Intervention de Marylise Lebranchu

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 25 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Marylise Lebranchu ministre de la réforme de l'état de la décentralisation et de la fonction publique et de Mme Anne-Marie Escoffier ministre déléguée chargée de la décentralisation

Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique :

Pour répondre à M. Pointereau, je dirai que je ne suis pas favorable au détricotage de la loi de décembre 2010. Ce qui fonctionne, gardons-le. En revanche, nous sommes effectivement pour une abrogation du conseiller territorial. S'agissant de l'Alsace, dont nous discutions hier, un article de la loi permet un certain nombre d'avancées. Pourquoi ne pas le garder ? Nous conserverons ce qui fonctionne ; ce n'est pas la peine de tout refaire. La loi de décentralisation à venir, qui est une loi pacte de confiance entre l'État et les collectivités territoriales, ne réécrira pas une histoire déjà écrite. Cela n'a pas de sens. Nous ne détricotons pas, nous adaptons.

Pour les élections des départements, qui redeviennent des départements, nous n'aurons pas le temps de répondre avant 2015 à l'exigence du Conseil constitutionnel de redessiner les cantons quoi qu'il arrive. Les cantons n'existent plus en tant que tels, il faut donc un redécoupage.

Il y a des propositions de scrutin binominal majoritaire avec un couple élu sur deux cantons. Ce n'est pas la position que je défends aujourd'hui mais, comme nous nous sommes engagés à respecter le travail du Parlement, et en particulier du Sénat, je ne vais pas m'engager ni trancher la question dès maintenant. Dans la mesure où le couple intercommunalités/département est un couple réel et qu'il fonctionne, j'aurais plutôt tendance à préconiser un rapprochement entre eux. Vous aurez l'occasion de vous exprimer sur ce sujet, en particulier à travers les États généraux. À vous désormais de nous dire quelle est votre position. Le scrutin départemental est en effet celui qui pose le plus de questions aujourd'hui, puisque le scrutin régional sera le même qu'auparavant.

Pour les sous-préfectures, je voudrais vous rassurer sur un point : nous ne ferons pas comme pour la carte judiciaire. La carte judiciaire était un vieux serpent de mer, puisque, de mémoire, cela faisait environ vingt-sept ans que le projet avait été écrit et qu'il a été repris tel quel. Je pense qu'il aurait plutôt fallu démarrer à l'époque - et j'étais d'accord avec Pierre Méhaignerie et d'autres - par l'organisation judiciaire. Il aurait fallu se demander quelles compétences devaient revenir aux tribunaux d'instance par rapport aux tribunaux de grande instance, et en particulier comment organiser la justice de la famille.

Pour les sous-préfectures, nous sommes dans le même état d'esprit : au lieu de dire que nous allons supprimer ou que nous n'allons pas supprimer les sous-préfectures, il faut se demander ce qu'est une sous-préfecture, quel est son rôle, notamment quand il reste trois personnes à l'intérieur, quand le sous-préfet affirme qu'il enregistre les préoccupations des élus mais que, de toute façon, il ne peut rien faire parce qu'il n'a personne pour y donner suite. Il y a un vrai sujet d'organisation des maisons de services de l'État.

En tout cas, l'appellation « sous-préfecture de l'État » est chargée de symbole. Comme je plaide pour ma part pour un État fort, j'ai un a priori favorable pour les termes « préfecture » et « sous-préfecture ». Je suis d'accord avec Manuel Valls sur le fait qu'en montagne ou en zone rurale, il y a un besoin absolu, parce que les collectivités territoriales ont moins de ressources. Pour autant, je pense qu'il faut que nous regardions chacune des sous-préfectures. Si seulement dix kilomètres séparent deux sous-préfectures, est-il nécessaire de garder les deux ? Ne faut-il pas renforcer des sous-préfectures en milieu rural, où il n'y a malheureusement plus de service ? Il y a des maisons de services qui restent vides.

Je pense que le contrôle a posteriori est aujourd'hui mal fait et qu'il faut aussi se poser la question de sa nécessité. Faut-il donner un rôle plus important aux chambres régionales des comptes ? Faut-il un contrôle a posteriori sur un certain nombre de délibérations, y compris sur le droit des sols, pour ne citer qu'un exemple ? Voici des questions posées, dont nous devons discuter avec vous. Aucune décision ne sera prise sans un vrai débat.

Sur l'intercommunalité et les schémas départementaux, aujourd'hui, je suis tenue par une loi, que je ne détricote pas. À l'heure où je vous parle, il y a 68 départements dans lesquels les problèmes sont réglés, et 10 dans lesquels les difficultés se présentent beaucoup mieux qu'il y a quelques semaines. Le 31 juillet, le Premier ministre rencontrera les préfets. Nous voulons qu'ils utilisent beaucoup la médiation, qu'il n'y ait pas de discours selon lesquels le préfet va trancher quoi qu'il arrive. Mais nous n'irons pas au-delà du délai obtenu par la loi Pélissard. Si nous affirmons aujourd'hui que nous ne respecterons pas ce texte, et que nous remettons en question ce qui a été obtenu par la loi Pélissard, alors nous rouvrons tout et je pense que nous en parlerons encore dans une cinquantaine d'années.

