Intervention de Marylise Lebranchu

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 25 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Marylise Lebranchu ministre de la réforme de l'état de la décentralisation et de la fonction publique et de Mme Anne-Marie Escoffier ministre déléguée chargée de la décentralisation

Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique :

Mesdames et Messieurs les sénateurs, un ministère important m'a été confié, doté volontairement d'un périmètre large.

Comme l'ont répété le Président de la République et le Premier ministre, il ne peut y avoir de décentralisation aboutie sans un État fort, c'est-à-dire, au XXIe siècle, sans une puissance publique organisée depuis le local jusqu'au sommet de l'État et dotée d'une fonction publique reposant sur ses trois piliers : la fonction publique d'État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. Celles-ci, je le dis en préalable, ont besoin de reconnaissance et seront forcément intéressées par ces sujets.

Pour nous, c'est un symbole fort que d'avoir rassemblé dans un même ministère la décentralisation, la réforme de l'État et la fonction publique. Nous travaillons étroitement avec les agents de la fonction publique, car ils sont directement concernés par la réforme de la décentralisation. Ils sont également très attentifs à l'impact de la réforme de l'État et sa déclinaison à travers la révision générale des politiques publiques (RGPP). Celle-ci n'a sans doute pas suffisamment pris en compte leur rôle au niveau de l'État, des collectivités territoriales ou encore des hôpitaux, les agents publics ayant eu le sentiment d'être considérés comme une variable d'ajustement. Nous pourrons prendre la mesure des conséquences de la RGPP à la lumière des conclusions d'une mission d'évaluation qui doivent nous être rendues le 25 septembre. Ces conclusions contribueront à alimenter le débat sur l'avenir de la décentralisation, puisque les collectivités territoriales font remarquer que, dans plusieurs secteurs, l'absence de l'État les a conduites à recourir à des cabinets d'études privés.

Le ministère délégué chargé de la décentralisation est arrivé en renfort, espéré de ma part, avec à sa tête Mme Anne-Marie Escoffier. Je m'en félicite car elle est en charge d'un secteur lourd et portera notamment les sujets de financement des collectivités territoriales, tâche difficile dans le contexte actuel de la crise de l'accès au crédit.

Nous souhaitons également, pour bien légiférer, travailler en étroite collaboration avec le Parlement en amont des textes, que ce soit par la concertation avec les groupes politiques qui le souhaitent, en rencontrant les présidents de commissions ou de délégations (comme aujourd'hui) ou en nous appuyant sur les conclusions des États généraux de la démocratie territoriale initiés par le Sénat.

Nous croyons beaucoup aux vertus de la concertation en amont. Nous avons d'ailleurs tiré d'excellentes leçons de la conférence sociale. À cette occasion, j'ai personnellement présidé pendant deux jours une table ronde sur la réforme de l'action publique avec les agents et tous les employeurs : pas seulement l'État, mais aussi les collectivités territoriales à travers les associations d'élus (AMF, ADF, ARF), ainsi que la fondation hospitalière de France. Cette confrontation positive sur les problèmes de statuts, de régimes indemnitaires, d'intercommunalité, de mutualisation de la ressource a été particulièrement fructueuse et servira d'exemple.

En attendant les États généraux, plusieurs chantiers ont été lancés concernant l'ensemble des fonctions publiques : le bilan de la RGPP que j'ai évoqué, la diversité, le handicap, l'égalité professionnelle... Sur ces sujets, nombre de collectivités territoriales qui ont voulu suivre ou anticiper ce qui avait été initié par le Gouvernement sortant ont rencontré des difficultés, notamment concernant l'accès à la fonction publique territoriale.

Nous avons également travaillé, et nous continuons de le faire, sur les carrières et les parcours professionnels car, sur l'ensemble des fonctions publiques, en particulier l'État et la territoriale, nous souhaitons améliorer les passerelles et la mobilité en abordant notamment les sujets complexes des deuxièmes carrières ou de la prise en charge des séniors.

Je ne peux m'abstenir d'évoquer ensuite l'actualité européenne. Dès ma prise de fonction, j'ai décidé de créer une cellule européenne. Je mesure en effet combien des textes européens, à l'image des directives sur les marchés publics, peuvent impacter les collectivités territoriales françaises. Nous serons donc très vigilants, en ce domaine comme en d'autres. D'ores et déjà, sur cette question des marchés publics, nous avons, avec le Président du Parlement européen et plusieurs groupes politiques, avancé sur l'idée de divers amendements, car nous avons la certitude que nos dispositifs, issus de la loi Sapin notamment, sont de meilleure qualité que ceux proposés par la Commission face à la complexité des marchés publics. Je pense que votre délégation peut nous soutenir très utilement dans cette démarche, notamment en attirant l'attention des parlementaires européens sur des dispositions qui compliqueraient encore plus l'action de nos collectivités territoriales.

