Intervention de Bernard Bégaud

Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé — Réunion du 15 juin 2006 : 1ère réunion
Santé — Médicaments psychotropes - présentation de l'étude des experts

Bernard Bégaud, président de l'Université de Bordeaux 2 :

ayant souligné que le choix de l'Opeps d'étudier l'usage des médicaments psychotropes était d'autant plus opportun que notre pays souffre d'une carence en travaux de synthèse sur le sujet, hormis certains rapports déjà anciens, a indiqué que l'étude est structurée autour des six questions figurant au cahier des charges de l'Opeps (caractéristiques de la consommation de psychotropes, facteurs explicatifs de la surconsommation, respect des recommandations de bonnes pratiques, efficacité des politiques publiques, dépendance, alternatives thérapeutiques) et présente un septième chapitre regroupant les recommandations formulées par le groupe de travail, ainsi qu'une synthèse générale.

Il a également précisé qu'outre Mme Hélène Verdoux et lui-même, tous deux membres de l'unité INSERM 657 de recherche en santé publique et professeurs à l'université de Bordeaux 2, en charge de la coordination et de la rédaction de l'étude, celle-ci a reçu les contributions de nombreux experts de disciplines diverses - épidémiologie, psychiatrie, sociologie, notamment.

a ensuite présenté les conclusions de l'étude, en soulignant tout d'abord que les Français consomment trop de psychotropes et y recourent deux fois plus fréquemment que la moyenne des pays européens, beaucoup plus souvent qu'en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Au sein de la population française, un adulte sur quatre fait usage d'au moins un psychotrope au cours de l'année et la propension à y recourir augmente avec l'âge, particulièrement chez les femmes. En revanche, la France se situe dans la moyenne des autres pays européens pour la consommation de psychotropes par les enfants et les adolescents, voire parfois en deçà pour certains traitements, tel que celui de la Ritaline.

Il n'y a pas de cause unique au phénomène de banalisation de la consommation de psychotropes en France, celle-ci résultant de l'influence de plusieurs facteurs dont les effets se conjuguent, dans un contexte caractérisé par l'éclatement des responsabilités en matière de politique du médicament. Comme pour l'ensemble de la consommation médicamenteuse, la régulation de l'usage des psychotropes souffre de la juxtaposition de structures et d'agences dont les missions n'ont été ni clarifiées ni coordonnées, pour un résultat qui n'est pas à la hauteur des moyens investis. Par ailleurs, les enquêtes épidémiologiques ont permis de constater que les troubles psychiatriques sont plus nombreux que dans les autres pays, en contradiction avec l'image d'une France où il fait bon vivre. En revanche, l'étude a totalement infirmé l'idée que le recours aux psychotropes pourrait correspondre en partie à une médicalisation de la crise sociale.

Parmi les facteurs favorisant la consommation des médicaments figurent le paiement à l'acte de la consultation médicale ainsi que l'insuffisance de la formation initiale et continue des professions de santé dans le domaine de la prescription, plusieurs rapports européens ayant établi que le nombre d'heures de formation consacrées à cette matière est, en France, cinq à six fois inférieur à ce qu'il est dans les pays de l'Europe du Nord.

S'agissant des prescriptions de médicaments psychotropes, l'étude montre que les recommandations de bonnes pratiques sont peu respectées, notamment pour les durées de traitement : celles-ci sont longues quand elles devraient être courtes (supérieures à six mois pour plus de trois quarts des usagers d'anxiolytiques, alors que la durée recommandée maximale est de trois mois), et courtes quand elles devraient être longues (inférieures à un mois pour au moins une personne sur quatre traitée par antidépresseur, alors que ce traitement doit être poursuivi au moins six mois après la rémission de l'épisode dépressif). Les indications des traitements sont également peu respectées : la moitié des personnes consommant des antidépresseurs et plus des deux tiers de celles consommant des anxiolytiques et hypnotiques ne présentent pas de trouble psychiatrique relevant d'une indication reconnue ; inversement, moins d'une personne sur trois souffrant de dépression bénéficie d'un traitement approprié. Le niveau élevé de la consommation française n'implique donc pas une meilleure couverture des besoins sanitaires et n'exclut pas un mauvais usage de ces médicaments.

En ce qui concerne l'efficacité des actions engagées par les pouvoirs publics et l'assurance maladie pour lutter contre les prescriptions inadaptées, la carence la plus flagrante concerne la quasi-absence d'évaluation de l'impact des mesures et recommandations et de l'utilisation des financements publics.

