Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 31 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, en remplacement de M. Alain Anziani, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, prenant la parole en ce jour au nom de notre collègue Alain Anziani, rapporteur, qui vous prie de bien vouloir accepter ses excuses, car il ne pouvait être parmi nous cet après-midi, je dirai simplement en préambule : le contrat est rempli et la promesse, tenue.

C'est le 4 mai dernier que le Conseil constitutionnel a choisi d'annuler, pour les raisons pertinentes qu'il a indiquées, la législation existante en matière de harcèlement sexuel. Nous-mêmes, au Sénat, avons immédiatement pensé aux victimes et, plus largement d'ailleurs, aux justiciables ayant engagé une action devant la justice, action qui se trouvait de fait brutalement interrompue. Nous nous sommes dit qu'il était de notre devoir de parlementaires de combler le plus rapidement possible le vide juridique ainsi créé. J'avais même fixé l'objectif d'y parvenir pour la fin du mois de juillet, avant que se termine la session extraordinaire.

Mes chers collègues, nous sommes le 31 juillet, et, oui, le contrat est rempli, car je ne doute pas que les conclusions de la commission mixte paritaire seront adoptées dans nos deux assemblées.

Je tiens une fois encore à souligner le travail fécond organisé au Sénat sur l'initiative de mes collègues Annie David, présidente de la commission des affaires sociale, et Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Nous avons en effet choisi d'unir nos trois instances – deux commissions et une délégation – pour constituer un groupe de travail au sein duquel, en confrontant toutes nos réflexions et en auditionnant quelque cinquante personnes, nous avons accompli, sans a priori, une œuvre utile, qui a permis de rassembler les points de vue.

Qu'il me soit permis de souligner le travail approfondi mené par Alain Anziani, que j'ai l'honneur de suppléer en cet instant, et par Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Je soulignerai aussi le travail de nos collègues, il en est beaucoup, qui ont contribué à l'élaboration des sept propositions de loi déposées sur le bureau du Sénat, émanant de tous les groupes de notre assemblée.

Enfin, madame la garde des sceaux, je tiens à souligner, ce qui ne vous étonnera pas, l'entente profonde et fructueuse qui a marqué notre intense dialogue avec vous et avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes. Aussi peut-on dire aujourd'hui que le projet gouvernemental a constitué une contribution très utile, tout comme les sept propositions de loi d'origine sénatoriale et les conclusions de notre groupe de travail.

Cela montre que, lorsque chacun est actif et apporte sa pierre à l'édifice, l'œuvre parlementaire qui en résulte n'appartient à personne, parce qu'elle appartient à tous : Parlement, Gouvernement, délégations, commissions, groupes politiques.

Il s'agissait de trouver la meilleure solution possible à un problème difficile. Je l'ai dit, il était sans doute plus facile, pour le Conseil constitutionnel, que je respecte infiniment, comme chacune et chacun d'entre vous, d'abolir ces dispositions législatives que d'en rédiger de nouvelles.

Nous nous sommes attelés à cette tâche.

Je n'aurai garde d'oublier de citer les représentants des partenaires sociaux, syndicats et représentants des chefs d'entreprise, ainsi que les associations, qui ont joué un grand rôle dans le débat.

Cela nous permet d'examiner aujourd'hui les conclusions de la commission mixte paritaire.

Mes chers collègues, je souhaite rappeler rapidement ce que fut l'apport du Sénat à l'issue de la précédente lecture dans notre assemblée.

D'abord, nous avons clarifié la rédaction des définitions relatives au harcèlement sexuel et nous avons choisi d'inscrire dans la loi ce que nous avons appelé, sans doute de façon impropre, l'« acte unique », c'est-à-dire que nous incriminons le fait d'exercer une seule fois, mais de manière gravissime, un chantage en lien avec une embauche ou telle ou telle prestation.

Nous avons élevé l'ensemble des peines encourues à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, ces peines étant portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende en cas de circonstances aggravantes.

Sur proposition de la commission des affaires sociales et de son rapporteur pour avis, Mme Christiane Demontès, nous avons introduit la vulnérabilité économique ou sociale de la victime au titre des circonstances aggravantes. Il y a eu de grands débats sur ce sujet et j'ai la faiblesse de penser que cette innovation pourra être réutilisée en d'autres circonstances. Quoi qu'il en soit, chacun voit bien que, dans ces situations de harcèlement, il y a souvent un rapport du fort au faible. Par conséquent, les notions de misère, de précarité, de vulnérabilité économique et sociale, traduisent bel et bien, mes chers collègues, la réalité.

Nous avons, sur proposition de plusieurs de nos collègues, expressément reconnu les discriminations dont peuvent être victimes des personnes en raison de leur « identité sexuelle ». Ce débat n'est pas sans signification, y compris, sans doute, au-delà de ce texte particulier.

Nous avons facilité l'action en justice pour des associations accompagnant les victimes et procédé à une mise en cohérence du statut de la fonction publique avec les nouvelles dispositions pénales réprimant le harcèlement sexuel.

Enfin, par l'adoption de plusieurs amendements, nous avons renforcé les compétences des délégués du personnel ainsi que des services de santé au travail en matière de prévention et de détection du harcèlement, et nous avons inclus les stagiaires et les apprentis dans le champ des dispositions protégeant les victimes et les témoins de harcèlement sexuel.

