Intervention de Marie-Christine Lecomte

Mission d'information sur les pesticides — Réunion du 20 juin 2012 : 1ère réunion
Audition de l'institut national de la santé et de la recherche médicale inserm

Marie-Christine Lecomte, directeur de recherche, responsable du Centre d'expertise collective de l'INSERM à la Faculté de Médecine Xavier-Bichat :

Nos travaux visent à apporter un éclairage scientifique à la décision politique. En réponse à une demande institutionnelle, nous établissons un bilan des connaissances scientifiques. À partir de la littérature scientifique internationale, nous constituons un fonds documentaire qu'analyse un groupe d'experts.

La direction générale de la santé (DGS) nous a sollicités pour mener un travail sur les pesticides et leurs effets à long terme sur la santé, notamment à travers les expositions professionnelles agricoles et les expositions prénatales. Ce travail devrait être terminé à la fin de l'année 2012.

Nous avons interrogé trois disciplines : l'expologie, soit la mesure des expositions ; l'épidémiologie, en ciblant un certain nombre de pathologies neurodégénératives - Parkinson, Alzheimer -, la sclérose latérale, les troubles cognitifs et psychiatriques, les cancers - un important volet -, dont les cancers hématopoïétiques, les troubles de la reproduction, le développement de l'enfant ; enfin, l'approche toxicologique.

Nos difficultés ? C'est d'abord, l'abondance de la littérature scientifique sur le sujet - 130 000 références traitant de pesticides. Nous avons choisi de cibler, dans les banques de données, les familles chimiques ou les pesticides que les études épidémiologiques avaient pu signaler comme suspects ou potentiellement impliqués dans le développement de pathologies. Autres difficultés, l'évaluation des expositions et la disparité des études.

Le groupe de l'expertise collective est amené à faire des recommandations, dont les grandes lignes sont encore en débat à ce jour.

Dr Isabelle Baldi. - Nous travaillons, pour beaucoup, sur les maladies neurologiques, les cancers et les troubles de la reproduction, pour lesquels de nombreuses données sont disponibles.

Il faut garder à l'esprit que nous tenons compte de tous les facteurs de risque, nombreux dans le modèle agricole ; leur part respective est difficile à déterminer.

Au-delà du monde agricole, bien des professions sont concernées et aujourd'hui sous-étudiées, depuis les professionnels des espaces verts, de la voirie, de la SNCF, jusqu'aux métiers du bois en passant par ce qu'on appelle l'hygiène publique (les vétérinaires, les pompiers,...).

Il ne faut pas oublier non plus l'exposition non professionnelle dont celle des enfants. Reste que c'est sur la population agricole que l'on dispose des schémas d'exposition les plus complets, et du recul le plus important.

Les nombreuses études épidémiologiques sur les troubles neurologiques portent surtout sur la maladie de Parkinson. Il faut savoir que, en épidémiologie, c'est l'analyse des différentes études qui permet de parvenir à des conclusions positives.

Pour les troubles cognitifs, en dépit du nombre d'études, nous manquons encore d'études sur la durée et les effectifs étudiés sont généralement étroits. Quatre cohortes sont à l'étude. L'ensemble de la littérature, notamment les études transversales, conduit à imaginer des associations positives entre exposition et effets sur la santé dans les années qui suivent. Presque toutes les études ont porté sur une famille de pesticides, les insecticides organophosphorés.

L'étude Phytoner porte sur une cohorte d'un millier d'agriculteurs et de viticulteurs de Gironde, sur une quinzaine d'années. Nous nous attachons à la mesure de l'exposition, en regardant de près les tâches effectuées, comme au détail des fonctions cognitives. On a relevé des détériorations très nettes de celles-ci chez les personnes exposées aux pesticides, parfois des performances très abaissées en termes d'attention ou de conceptualisation, ce qui n'est pas sans conséquence sur la vie quotidienne. Ces troubles pourraient à terme évoluer vers des pathologies neurodégénératives telles que la démence ou la maladie d'Alzheimer.

S'agissant de la maladie d'Alzheimer, nous ne disposons que d'une dizaine d'études cas-témoins, plutôt fragiles, puisqu'il s'agit d'interroger des personnes qui ont des troubles de la mémoire. Les résultats sont cependant convergents : il y a augmentation du risque.

J'en viens aux troubles psychiatriques, notamment la dépression et le suicide en milieu agricole, sur lesquels existe une trentaine d'études épidémiologiques, pour déterminer s'il y a un lien avec les pesticides. La difficulté tient à la conjonction des facteurs environnementaux, sociaux et professionnels. Reste que l'on ne peut écarter l'hypothèse d'une influence de l'exposition aux pesticides sur les troubles de l'humeur et d'une contribution aux troubles dépressifs.

On parle davantage de la maladie de Parkinson. On dispose, avec les rapports de cas, les études écologiques et les études cas-témoins, d'une vraie séquence. Une soixantaine d'études fait apparaître l'existence d'un doublement du risque combiné pour les personnes exposées aux pesticides. Mais les données des études sont hétérogènes. Des conférences de consensus ont pointé les incertitudes sur les contextes agricoles et les familles de pesticides - on ne peut dire si tel ou tel type d'agriculture, ou tel ou tel produit est plus spécifiquement concerné, bien que l'on ait quelques pistes ; les facteurs génétiques, la sensibilité individuelle comptent aussi, de même que l'association des produits à un moment donné ou tout au long de la vie.

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