours suivis par le garde des sceaux. Dans sa formation de conseil disciplinaire, le CSM a la charge nouvelle d'élaborer un recueil de déontologie, très subtil, qui est moins un recueil d'interdits que de recommandations.

Autre mission nouvelle, très délicate : recueillir les doléances des justiciables qui estiment avoir été lésés, en cours d'instance, par un magistrat. Le travail pourrait se révéler assez lourd. Si les justiciables ont déjà des voies de recours gracieux, devant le garde des sceaux ou les présidents de juridiction, la tâche du CSM sera de rendre la réponse plus efficace : après avoir jugé de la recevabilité des demandes, il devra donner suite aux poursuites. La loi organique du 22 juillet 2010 encadre précisément les modalités d'exercice de cette nouvelle compétence, depuis la définition de la faute disciplinaire - le magistrat ne pouvant être mis en cause pour son jugement mais pour son comportement au cours de l'affaire - jusqu'à la question des délais de recours, limités à un an après le jugement de l'affaire. Se pose encore la question de la manière dont les justiciables se saisiront de cette faculté et en seront informés, et des modalités de défense des magistrats.

Le CSM a changé. Il a gagné en indépendance vis-à-vis de l'exécutif. Le Président de la République et le garde des sceaux n'en sont plus le président et le vice-président de droit. Il est désormais présidé par le premier président de la Cour de cassation, avec le procureur général près cette cour pour suppléant, tandis que le secrétaire général est choisi par le CSM et non plus par le président de la République. Tout cela change la donne. Ce qui ne signifie pas, bien évidemment, qu'il ne continuera pas à travailler en bonne intelligence avec le ministère de la Justice.

L'autre nouveauté tient à la prédominance des personnalités qualifiées - sauf pour les formations disciplinaires, où la parité est la règle. Tous les présents auront voix au chapitre, sauf éventuelles questions de déport, encadrées par la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de 2010. Comme membre extérieur, représentante de la vie civile, j'arriverai, si vous agréez ma candidature, avec une expérience qui n'est pas celle de la magistrature. Si je n'ai pas été appelée, au cours de ma carrière, à me pencher de près sur les questions touchant à la justice, je m'y attellerai de bon coeur. La fonction publique parlementaire forme des fonctionnaires très adaptables. Je m'emploierai à entrer dans les arcanes du fonctionnement de la justice, des procédures, des statuts, de la formation des magistrats - où je sais que des progrès d'ouverture vers l'extérieur sont à l'oeuvre, pour donner de l'air à la profession et parer au corporatisme.

Les membres extérieurs doivent à mon sens s'employer à écouter et à s'informer, pour participer aux décisions de manière aussi éclairée que possible. J'arrive sans a priori, avec la volonté d'apprendre pour donner. Ce ne sera pas facile. Je ne redoute pas les magistrats, pour lesquels j'ai le plus grand respect, et qui méritent la plus grande admiration, car ils exercent un métier rendu depuis plusieurs années difficile par sa médiatisation, par la contestation des décisions de justice, la judiciarisation de la société, l'instabilité du droit et les aléas géographiques dont la réforme de la carte judiciaire a fait le lot de certains. Il faudra trouver un juste équilibre entre le besoin de sérénité de la justice, qui légitime l'indépendance des magistrats, et la légitime attente des justiciables qui veulent des magistrats irréprochables. Mon expérience au Sénat me sera de ce point de vue utile, bien que l'enceinte en soit plus resserrée.

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