Intervention de Sophie Primas

Mission d'information sur les pesticides — Réunion du 12 juin 2012 : 1ère réunion
Audition du dr nadine houedé oncologue à l'institut bergonié centre régional de lutte contre le cancer de bordeaux et du sud-ouest

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente :

Nous travaillons sur un sujet qui vous est familier, à savoir celui de l'impact des pesticides sur la santé. Dans un premier temps, nous nous penchons sur la santé de leurs utilisateurs, et non sur les résidus de pesticides dans l'eau ou l'alimentation. Nous vous entendons dans le cadre des nombreux travaux, communications et préconisations que vous avez publiés sur cette question.

Dr Nadine Houedé, oncologue à l'Institut Bergonié. - J'ai reçu votre questionnaire, qui m'a permis d'élaborer un plan. Je suis oncologue médicale, cancérologue spécialisée dans les cancers urologiques au Centre régional de lutte contre le cancer de Bordeaux. Malheureusement, j'interviens en bout de chaîne pour les personnes exposées développant un cancer de la vessie, qui n'est pas le seul type de cancer que les exploitants sont susceptibles de développer.

Je crois que vous avez déjà reçu les industriels. Leurs données sur les produits utilisés sont sans doute précises. Les pesticides se divisent en trois catégories, à savoir herbicides, fongicides et insecticides. Environ 1 200 produits ont été développés au cours des ans. Certains ont été interdits, d'autres sont encore autorisés. Aujourd'hui, 600 pesticides différents sont utilisés dans le monde. Souvent, ces produits sont constitués de mélanges de molécules. Il est donc très difficile d'identifier les effets d'un produit en particulier ou de l'association de molécules.

Les facteurs pouvant influencer la toxicité, définis par l'OMS, sont les suivants : dose utilisée, modalités d'exposition, degré d'absorption, souvent difficile à quantifier, nature et activité des métabolites, accumulation et persistance du produit dans l'organisme.

Sur le plan médical, une partie des effets néfastes des pesticides est liée à leur stockage dans les adipocytes, ou tissus graisseux. Il existe différents modes de contamination, à savoir par inhalation de vapeurs, ingestion involontaire ou sous forme cutanée en cas de contact direct avec les produits au cours d'une manipulation.

Les mécanismes toxiques de certains pesticides sont aujourd'hui connus. Ils peuvent agir par induction et inhibition des enzymes, protéines situées sur une chaîne de synthèse ou de régulation, et qui contrôlent la fabrication des protéines et la réplication de certaines cellules. Ils peuvent également impacter le système immunitaire et le système hormonal et déclencher des maladies.

Les cancers ont souvent une origine plurifactorielle. Il est donc très difficile de déterminer si leur lien avec les pesticides est direct ou s'ils découlent d'une cascade de causes telles que des agressions chimiques, des mécanismes génétiques ou des facteurs environnementaux comme les radiations ou l'exposition au soleil ou aux virus, auxquels peuvent être confrontées des personnes travaillant dans des exploitations agricoles. Ces facteurs auront un effet sur leur code génétique, qui régule leur croissance et leur développement. L'ADN peut alors se briser ou s'abîmer. Une première mutation le modifiera à un endroit particulier, ce qui entraînera une succession de mutations aboutissant au cancer. Ces processus prennent du temps. Une personne peut donc être exposée aujourd'hui mais ne développer un cancer que dans dix ou vingt ans.

Ce délai explique peut-être l'apparition actuelle de cancers liés aux pratiques excessives d'il y a une vingtaine d'années ?

Dr Nadine Houedé. - En effet. Il existe un effet temps d'au moins dix ans, qui peut aller jusqu'à quarante ans, entre l'élément initiateur et la maladie.

On dit que les maladies professionnelles représentent 2 % à 8 % des causes de cancers en France. En réalité, il est très difficile d'obtenir des chiffres exacts dans ce domaine. J'ai étudié la littérature scientifique portant sur cette question avant de me présenter devant vous. Certains articles évoquent 3 000 cancers professionnels par an en France, contre 30 000 dans certains autres articles. Nous manquons de données épidémiologiques pour obtenir des résultats plus précis.

L'arsenic, normalement interdit en France, est le premier pesticide à avoir été classé cancérogène certain. Il est connu pour avoir entraîné des cancers de la peau et des poumons et des angiosarcomes hépatiques. D'autres pesticides ont été classés cancérogènes probables. Ils peuvent engendrer des cancers au niveau du cerveau, des leucémies, des lymphomes et des cancers pulmonaires. Toutefois, seuls 10 % des pesticides ont été étudiés pour leur rôle pathogène potentiel.

En outre, si l'activité pathogène d'une molécule est connue, le résultat de son association à une autre est souvent inconnu. Des effets synergiques peuvent en effet découler de leur mélange, qui additionne les risques pathogènes. Au moment de la commercialisation de ces produits, les études sont donc trop peu nombreuses.

Il existe par ailleurs un certain nombre de facteurs confondants pouvant intervenir dans ces événements toxiques. Les agriculteurs sont en effet exposés à d'autres produits potentiellement toxiques comme les fiouls, les solvants, les peintures, la fumée, la poussière organique, le soleil et les virus animaux. Du fait de ces différents éléments, il est difficile de déterminer avec certitude la responsabilité du pesticide dans l'apparition d'un cancer. Souvent, une cascade de facteurs aboutit au développement du cancer.

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