Merci de votre invitation et de votre accueil. Une partie des travaux de recherche de l'ANR s'oriente vers les alternatives aux pesticides ; l'autre s'intéresse aux aspects sanitaires. Le concept d'agriculture écologiquement intensive (A.E.I.) est né pendant le Grenelle de l'environnement, dans le bureau du ministre, M. Jean-Louis Borloo, qui, ayant entendu évoquer une agriculture à la fois vertueuse et productive, cherchait un nom pour la désigner. Suite à une séance de brainstorming, nous avons retenu « haute valeur environnementale » et « agriculture écologiquement intensive ». L'oxymore a remporté un grand succès. A un moment où le mot « intensif » est devenu détestable pour de nombreuses personnes, l'agriculture écologiquement intensive repose sur l'utilisation des fonctionnalités naturelles, comme le cycle d'accumulation de la matière organique dans les sols.
La photosynthèse fabrique de la biomasse, qui se décompose et s'humidifie, donnant de la matière organique, qui se décompose à son tour sous l'effet de la faune du sol. Cette décomposition produit des minéraux ensuite réassimilés par la plante. Nous pouvons intensifier, c'est-à-dire amplifier, ce grand cycle. La gestion de l'eau est un autre exemple de fonctionnement naturel. Platon avait déjà observé que les pentes sur lesquelles on ne trouvait plus d'arbres ne filtraient plus l'eau. L'écologie intensive vise à repenser les hydro-systèmes pour que les paysages absorbent l'eau. Enfin, il existe un équilibre naturel qui provient de la chaîne trophique et des interactions écologiques, qui constituent des systèmes. Certes instable, l'équilibre évite que certaines espèces ne pullulent. Dans le cadre d'une monoculture intensive, l'arrivée de n'importe quel envahisseur devient catastrophique et les traitements chimiques s'imposent comme unique solution.
Nous misons sur l'amplification des phénomènes naturels, sur leur intégration et leur complexification. Par exemple, certains agriculteurs reconstituent par exemple des chaînes trophiques pour ne pas utiliser de pesticides. Leurs initiatives procèdent de la bio-inspiration, car l'imitation de phénomènes naturels par la science et la technique est porteuse de grandes promesses. Nous savons que toutes les plantes ont des capacités de résistance à des insectes ou à des parasites. Dans le cas contraire, elles n'existeraient plus, non plus que leurs parasites. Ces mécanismes sont cependant si ténus qu'ils sont inefficaces dans de grands champs de monocultures. Nous essayons donc de localiser ces mécanismes dans le génome des plantes, afin de les transférer sur des plantes voisines. Cela s'appelle de la transgénèse, de la fabrication d'OGM. Mais il s'agit ici d'offrir un mécanisme naturel déjà existant. Ainsi, nous intégrons certains OGM dans le concept d'écologie intensive.
Ce terme rencontre un grand succès dans l'Ouest de la France, particulièrement en Bretagne, où l'on me demande une conférence pratiquement chaque semaine. L'approche plait, car elle ne constitue pas un cahier des charges. Les agriculteurs apprécient une démarche de progrès qui leur accorde une grande confiance. Ils sont également séduits par la transition vers une situation plus vertueuse du point de vue de l'environnement et plus économe en intrants (engrais ou produits phytosanitaires). De nombreux agriculteurs commencent à craindre les pesticides et sont bouleversés à l'idée d'avoir empoisonné leurs enfants.
Dans ce contexte, le plan Ecophyto 2018 tend à réconcilier la productivité et l'écologie. En Bretagne, certains agriculteurs se disent qu'ils peuvent devenir de véritables défenseurs de l'écologie. La transition permettrait d'évoluer vers une situation apaisée entre le monde de l'écologie militante et le monde agricole. L'association internationale pour une agriculture écologiquement intensive a été créée à la demande d'un certain nombre de coopératives. Son conseil d'administration réunit des personnes comme Mme Christiane Lambert de la FNSEA, Mme Marie-Hélène Aubert, qui travaille maintenant pour le Président de la République, ou encore des représentants de France Nature Environnement (FNE). C'est le prototype de ce que le Grenelle de l'environnement avait de meilleur pour proposer des solutions techniques innovantes.
L'agriculture écologiquement intensive n'est pas l'équivalent de l'agriculture raisonnée, bien qu'elle lui emprunte certaines pratiques : l'agriculture raisonnée constitue un premier pas qui reste insuffisant. En effet, plus les doses de pesticides diminuent, plus le risque s'accroît. Or, ce risque pèse sur le revenu des agriculteurs. Ainsi, les pesticides apparaissent comme des assurances pour les revenus agricoles. Si un progrès scientifique permet de réduire l'utilisation de pesticides tout en maintenant la productivité, la connaissance fonctionne comme un deuxième mécanisme d'assurance.
L'agriculture biologique se fixe pour contrainte de ne pas utiliser de produits issus de la chimie de synthèse. Cependant, les travaux et expertises donnent aux scientifiques des idées intéressantes pour l'avenir. L'agriculture biologique a permis de développer l'idée selon laquelle les agriculteurs peuvent être innovants. Elle crée néanmoins une plus grande incertitude sur les volumes de production, car l'environnement reste instable. Ainsi, les récents épisodes climatiques ont provoqué le développement d'épidémies fulgurantes de mildiou dans toute la région du Nord. Il n'y aura donc pas cette année de tomates issues de l'agriculture biologique. Le changement climatique induisant une grande variabilité des milieux, l'agriculture biologique aura plus de difficultés à s'adapter que l'agriculture conventionnelle, au demeurant obligée par le plan Ecophyto 2018 de renoncer à l'utilisation de certains pesticides. Pour des raisons de croyances ou pour des motifs règlementaires, ou en raison d'angoisses suscitées par un certain nombre de maladies, un mouvement de transition est à l'oeuvre. Je compatis à la difficulté intellectuelle de cette transition. Le monde agricole a besoin d'être rassuré, ce qui peut offrir un nouveau rôle à la recherche.