De la même manière, et nous nous appuierons d'ailleurs sur la résolution que vous aviez adoptée au Sénat à l'initiative de MM. Bernard Piras et Gaëtan Gorce, nous avons appelé l'attention du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères et européennes sur les projets de la Commission européenne en matière de fonction publique auxquels nous sommes opposés : dans le contexte actuel de crise, la Commission souhaite une réduction des effectifs de la fonction publique, un encadrement des traitements ou encore une diminution des régimes indemnitaires. Mais ce n'est pas à la Commission de s'immiscer dans ces sujets qui relèvent de la responsabilité des États. Là encore, je crois que votre délégation peut nous aider sur ces questions.

Face à toutes ces problématiques, nous avons donc établi une feuille de route commune, relative à la décentralisation et à la réforme de l'État, contenant plusieurs points.

Sur la fusion possible entre région et département, comme je l'ai notamment dit à plusieurs de vos collègues d'Alsace qui m'ont fait part de leurs inquiétudes ce sujet, il n'est pas question pour nous de détricoter la loi de 2010. Notre démarche consiste plutôt à analyser la situation pour garder ce qui fonctionne et réformer, après évaluation, ce qui nécessite de l'être.

En revanche, sur le conseiller territorial, nous avons pris acte du fait qu'il n'était pas la réponse la plus adaptée à la question des compétences. Sur ce point, le texte déjà voté au Sénat sera bien soumis à l'examen de l'Assemblée nationale.

Nous souhaitons également procéder à une clarification de la répartition des compétences. Cela suppose d'évaluer ce qui a été transféré. Je précise, au cas où d'aucuns en douteraient, que nous ne voulons pas supprimer les départements : d'abord, pour une raison technique et simple qui tient à l'incapacité de trouver une solution alternative de prise en charge de la dette de ces collectivités ; ensuite, pour une raison politique tenant au fait que la cohésion sociale à trouvé un rythme de croisière suffisant, en comparaison avec d'autres pays européens, laquelle repose sur l'action très efficace des départements. Ceux-ci ont d'autant plus de mérite à assumer aussi bien leurs responsabilités en la matière que nombre d'entre eux rencontrent de graves difficultés de financement, ce que souligne régulièrement l'ADF.

La réécriture des compétences entre les départements et les régions doit passer par une réécriture de la fiscalité régionale. Les régions n'ont pas d'autonomie fiscale, et il faut trouver une assiette fiscale pour y remédier. L'ARF propose plusieurs solutions, les États généraux en proposeront sûrement également ; nous les examinerons toutes.

En ce qui concerne le problème de financement des départements, il nous parait indispensable que l'assiette fiscale de leurs impôts repose sur leurs missions. Plusieurs scénarios sont envisageables, mais rien n'est acté et le travail se poursuivra dès octobre, après les États généraux et sur la base des données fournies par le ministère de l'Économie afin de proposer les solutions les plus opérationnelles.

Je voudrais maintenant m'arrêter sur le désarroi des collectivités territoriales face au recul de l'État dans les territoires. On a, par exemple, beaucoup parlé, et tout récemment au sein de votre délégation, des conséquences que cela emportait en matière d'urbanisme. On s'est beaucoup interrogé sur les missions qui doivent demeurer publiques et sur celles qui pourraient être assurées par le privé, ou encore sur les compétences qui doivent rester aux communes et celles susceptibles d'être confiées aux intercommunalités.

Nous constatons beaucoup de demandes d'assistance technique et juridique de l'État. Dès lors, on peut légitimement se demander si la réforme de l'administration territoriale de l'État (REATE) a bien été menée car, si l'esprit était sans doute bon, le résultat n'est pas satisfaisant. À force de remonter l'encadrement de nos équipes au niveau régional, les départements se retrouvent souvent confrontés à une absence criante de l'État, rendant ainsi indispensable le recours à des bureaux d'études. Or, si ceux-ci peuvent être de bonne qualité, leur usage s'avère souvent onéreux et les résultats escomptés, que ce soit en matière de SCOT ou de PLU, par exemple, sont souvent éloignés des réalités locales.

Je dois, après une réunion qui se tiendra le 31 juillet, remettre des propositions au Premier ministre sur ces sujets, en particulier sur les missions de service public que l'État doit continuer à exercer sur les territoires, et j'attends de vous des suggestions en la matière, même si vous connaissez nos contraintes budgétaires.

Dans le droit fil de ces observations, on peut s'interroger sur la nécessité ou non pour l'État de réinvestir dans l'ingénierie publique. A priori, je pense que c'est nécessaire mais, là encore, j'attends vos observations car il me semble que nous devons être attentifs à des enjeux simples, relatifs à la qualité de service, aux moyens, aux besoins ou encore à l'indépendance des collectivités territoriales par rapport à ces services.

Je voudrais, en définitive, évoquer le droit à l'expérimentation que le Président de la République avait défendu lors de son discours de Dijon : c'est un point essentiel. Je pense, entre autres, à la région Bretagne, qui voudrait procéder à une expérimentation sur la gestion de l'eau ; elle doit pouvoir le faire. Certains points méritent donc d'être précisés afin d'avancer sur le droit à l'expérimentation et sur la reconnaissance de la diversité de nos régions.

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