Intervention de Gilles-Éric Seralini

Mission d'information sur les pesticides — Réunion du 29 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Gilles-éric Seralini professeur de biologie moléculaire à l'université de caen

Gilles-Éric Seralini :

Au CRIIGEN et au pôle risques, qualité et environnement durable, reconnu par le CNRS, nous avons travaillé avec des juristes, des sociologues, des économistes et des environnementalistes pour saisir ces problèmes.

Trois enjeux majeurs ont été soulevés par vos questions très pertinentes. Premièrement, se pose un problème de transparence. Il faut que les données brutes sur la santé soient mises à la disposition de la communauté scientifique - j'exclus celles portant sur la fabrication du produit. Il convient de lever, au bénéfice de l'État, le code confidentiel sur les analyses de sang. Ainsi, la communauté scientifique pourrait s'emparer gratuitement de ce sujet de recherche. La loi exige la transparence sur les données de santé, mais elle n'est pas respectée quant aux analyses sanguines. Comment un médecin pourrait-il diagnostiquer ce dont vous souffrez, sans jamais connaître les résultats des examens de laboratoire ? Or, il est important d'obtenir les analyses de sang des mammifères qui ont reçu, le plus longtemps possible, le produit analysé.

Par ailleurs, l'étiquetage des produits doit être complet. Or, les adjuvants restent confidentiels et ne font pas l'objet de tests approfondis. Nos prélèvements obligatoires servent à prendre en charge des maladies chroniques dont nous ne pouvons pas connaître l'origine ! Sans élément sur la composition du produit, aucun scientifique ne peut reproduire son effet. Ces méthodes constituent un sommet obscurantiste digne d'une sorte de Moyen-âge de la connaissance : n'avoir accès ni au produit ni aux effets qu'il entraîne. Depuis cinquante ans, nul n'est capable de réaliser un test sur la formulation d'un pesticide dans le respect des normes préconisées par l'OCDE, car cela coûterait 2 millions d'euros.

C'est pourquoi, par exemple, il n'y a eu qu'un test au monde pour homologuer le Roundup... et ce test est baladé de commission en commission.

Pour favoriser l'emploi, l'État a demandé aux laboratoires et aux grands organismes de recherche de se rapprocher de l'industrie, ce qui a émoussé l'expertise contradictoire. Le corporatisme d'intérêt n'est pas rare au sein des commissions, où nous cherchons le mythe de l'expertise indépendante, alors qu'il faut organiser une expertise contradictoire.

Une expertise indépendante ne peut être fondée uniquement sur les données du pétitionnaire ; elle ne peut être réalisée uniquement par des rapporteurs en phase avec l'industrie. Je partage l'opinion de certains d'entre eux, mais je place différemment la barre d'exigence des contrôles et des expertises. Si l'on ne peut demander un test à long terme sur la formulation, alors qu'il est nécessaire, j'y vois une lacune de l'exigence. Il y a des gens qui le savent dans les commissions.

D'où un hiatus entre les connaissances et la réglementation - l'épigénétique et les courbes en U et en J sont dedans. Il est donc nécessaire de stimuler l'expertise contradictoire, à euros constants. Il faut demander aux industriels de ne plus financer eux-mêmes des cocontractants ou des sous-traitants pour réaliser des tests et établir des statistiques des tests. Au contraire, il faut leur demander de réemployer les fonds correspondants - qui donnent lieu à des subventions ou des crédits d'impôt recherche - pour payer des laboratoires indépendants chargés de réaliser ces tests. Les entreprises pourraient abonder un fonds destiné à réaliser ces études et qui serait géré par l'État. Il serait ensuite fait appel à deux experts scientifiques, l'un nommé par l'industriel, l'autre par une structure plus citoyenne. Après évaluation du dossier, ces experts présenteraient leurs travaux devant la commission, dont les séances seraient ouvertes aux journalistes scientifiques lorsque les débats portent sur la santé et l'environnement, ou à d'autres personnes, comme dans les assemblées parlementaires. Ainsi, aucune question ne resterait sans réponse. Aujourd'hui, ces sujets sont aux mains de commissions dont les membres sont trop souvent en charge de l'évolution des carrières de leurs collègues. Les enjeux de pouvoir ne permettent ni la transparence, ni la réalisation d'une expertise contradictoire.

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