Intervention de Marie-Monique Robin

Mission d'information sur les pesticides — Réunion du 26 juin 2012 : 1ère réunion
Audition Mme Marie-Monique Robin journaliste réalisatrice du film « notre poison quotidien »

Marie-Monique Robin :

Je n'aime pas trop le terme « phytosanitaire » car c'est une invention de l'industrie chimique pour nous faire croire que ces poisons agricoles ne sont pas des poisons. Je préfère utiliser le terme « pesticide » qui a le mérite de la clarté puisqu'il s'agit bien de produits conçus pour tuer des organismes vivants, même si cela a été oublié dans les campagnes. Pourtant, même dans la ferme de mes parents, nous parlions du « magasin de produits phytosanitaires » en pensant que ces produits soignaient les plantes. Je tiens donc à rappeler que ces produits sont faits pour tuer et ne soignent pas les plantes.

J'ai débuté l'enquête Notre poison quotidien dans la foulée de mon travail sur Monsanto dans lequel je montrais, à travers un film et un livre, comment cette multinationale américaine, grand producteur de pesticides, avait systématiquement caché la toxicité de ses produits et menti pour qu'ils restent sur le marché le plus longtemps possible. Je reviens justement du Japon où le film sort au cinéma et où le livre vient d'être traduit. Mon enquête a donc fait le tour du monde mais, à ce jour, je n'ai pas rencontré de problèmes judiciaires. Même si un certain nombre de personnes puissantes voudraient que je cesse mes travaux, les dirigeants de Monsanto ne m'ont pas, comme ils en ont l'habitude avec les journalistes ou les scientifiques, poursuivie en justice.

Quand j'ai terminé mon travail sur Monsanto, trois questions me revenaient sans cesse à l'esprit. Je me demandais tout d'abord si Monsanto constituait une exception. J'aurais aimé que cela soit le cas mais il n'en est malheureusement pas ainsi. En effet, toute l'industrie chimique depuis le début du XXe siècle ment systématiquement sur la toxicité de ses produits. L'industrie chimique et des pesticides sait que ses produits sont toxiques mais elle ne le dit pas aux autorités et fait tout pour entretenir le doute sur cette toxicité. Le problème est donc systémique.

Je me demandais ensuite comment étaient réglementés les produits chimiques et si l'on pouvait faire confiance aux normes édictées par les agences de réglementation. La réponse est malheureusement non. En effet, il est commun de dire que 100 000 produits chimiques ont été mis sur le marché depuis la Seconde Guerre mondiale mais que seulement 10 % d'entre eux ont été testés.

La dernière question que je me posais concernait l'éventuel lien entre l'exposition à ces produits chimiques et l'épidémie de maladies évitables relevée par l'OMS. Cette dernière entend par maladies évitables des maladies dont les causes peuvent être identifiées et donc supprimées. Ces maladies évitables sont les cancers, les maladies neuro-dégénératives, les troubles de la reproduction, de l'obésité, le diabète etc...

Pour répondre à cette troisième question, je me suis centrée sur notre assiette en menant des investigations sur les pesticides, les additifs alimentaires et les plastiques qu'on y retrouve.

Je suis persuadée que les pesticides ont effectivement un impact sur les utilisateurs mais je tiens à préciser que je ne suis que journaliste. Mon métier consiste à faire le tour du monde pour rencontrer des experts et des témoins pour mettre à la disposition des élus les informations recueillies dans un souci de recherche et d'un mieux vivre ensemble.

Il est vrai que la question des pesticides me touche particulièrement. Je suis née dans une ferme dans les Deux-Sèvres dans laquelle travaillaient cinq paysans dont deux sont morts prématurément d'un cancer et d'une leucémie foudroyante et deux se battent contre un cancer de la prostate et un cancer de la peau. Il a fallu que je réalise mon film sur Monsanto pour que mon père, le seul d'entre eux aujourd'hui en bonne santé et qui s'occupait alors des vaches laitières et non des cultures, réalise quelle était la cause de ces cancers. Je suis donc portée par une motivation personnelle qui ne m'empêche en rien d'exercer mon métier le mieux possible.

