Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 15 octobre 2009 à 9h30
Accord de coopération avec l'inde pour le développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire — Adoption d'un projet de loi

Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre approbation l’accord de coopération entre la France et la République de l’Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, signé à Paris le 30 septembre 2008.

En qualité d’ancien parlementaire et de président, pendant de nombreuses années, du groupe d’amitié France-Inde à l’Assemblée nationale, et pour avoir beaucoup travaillé sur les questions nucléaires, je suis très sensible au développement de nos relations avec ce pays dans un domaine, le nucléaire civil, qui constitue pour chacun de nos deux pays une priorité énergétique, stratégique et technologique.

La France et l’Inde se sont engagées depuis de nombreuses années dans un partenariat stratégique. Cet accord vise à décliner un volet prioritaire de ce partenariat identifié par le Président de la République et le Premier ministre indien dès 2005.

La France entend aujourd’hui, en approuvant cet accord de coopération, conférer une dimension concrète à l’autorisation donnée à l’Inde, par l’ensemble de la communauté internationale, d’aller plus loin dans ses activités nucléaires civiles, dans le cadre des engagements pris par Delhi pour se rapprocher du régime mondial de non-prolifération nucléaire.

C’est un pas en avant tout à fait décisif dans la relation franco-indienne.

Cet accord de coopération n’aurait pas pu voir le jour si nous n’avions assisté, ces vingt dernières années, à de profonds bouleversements des équilibres politiques, stratégiques et économiques mondiaux qui ont touché l’Inde au premier chef.

Ce partenariat franco-indien, que je vous propose aujourd’hui d’approuver sur le plan nucléaire civil, n’aurait pas été possible sans remise en cause par l’Inde de son positionnement stratégique dans le monde de l’après-guerre froide. Aux rapports privilégiés qu’elle a longtemps entretenus avec l’Union soviétique s’est substituée une nouvelle relation au monde, plus équilibrée et très largement tournée vers les États-Unis et les pays de l’Union européenne, la France en particulier.

Pour l’Inde, cette nouvelle configuration économique et politique vise à lui donner un nouvel élan vers l’Asie, l’océan Indien et, au-delà, l’Europe et le continent américain.

L’Inde entend jouer un rôle de tout premier plan sur la scène mondiale en modernisant son économie et en se dotant des moyens de diversifier son offre énergétique pour son immense marché intérieur.

L’Inde est devenue l’un des grands pays émergents de ce début de xxie siècle et l’une des sources potentielles majeures de croissance économique dans le monde. Parallèlement, elle est aussi l’une des sources importantes de dérèglements climatiques, et c’est une de nos préoccupations essentielles.

C’est là un fait incontournable dont témoignent l’essor de ses industries de haute technologie, l’arrivée sur la scène internationale de très grands groupes mondiaux dans des technologies de pointe et l’émergence de produits de qualité made in India désormais reconnus à travers le monde.

Lors de sa récente visite au Kazakhstan, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, rappelait que l’Asie était devenue une région où il était nécessaire d’être présent. L’Inde, pour reprendre les propres termes du Président, fait partie de ces « pays qui sont des têtes de pont, des pays qui sont leaders et avec lesquels la France construira des partenariats du xxie siècle ».

Pour appuyer les propos du Président de la République, je voudrais citer un extrait du rapport du projet 2020 du National Intelligence Council américain, à propos de la carte géopolitique mondiale, qui résume à lui seul l’importance que prend l’Inde dans les relations stratégiques internationales du nouveau siècle.

« L’émergence probable de la Chine et de l’Inde, comme d’autres, en tant que nouveaux acteurs mondiaux importants, similaire à l’avènement d’une Allemagne unifiée au xixe siècle et des puissants États-Unis au début du xxe siècle, va transformer le paysage géopolitique, avec des impacts potentiellement aussi importants que ceux enregistrés au cours des deux derniers siècles. De la même façon que des commentateurs se réfèrent aux années 1900 comme le Siècle américain, le xxie siècle pourra être considéré comme l’époque où l’Asie, menée par la Chine et l’Inde, réalise sa destinée ».

