Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 31 juillet 2012 à 14h30
Harcèlement sexuel — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le délit de harcèlement sexuel est une invention relativement récente dans notre droit, qui traduit une réalité sociale dont les statistiques officielles peinent à rendre compte avec précision.

Selon les années, les tribunaux ne sont amenés qu'à prononcer entre 70 et 85 condamnations sur ce chef. Bien sûr, ces chiffres, quelque peu abstraits, ne disent rien des victimes silencieuses, contraintes de ne pas faire valoir leurs droits en raison des pressions qu'elles subissent ou de la peur qui les tétanise.

Tout a été dit sur les raisons qui ont conduit le Conseil constitutionnel à invalider l'article 222-33 du code pénal, y compris le fait que, dès le vote de la loi du 17 janvier 2002, qui modifiait la définition du harcèlement sexuel, la doctrine s'était interrogée sur la rédaction adoptée par le législateur. Je ne reviendrai donc pas sur ces éléments, que mon collègue Nicolas Alfonsi, éminent juriste, a brillamment développés.

Vous le savez, madame la garde des sceaux, la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier était prévisible dans ses considérants. Néanmoins, elle a eu le mérite de remettre en lumière la question du harcèlement sexuel et, plus largement, celle des droits des femmes dans notre société et de la lutte contre les formes de violence ou de mépris dont elles sont les victimes. Le silence sur ces questions fera toujours le jeu de ceux qui abusent de leur position dominante pour attenter à la dignité des femmes ; l'ensemble de la représentation nationale, dans toutes ses composantes, ne cessera jamais de réprouver ces comportements.

Légiférer à nouveau sur le harcèlement sexuel, comme nous y a exhorté le Conseil constitutionnel, nous permet non seulement de réparer la malfaçon votée en 2002 mais encore de moderniser notre droit. C'est ainsi que l'article 1er du projet de loi prévoit la création d'un nouveau délit de chantage sexuel, défini comme « le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers ».

À l'issue de la première lecture, nous aurions pu craindre qu'il s'opère une certaine confusion avec la tentative de viol ou d'agression sexuelle, en raison de la proximité des éléments matériels posés par le code pénal pour définir ces infractions. Nous comptons cependant sur votre vigilance, madame la garde des sceaux, pour que la loi que nous allons voter soit appliquée à la lettre, et que les déqualifications ne deviennent pas un outil de régulation face à l'engorgement ou à la lenteur des tribunaux.

Toujours dans cet objectif de modernisation de notre droit, le travail conjoint et convergent de nos deux assemblées a permis de renforcer la protection dont doivent bénéficier les salariés et les fonctionnaires dans leurs relations de travail. Les discriminations qui résulteraient de faits de harcèlement sexuel ou moral doivent être sanctionnées à leur juste mesure, y compris lorsqu'elles touchent les personnes amenées à témoigner de tels faits.

Sur cette question, il me semble que le texte de la commission mixte paritaire répond parfaitement à l'évolution de l'ordre public social depuis l'introduction dans notre droit du harcèlement par la loi du 22 juillet 1992. La violence du monde du travail, le plus souvent sournoise et insidieuse, appelle des réponses claires et fortes du législateur. Il appartient désormais aux pouvoirs publics de donner corps à ce message. L'obligation pour les employeurs d'informer les salariés sur les lieux de travail des dispositions légales relatives aux harcèlements sexuel et moral va dans le bon sens.

La lutte contre les discriminations relève elle aussi de la modernisation de notre droit. La version finale de ce projet de loi dépasse le cadre auquel il était initialement circonscrit : au départ, il s'agissait simplement de combler dans les meilleurs délais le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel. Les conclusions de la commission mixte paritaire retiennent ainsi les dispositions relatives à la lutte contre les discriminations opérées à raison de l'identité sexuelle de la victime. Nous nous satisfaisons naturellement de cette avancée pour l'égalité, dont le Sénat dans toute sa diversité est d'ailleurs à l'origine.

Pour conclure, j'appelle votre attention, madame la garde des sceaux, sur le chapitre qui va s'ouvrir lorsque ce texte aura été promulgué. On peut dire en effet que le Parlement et le Gouvernement ont bien travaillé, mais cette œuvre commune restera vaine tant que l'égalité entre les hommes et les femmes ne progressera pas, tant que les victimes n'oseront pas parler et tant que la peur ne frappera pas ceux qui se rendent coupables de harcèlement. La mobilisation des pouvoirs publics est donc indispensable. Cela implique que l'ensemble de nos concitoyens soient sensibilisés à la question du harcèlement.

Les radicaux de gauche et l'ensemble des membres du RDSE joindront naturellement leurs voix à l'unanimité que requiert ce projet de loi.

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