Au début de mes travaux, j'ai essayé de recenser les études sur la relation pesticides-cancers. Il en existe des milliers au sein desquelles il est très difficile de se repérer. J'ai néanmoins constaté que la revue systématique de la littérature scientifique effectuée par des Canadiens à la demande du collège des médecins de l'Ontario aboutissait aux mêmes conclusions que deux autres revues très sérieuses : il existe évidemment un lien entre l'exposition répétée aux poisons chimiques déversés dans nos champs depuis cinquante ans et certains types de cancers.

Il faut savoir que, en général, la population agricole a moins de cancers que la population globale mais qu'elle souffre beaucoup plus de certains cancers, à savoir les lymphomes, les leucémies - à cause du benzène -, les cancers de la peau, de la prostate et du cerveau.

Par ailleurs, je suis très heureuse d'apprendre que la maladie de Parkinson a enfin été reconnue en tant que maladie professionnelle. J'espère que d'autres maladies entreront également dans le tableau des maladies professionnelles afin que les paysans qui en sont victimes n'aient plus à mener le très long combat pour être reconnus et obtenir un soutien pour eux et pour leurs familles.

Concernant le risque sanitaire que représentent aujourd'hui les pesticides en France, je m'inquiète beaucoup du sort des agriculteurs mais j'ai aussi examiné les effets nocifs sur les consommateurs qui mangent des produits imprégnés de résidus de pesticides. Le problème est notamment lié à la réglementation actuelle. En effet, lorsque René Truhaut, un toxicologue français très réputé et très respectable, a eu l'idée de réglementer les produits chimiques au début des années 1960, à partir de l'idée « la dose, c'est le poison », il a développé le concept de la dose journalière acceptable ou admissible (DJA) qui est depuis devenu le fondement de toute la toxicologie et de toutes les agences chargées des réglementations (EFSA, ANSES ...).

Lors de la rédaction de mon livre, j'ai rencontré seize représentants d'agences de réglementation. Aucun n'a pu répondre clairement à mes questions car ils ne peuvent évidemment pas défendre un système indéfendable qui consiste à empoisonner la population à petites doses depuis quarante ans. Les agences de réglementation gèrent comme elles le peuvent un outil qui est, par essence, mauvais. La seule solution consisterait à revoir l'outil de fond en comble.

René Truhaut ne le savait pas à l'époque mais nous savons aujourd'hui que les perturbateurs endocriniens - des hormones de synthèse présentes dans de nombreux produits industriels - se retrouvent dans les végétaux sur lesquels ils sont appliqués et agissent sur la santé à des doses extrêmement faibles. Ces perturbateurs sont parfois sans conséquence à des doses élevées mais ils agissent de façon très importante à des doses infimes qui ne sont souvent même pas mesurées dans les tests exigés de l'industrie.

La littérature scientifique est très fournie sur le sujet. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de filmer un colloque scientifique à La Nouvelle-Orléans au cours duquel les chercheurs présentaient le concept d'origine foetale des maladies de l'adulte. En effet, des milliers d'études montrent que les cancers hormono-dépendants dont souffrent les personnes de trente ou quarante ans sont d'origine foetale, leur mère ayant consommé à un stade précis de sa grossesse un aliment contaminé par une hormone de synthèse.

Comme nous mangeons tous les jours des aliments non biologiques, nous consommons des résidus d'hormones de synthèse qui agissent à des doses extrêmement faibles et qui ont aussi la particularité d'interagir (effet cocktail). Si l'exposition se déroule in utero, les personnes peuvent développer vingt, trente ou quarante ans après des cancers de la prostate et du sein, des troubles de l'attention - de nombreuses études montrent ainsi que les animaux exposés à de très faibles doses de perturbateurs endocriniens développent des comportements autistiques, des troubles de la reproduction, du diabète ou de l'obésité.