Existe-t-il des alternatives aux pesticides ? Les herbicides constituent une assurance extraordinaire pour le rendement. N'oublions pas que le labour, vieux de mille ans, permet de tuer les mauvaises herbes. Toutefois, l'utilisation des tracteurs deviendra hors de prix avec l'accroissement des tarifs de l'énergie. D'où l'idée de renoncer au labour. Beaucoup disent que les herbicides constituent une solution pour développer la biologie des sols. D'autres souhaitent une solution alternative. L'agriculture biologique a souvent recours au labour mais, ce faisant, elle détruit l'écologie du sol et émet des gaz à effet de serre. Elle n'est donc pas si exemplaire...
Une troisième option consiste à utiliser des paillages issus de plantes, étalés en des couches épaisses, puis détruites et métabolisées par les microorganismes présents dans le sol. Lorsque l'expérience est répétée, le sol s'enrichit en matière organique.
Les plantes de couverture constituent une autre solution. Celles-ci permettent de favoriser le ruissellement, alimentent le sol lorsqu'elles meurent et empêchent les mauvaises herbes de pousser, puisqu'elles monopolisent le rayonnement solaire.
Il est également possible de faire de faux semis, c'est-à-dire de semer des plantes et de les arracher en même temps que les mauvaises herbes.
On peut aussi faire un labour très superficiel et, dans certains cas, faire brouter les animaux. La production de riz de Camargue est réalisée grâce à des canards dressés qui apprennent, génération après génération, à manger les mauvaises herbes.
Enfin, nous pouvons signaler la technique de l'allélopathie. Certaines plantes produisant une toxine spécifique éliminent d'autres plantes situées à leur proximité. On peut imiter ce mécanisme naturel. L'Inde est très en avance. Si nous parvenons à imiter le fonctionnement de ces plantes par des processus industriels ou chimiques, nous serons en possession d'une autre solution d'herbicide. Cela ne signifie pas que le processus ne sera pas dangereux pour l'environnement, car ce qui est naturel peut être très dangereux. En dernier recours, les herbicides à petite dose peuvent être dilués dans l'environnement.
A signaler également qu'il est possible de faire varier les largeurs d'occupation du sol dans un peuplement, car la densité conserve une humidité qui peut favoriser le développement de champignons. Il est aussi envisageable de surveiller l'arrivée de maladies en cultivant des plantes plus sensibles. En outre, nous pouvons renforcer l'immunité des plantes aux champignons à l'aide d'éliciteurs. Nous ne manquons pas de solutions alternatives aux solutions chimiques. Parmi ces voies de haute technologie, certaines sont d'application immédiate, d'autres seront développées dans le futur, notamment la synthèse de molécules imitant les structures naturelles. L'important est d'éviter d'adopter une technique unique, qui trouverait toujours son antagoniste dans la nature. C'est une des grandes lois de l'écologie.
A l'ANR, nous essayons de stimuler fortement nos comités de pilotage, mais il est difficile d'être incitatif intellectuellement. Nous avons du mal à persuader les chercheurs de répondre à la demande sociale.
Je ne connais pas l'état des pratiques de lutte biologique. L'ANR ne voit que ce qu'elle finance. Je suggère de poser cette question à l'INRA, qui dispose d'une vision synoptique de la lutte biologique. Cependant, nous enseignons la lutte biologique depuis quarante ans et le sujet n'a jamais constitué une grande priorité pour la recherche. La forte demande sociale n'émerge qu'aujourd'hui.
Nous avons évoqué la dangerosité de produits naturels. Le poison dépend de la dose. Des pesticides actuels pourraient être acceptables s'ils étaient très dilués dans l'environnement et si leur usage était occasionnel. Toutefois, nous renoncerions à la démocratie si nous devions contrôler les faits et gestes des agriculteurs. Nous sommes dans une société de défiance vis-à-vis des agriculteurs. La coordination de tous les agriculteurs d'une région pour une utilisation concertée des produits dangereux paraît illusoire.
Quelque vingt à vingt-cinq projets visant à limiter l'emploi des pesticides ont été reçus par l'ANR entre 2005 et 2011. Leur coût moyen s'établit à 500 000 euros pour l'ANR, mais il est difficile de procéder à des calculs exacts. Environ 30 millions d'euros ont dû être dépensés au total. En accord avec le ministère de l'agriculture, le plan Ecophyto 2018 a été embarqué par l'ANR dans le programme agro-biosphère. Dans les nouvelles versions nous orienterons les recherches vers les éliciteurs et les alternatives. La recherche financée par le ministère de l'agriculture est tout aussi importante, mais beaucoup plus appliquée.
A la demande de certains fonctionnaires de Bruxelles, nous nous interrogeons sur la possibilité de financer l'innovation chez les agriculteurs qui prennent des risques. Je ne comprends pas pourquoi nous avons des difficultés à attirer des chercheurs sur ces sujets alors que des agriculteurs prennent des risques parfois considérables pour leur exploitation et leur famille afin de produire du bien public. Ces personnes mériteraient au moins une rétribution en cas de catastrophe, sous forme contractuelle avec la PAC.