En ce qui concerne le fléchage, beaucoup m'ont alertée sur le fait que, dans les petites communes où le scrutin est panaché, il pourrait aboutir à une aberration : l'absence d'un maire dans un conseil communautaire. Nous sommes en train de travailler sur une proposition de conseil des maires qui pourrait régler le problème, si problème il y a réellement.

Ce que je souhaite, à titre personnel et non en tant que ministre, c'est que nous arrivions, pour les intercommunalités les plus grandes, à un système qui soit plus directement issu du suffrage universel. J'entends néanmoins la critique faite par les uns et les autres, comme l'Association des maires ruraux, selon laquelle nous créerions une collectivité territoriale de plein exercice. Je renvoie alors à la question suivante : est-il logique, quand 80 % des compétences et que la grande masse de la fiscalité sont transférées à une intercommunalité, que celle-ci ne relève pas du suffrage universel ? C'est un débat que nous avons, qui pour l'instant en reste à ce stade.

Je reviens sur la question de la mise en place d'une compétence exclusive économique pour les régions. En effet, certains départements veulent conserver la possibilité d'agir dans ce domaine pour plusieurs raisons. Cependant, il y a un argument que je ne peux accepter : c'est l'idée présentée par certains que, sans la compétence économique, les départements vont être désoeuvrés. C'est oublier un peu vite l'importance de la compétence sociale des départements. Toutefois, je partage l'idée que les départements doivent posséder une partie de la compétence économique, notamment en matière d'immobilier d'entreprise. En effet, les régions auront à réfléchir à des stratégies territoriales, d'innovation, de développement, de portage, ou encore à d'éventuelles entrées dans le capital d'entreprises. Elles peuvent donc difficilement s'occuper par ailleurs de l'immobilier d'entreprise.

Vous souhaitez, M. Retailleau, que l'intervention en matière économique soit une compétence optionnelle pour les départements. Je ne pense cependant pas que cela soit une bonne idée. En effet, 80 % des dépenses des départements résultent de compétences obligatoires. Dès lors, seuls 20 % des crédits au maximum peuvent être mobilisés pour d'autres dépenses. Je constate d'ailleurs que les interventions en matière économique se font, le plus souvent, par le biais d'accords ou de conventions passés avec les communes, intercommunalités ou régions, sous la forme, par exemple de contrats d'initiative économique ou de contrats de redressement. Je souhaite que ces modalités d'action perdurent. Nous allons étudier au mieux cette question durant l'été, ainsi que le contenu des conventions existantes.

De même, en matière de très haut débit, certaines régions, comme la Bretagne, ont mis en place des schémas régionaux, et les accords avec les départements ont permis de répondre aux attentes.

Une réflexion doit avoir lieu sur le partage de la compétence économique, mais également sur d'autres points comme la question de la propriété des câblages des fibres optiques. En effet, les problèmes posés par d'autres infrastructures portent à considérer qu'une propriété publique présente une meilleure sécurité à moyen terme. Cependant, je ne suis pas sûre que cela justifie de donner aux départements une compétence générale d'action en matière d'économie.

En ce qui concerne la RGPP, j'estime qu'elle a été injuste dans sa présentation et son résultat. Elle a été présentée par le Gouvernement précédent comme une façon de répondre à l'excès de dépenses publiques et non comme un moyen de rationaliser l'action publique. La rationalisation n'est pas une punition, comme cela a été dit. Cependant, je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle la RGPP a permis à l'État de devenir plus performant alors que les collectivités locales ont fait preuve de laxisme. Je suis convaincue qu'il est possible de faire mieux, notamment en mutualisant les ressources entre communes et intercommunalités, mais l'on ne peut pas parler de laxisme.

Un petit mot sur le Haut conseil des territoires, pour répondre à la question de M. Peyronnet sur la création d'une instance nationale. Le Président de la République s'est engagé à ce que cette instance soit créée, et ce sera donc le cas. Mais il ne doit pas s'agir d'un Sénat bis. Nous devons réfléchir à son organisation, ainsi qu'à son articulation avec d'autres organismes, par exemple avec la Commission consultative d'évaluation des normes.

Enfin, le multiplicateur budgétaire de la puissance publique est une notion keynésienne bien connue mais souvent oubliée. L'OFCE nous a indiqué, il y a quelques jours, qu'un point de dépenses publiques génère au moins 0,5 % de croissance. Et il estime qu'en période de crise, un point de dépense publique peut générer jusqu'à un point de croissance, dans la mesure où l'action publique se substitue aux acteurs privés défaillants. Or, l'investissement public est porté à plus de 71 % par les collectivités. C'est une donnée qui ne peut être minorée.

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