Les agences reçoivent un résumé des données toxicologiques, élaboré par l'industrie. Quand elles arrivent à obtenir les données brutes et les confient à un laboratoire indépendant, les résultats sont généralement inverses de ceux donnés par l'industriel dans son résumé. Les experts des agences, qui n'ont généralement pas de lien avec l'industrie - sachant que, par ailleurs, il n'est pas facile de trouver des experts qui ne soient pas, d'une manière ou d'une autre, liés à l'industrie - se contentent de lire le résumé. Cependant, ils ne retiennent que les études qui suivent « les bonnes pratiques de laboratoire » ou BPL.
En effet, à la fin des années 1980, aux États-Unis d'Amérique, un énorme scandale a éclaté lorsqu'il est apparu que les études sur le désherbant Roundup - incluant les ovaires de lapins mâles ! - avaient été totalement bâclées par le laboratoire en charge de les réaliser. Les États-Unis ont alors créé une feuille de route pour encadrer les études conduites par l'industrie. Cette feuille de route oblige, par exemple, les laboratoires missionnés par les firmes à effectuer des notations quotidiennes sur le déroulement des travaux : ce sont les bonnes pratiques de laboratoire. Les laboratoires publics américains de leur côté n'appliquent pas cette feuille de route, d'une part, parce que son coût est très élevé, et d'autre part, parce qu'ils appliquent un autre système de validation, celui de la publication dans des revues scientifiques. Les données toxicologiques de l'industrie ne sont, à l'inverse, jamais publiées. Ce qui empêche le CIRC de classer des pesticides possibles cancérogènes, puisqu'il ne travaille qu'à partir des études publiées.
Nous sommes donc face à un système uniquement au service de l'industrie et dont les agences de réglementation sont, d'une certaine manière, complices.
Dans ces conditions, comment améliorer le système ? Mon premier constat est que les pesticides cancérogènes ou perturbateurs endocriniens ne peuvent pas être réglementés. Ils doivent être interdits. En effet, il est impossible de produire des aliments sains en les arrosant de poison chimique. M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, et M. Jean-René Buisson, président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), affirmaient, l'année dernière devant moi sur un plateau de télévision, qu'il était impossible de nourrir le monde sans recourir aux pesticides. Après avoir pris la question à bras-le-corps pendant un an, je peux vous assurer que c'est un mensonge supplémentaire. Ce sont, au contraire, les pesticides qui affament le monde car ils provoquent de nombreuses maladies dans les cultures.
Sachez également que 1 % seulement des pesticides atteignent leur cible dans les champs et que le restant part dans l'environnement. Nous appliquons donc un modèle totalement inefficace qui ne sert que les intérêts des industriels et qui asservit totalement les agriculteurs. Ces derniers ne savent même plus ce qu'est l'humus alors que c'est la meilleure manière de se protéger contre les parasites. Vous découvrirez dans mon prochain film qui sortira à l'automne que nous n'avons pas besoin de molécules dangereuses qui rendent malades les utilisateurs et les consommateurs.
S'agissant des autres molécules dont l'utilisation se poursuivra, les médicaments par exemple, il faudrait réformer le système d'évaluation en continuant à publier les conflits d'intérêts des experts et en créant plus de transparence grâce à des expertises contradictoires. Cela permettrait d'éviter le funding effect, théorie suivant laquelle le résultat de l'étude est prévisible selon la source de financement (firme ou laboratoire indépendant). Cela a été le cas pour l'aspartame et le bisphénol A.
Il faudrait aussi prévoir la possibilité de faire appel à des observateurs extérieurs choisis dans la société civile en fonction de leurs compétences. En effet, si les problèmes d'amiante, par exemple, ont enfin été réglés, c'est grâce à des acteurs de la société civile qui se sont emparés du sujet et non grâce à l'Académie de médecine ou à l'Académie des sciences.
Je souhaite finalement que les études soient payées par l'industrie mais conduites par des chercheurs indépendants sous le contrôle des autorités publiques. Je souhaite aussi que le souci de la santé publique passe avant le souci des industriels.
A ce sujet, je vous invite à lire l'ouvrage d'Ulrich Beck, La société du risque, qui montre que les risques sont partout autour de nous et qu'il faut les évaluer. En l'occurrence, évaluer le risque c'est mesurer les risques encourus par les citoyens et les bénéfices apportés par les produits, sachant que les agences de réglementation qui émanent des pouvoirs publics doivent faire passer le souci de la protection des citoyens avant celui des industriels. Malheureusement, c'est exactement l'inverse qui se produit depuis cinquante ans.
J'avais été entendue il y a quelque temps par le sénateur M. Gilbert Barbier à propos d'un rapport parlementaire sur les perturbateurs endocriniens, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). J'avais été un peu déçue lorsqu'il m'avait annoncé les recommandations de ce rapport parce qu'il proposait d'indiquer sur tous les produits contenant des perturbateurs endocriniens la mention « déconseillé aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge ». Cela me semblait un peu léger au regard des risques encourus par ces populations. Lorsque j'avais indiqué à M. Gilbert Barbier que la seule solution était d'interdire ces molécules, il m'avait demandé ce que ferait alors l'industrie. J'ai été déçue qu'un sénateur soit si attaché à la défense des intérêts de l'industrie. Nous devons absolument réintroduire le souci du bien public dans le travail des agences de réglementation.
Je suis également très déçue de la récente prise de position de M. Stéphane Le Foll, nouveau ministre de l'agriculture, qui s'est opposé à une allocation de fonds européens pour des mesures agro-environnementales, car les agriculteurs n'en peuvent plus d'être malades et ont besoin d'un signal fort. M. Paul François a eu le mérite de libérer la parole dans nos campagnes. J'ai longtemps été considérée comme une traîtresse dans ma région natale mais, depuis que M. Paul François a eu le courage de dire que les pesticides l'avaient rendu malade et de créer l'association Phyto-Victimes, la parole se libère.
Il faut se préparer à un grand scandale sanitaire dans nos campagnes, aussi important que celui de l'amiante. J'espère que les politiques n'auront pas à se reprocher d'être restés les bras croisés. Le problème concerne aussi les consommateurs, bien entendu. Lorsque je présente mon film « Le monde selon Monsanto » et que je demande qui, parmi les spectateurs, connaît une proche, une voisine ou une collègue jeune qui souffre d'un cancer du sein, 90 % de la salle lève la main ! En conclusion, je suis persuadée que nous pouvons nourrir le monde sans ces produits chimiques dangereux. J'espère simplement que le nouveau Gouvernement sera au rendez-vous.