S'agissant des alternatives thérapeutiques, parmi lesquelles figurent les psychothérapies, on observe, d'une manière générale, un faible recours à ces traitements, alors que la réponse à la souffrance psychique ne peut se limiter au médicament. Néanmoins, la saturation du réseau des psychiatres, en France, fait qu'on ne peut pas recommander une extension des prises en charge par psychothérapie sans aborder la question des moyens, et donc celle du statut des psychothérapeutes non médecins.

L'homéopathie et la phytothérapie constituent une autre alternative thérapeutique à la prescription de médicaments psychotropes « allopathiques ». Si elles ne sont pas adaptées aux pathologies psychiatriques lourdes, elles peuvent convenir pour certaines plaintes, notamment les syndromes anxieux, affectant en particulier le sommeil. Mais les récentes décisions de déremboursement concernant certaines spécialités pharmaceutiques à base de plantes ont porté préjudice à ces médicaments, au risque de reporter la consommation vers des psychotropes, remboursés mais parfois mal tolérés.

Une meilleure application des règles élémentaires d'hygiène de vie doit être également considérée comme une véritable alternative thérapeutique à la prescription de psychotropes, notamment pour les plaintes concernant le sommeil en l'absence de trouble psychiatrique avéré. Ainsi, certaines personnes en viennent à prendre des psychotropes pour trouver le sommeil sans avoir pensé à abandonner leur habitude de boire du café après dix-sept heures, alors que le métabolisme de la caféine varie en fonction de l'âge.

Enfin, dépendance et sevrage sont trop souvent confondus : en termes de santé publique, le problème majeur soulevé par les psychotropes n'est pas celui de la dépendance, celle-ci ne concernant qu'une très faible minorité d'usagers ayant un usage abusif, toxicomaniaque, des psychotropes, mais celui de la prévention et du traitement d'un syndrome de sevrage chez les personnes ayant un usage prolongé de psychotropes. L'interruption brutale du traitement chronique par psychotropes - notamment les anxiolytiques et hypnotiques - pouvant entraîner des symptômes de sevrage, il est indispensable que les prescripteurs soient mieux informés pour les prévenir en évitant l'usage prolongé de psychotropes et les gérer, notamment par la diminution progressive des posologies.

Puis M. Bernard Bégaud a présenté les recommandations du groupe de travail. Elles concernent tout d'abord la promotion d'études sur l'épidémiologie des troubles psychiatriques et sur les médicaments psychotropes, non seulement par un soutien financier et récurrent (notamment par des bourses doctorales et post-doctorales), mais également par un accès plus aisé aux bases de données de l'assurance maladie : 83 % des remboursements sont actuellement inaccessibles aux investigations statistiques, contrairement aux pratiques en vigueur dans tous les autres pays développés.

La deuxième recommandation concerne la réduction des prescriptions inappropriées par un meilleur respect des recommandations de bonnes pratiques, étant précisé que la notion de prescription inappropriée a été considérée dans l'étude sous l'angle de l'excès comme du défaut de prescription. Dans ce domaine, la formation initiale et continue du personnel médical doit être développée indépendamment des stratégies commerciales des laboratoires pharmaceutiques, la coordination et la validation des enseignements obligatoires pouvant être confiées aux universités et l'amélioration de la diffusion des recommandations de bonnes pratiques pouvant être placée sous la responsabilité d'un organisme unique, qui pourrait être la Haute autorité de santé (HAS).

Sur le plan institutionnel, le cadre juridique existe et suffit - on peut notamment citer le plan Santé mentale 2005-2008, en cours de mise en place - mais une troisième recommandation concerne l'amélioration de la coordination des autorités sanitaires et des agences existantes, ainsi qu'une évaluation des politiques publiques et des moyens mis en oeuvre par les organismes publics existants pour réguler et rationaliser l'usage des médicaments psychotropes.

Les autres recommandations proposent un meilleur accès aux alternatives thérapeutiques (il faut notamment évaluer l'impact du déremboursement de certaines spécialités pharmaceutiques sur le report des prescriptions vers les médicaments psychotropes), le développement de l'information des prescripteurs concernant les méthodes de sevrage et d'aides à l'arrêt des traitements et la mise en oeuvre de campagnes d'information concernant les médicaments psychotropes et les règles d'hygiène de vie.

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