Face à des molécules dangereuses, le principe de la DJA ne sert absolument à rien, car c'est le moment de l'exposition qui compte, d'autant que les études fournies par l'industrie pour définir cette fameuse DJA sont très discutables. Prenons l'exemple de la procymidone, un fongicide cancérogène et perturbateur endocrinien qui est enfin interdit en dans l'Union européenne et dont la DJA a été plusieurs fois abaissée. Lorsque je m'étonnais devant un représentant de l'Agence Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) que la DJA de ce produit, une valeur censée être sûre et scientifique et donc nous protéger dès sa mise en place, ait dû être diminuée à plusieurs reprises, mon interlocuteur avait bien du mal à me répondre.

Ce n'est cependant pas aux agences de réglementation qu'il faut jeter la pierre mais aux pouvoirs publics qui leur demandent de continuer à utiliser un outil qui ne sert à rien et qui, très clairement, protège les industriels. L'exemple récent du colorant caramel du Coca-Cola, cancérogène maintenant interdit en Californie mais non en Europe, montre bien que les normes sont des artefacts politiques qui servent à protéger les intérêts des industriels. Comme je le disais en préambule, Monsanto n'est pas une exception. Depuis un siècle, l'industrie a tout fait pour maintenir la DJA. En effet, le jour où la DJA sera remise en cause, les perturbateurs endocriniens devront être interdits car il est impossible de les réglementer.

Pour maintenir leurs produits sur le marché, les industriels utilisent ce que M. David Michaels, un épidémiologiste américain, aujourd'hui secrétaire adjoint du travail dans le Gouvernement Obama, appelle « la fabrique du doute », dans son livre « Notre produit, c'est le doute ». L'expression lui vient de l'industrie du tabac qui, dans un document déclassifié au moment des grands procès contre les cigaretiers, indiquait qu'elle vendait des cigarettes et du doute. Historiquement, la fabrique du doute a commencé dans les années 1920 avec l'essence au plomb. Devant le tollé général provoqué par la mise sur le marché de ce carburant, l'industrie a créé un laboratoire chargé de minimiser la perception des effets négatifs de l'essence au plomb. L'industrie du tabac a ensuite, à son tour, payé des laboratoires pour réaliser des études biaisées.

Ces études biaisées consistent à moduler les cohortes, de manière à mélanger les personnes exposées et les autres dans les groupes comparés et à retenir les temps d'exposition les plus courts possibles, ce qui permet d'obtenir les résultats souhaités. Découvrir ces biais demanderait un examen approfondi. Or, les données toxicologiques fournies par l'industrie pour être évaluées par les experts sont couvertes par le secret commercial et ne peuvent donc être consultées par personne.

Même après avoir travaillé sur Monsanto, je ne pouvais pas imaginer ce système incroyable. En 2001, le New England Journal of Medicine s'est lui aussi rendu compte qu'il était victime de ce système et que les revues scientifiques qu'il publiait étaient biaisées, ne donnaient pas une vérité scientifique, mais défendaient des produits. Ce grand journal britannique et treize autres revues scientifiques renommées, dont The Lancet, ont alors décidé d'exiger, au minimum, que les auteurs publient leurs conflits d'intérêts. Les revues se tiennent encore aujourd'hui à cette décision qui constitue un pas dans la bonne direction.

Même si les agences de réglementation publient, elles aussi, les conflits d'intérêts, le problème est que les experts censés évaluer les données toxicologiques transmises par les industriels n'analysent pas en profondeur ces études douteuses. Les sous-sols de l'OMS abritent ainsi quinze kilomètres de rayonnages de données transmises par les industriels que personne ne vérifie. Il est pourtant possible d'y trouver des mentions aussi étonnantes que celle d'« ovaires de lapins mâles ».

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