Telle a été l'action du Sénat, et je pense que l'on peut la qualifier d'importante. L'unanimité qui s'est peu à peu construite ici a été féconde.

L'Assemblée nationale a largement conforté le texte du Sénat. Elle a choisi de remplacer le mot « agissements », que nous avions finalement choisi après que la commission des lois lui eut préféré le mot de « comportements », par celui de « comportements » ! Nous ne rouvrirons pas des querelles sémantiques, car nous estimons que cette rédaction est satisfaisante.

Les députés ont en revanche conservé le terme de « situation », que le Sénat avait préféré, ce dont je m'étais réjoui, à celui d'« environnement », qui nous paraissait trop vague.

L'Assemblée nationale a retenu une nouvelle rédaction pour répondre à la crainte qui avait été exprimée par des associations de voir le nouveau délit de chantage sexuel utilisé par les juridictions pour requalifier des agressions sexuelles ou des tentatives de viol, ce qui aurait été préjudiciable aux victimes. Nous l'avions dit en séance publique, à nos yeux, notre rédaction était très claire, elle ne permettait pas une telle requalification. Toutefois, les craintes subsistant, l'Assemblée nationale a clarifié la rédaction de l'article en question, afin que fût expressément exclue une telle possibilité.

Les associations ont joué leur rôle, l'Assemblée nationale également, et la commission mixte paritaire a donné son accord.

Par cohérence, l'Assemblée nationale a également choisi d'aligner les peines encourues en cas de harcèlement moral sur celles qui sont désormais encourues en cas de harcèlement sexuel.

Elle a étendu les dispositions réprimant les discriminations aux témoins de harcèlement sexuel.

Elle a reproduit in extenso dans le code du travail la nouvelle définition du harcèlement sexuel que nous avions déjà inscrite dans le code de la fonction publique.

Enfin, elle a adopté une disposition qui permettra de faciliter l'allocation de dommages et intérêts aux personnes qui avaient engagé une procédure devant une juridiction pénale et qui se sont retrouvées face à un vide juridique du fait de la décision du Conseil constitutionnel.

Nous avons largement évoqué ce sujet en commission mixte paritaire et nous sommes tombés d'accord pour adopter cet article ainsi rédigé. Il est vrai que la décision du Conseil constitutionnel a créé un préjudice en raison de l'interruption de l'ensemble des actions qui étaient alors engagées sur le plan pénal. Aussi, l'idée qu'ont exprimée nos collègues députés que l'on puisse obtenir réparation sur le plan civil nous est apparue tout à fait judicieuse.

Force est de reconnaître qu'il n'y avait pas de bonne solution. Soit le Conseil constitutionnel accordait un délai au législateur pour récrire la loi, à l'instar du choix qu'il avait fait s'agissant de la garde à vue, mais cette solution n'était pas parfaite, car, pendant cette période que je qualifierai d'intérimaire ou d'intermédiaire, les avocats n'auraient pas manqué, se fondant sur la décision même de la haute juridiction, d'exciper de l'inconstitutionnalité de cette disposition. Soit le Conseil constitutionnel déclarait que, à compter du 4 mai, le délit de harcèlement sexuel n'était plus dans la loi, ce qui soulevait tout autant de problèmes.

En conclusion, la commission mixte paritaire s'est réunie dans un excellent climat et a procédé à quelques clarifications rédactionnelles. Ainsi, elle a amélioré la rédaction de l'article 7, de telle sorte que les victimes de faits de harcèlement sexuel commis jusqu'à l'entrée en vigueur de la présente loi devraient pouvoir se voir octroyer des dommages et intérêts sur le fondement de la faute civile commise par l'auteur des faits.

Je rappelle qu'un tel mécanisme existe déjà, notamment en matière de délits non intentionnels ou encore en cas de loi d'amnistie.

Enfin, pour être tout à fait juste, je dois reconnaître qu'une question a échappé à la sagacité de la commission mixte paritaire et donc, madame le garde des sceaux, aux représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat. En effet, il était nécessaire de procéder à une coordination de manière à étendre à Wallis-et-Futuna, à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie les dispositions relatives à l'indemnisation des victimes que je viens d'évoquer. Heureusement, madame la garde des sceaux, vous avez été vigilante et vous nous présenterez à cet effet un amendement que je vous propose de voter, mes chers collègues.

Au final, nous avons tenu notre engagement vis-à-vis des victimes et des justiciables. Pour ce faire, madame la garde des sceaux, nous autres parlementaires avons souhaité, demandé même, que soit engagée la procédure accélérée. Pourtant, une telle démarche n'est pas dans notre habitude, car nous n'aimons guère cette procédure dans la mesure où nous estimons que, pour faire de bonnes lois, il faut s'accorder du temps. À cet égard, la seconde lecture est souvent très utile, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Mais nous avions un devoir moral à l'égard tant des victimes que des justiciables. De surcroît, nous avons compensé cette absence de seconde lecture par un travail préalable approfondi et une étroite coopération avec le Gouvernement.

En définitive, je crois pouvoir dire que le Parlement et le Gouvernement auront fait leur travail C'est pourquoi, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir adopter les conclusions de la commission mixte paritaire.

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