On ne saurait mieux souligner toute l’importance que nous devons accorder, nous Français, au développement de l’Inde. Aider ce pays à apporter à nombre de ses ressortissants la prospérité économique qui leur fait encore défaut et travailler avec les Indiens à une énergie propre qui leur est nécessaire sont des défis qu’il nous faut relever en commun. L’industrie nucléaire française peut répondre à ces besoins de manière particulièrement appropriée. Les dirigeants indiens ont su se tourner vers de nouveaux partenaires industriels pour rénover et moderniser leurs industries, y compris le secteur nucléaire.

Vous le savez, les campagnes nucléaires militaires à partir de 1974 en Inde et à partir de 1990 au Pakistan furent des obstacles.

De plus, l’Inde n’est pas signataire du traité sur la non-prolifération, même si elle est membre, depuis sa création, de l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne. C’est même l’un des très rares États au monde à ne pas avoir signé le traité sur la non-prolifération. C’est pourquoi l’accord qui vous est proposé entre l’Inde et la France a été conclu après que l’Inde a souscrit publiquement un nouvel accord de garanties avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui soumettra un nombre croissant d’installations nucléaires indiennes au contrôle de l’agence.

De même, le Groupe des fournisseurs nucléaires, qui est, comme vous le savez, un régime multilatéral efficace de contrôle des exportations dans le secteur nucléaire comportant quarante-cinq États membres, a signé avec l’Inde un accord de coopération le 6 septembre 2008, qui a été unanimement salué.

Nous soutenions depuis longtemps, dans le cadre de notre partenariat stratégique franco-indien, l’ouverture de cette coopération nucléaire civile avec l’Inde, qui lui permettra de concilier la satisfaction de ses besoins énergétiques, sa lutte contre le changement climatique et le respect des règles de non-prolifération. La décision du Groupe des fournisseurs nucléaires de septembre 2008 a marqué un progrès important pour le régime de non-prolifération nucléaire, et nous nous étions félicités de la réaffirmation, par l’Inde, de ses engagements dans le domaine nucléaire à ce moment.

Il faut également noter que cet accord a permis la conclusion d’un traité similaire entre les États-Unis et l’Inde. Ainsi sommes-nous confortés dans notre volonté de nous engager dans ce partenariat nucléaire.

Pouvait-on dénier à l’Inde, qui est aujourd’hui à la fois une puissance nucléaire militaire et l’un des grands pays émergents ayant besoin d’énergie propre, le droit d’accéder à l’énergie nucléaire civile ? Tel était l’enjeu de cet accord de coopération.

L’Inde s’est engagée clairement à séparer ses activités nucléaires civiles et ses activités militaires, à maintenir son moratoire sur les essais, après ceux de 1998, et à appliquer des règles claires et strictes pour le contrôle aux exportations, sur le modèle de ce qui existe au sein du Groupe des fournisseurs nucléaires, conformément aux engagements qu’elle a pris en 2008.

L’Inde, on le voit, n’est donc pas la Corée du Nord. C’est l’inverse. Elle est une puissance nucléaire responsable, qui s’est engagée à se comporter, de facto, comme un État partie au traité sur la non-prolifération. Cet accord est l’exemple même de ce qu’il est possible de faire de bon en matière de coopération nucléaire dans le monde, à une époque où nous nous trouvons face à des impératifs liés au changement climatique.

L’Inde, je voudrais le rappeler, est désormais le sixième émetteur mondial de gaz à effet de serre. Le 29 septembre dernier, le Premier ministre indien, Manmohan Singh, a estimé, lors d’une conférence internationale sur le nucléaire à New Delhi, qu’une forte hausse de la part du nucléaire dans la production énergétique du pays dans les quarante prochaines années pourrait permettre à l’Inde de réduire de façon considérable son impact sur le réchauffement climatique de la planète.

M. Singh rappelait à cette occasion l’importance de l’accord de coopération dans le nucléaire civil signé l’an dernier avec les États-Unis, qui engageait une nouvelle ère pour une production énergétique plus sûre et plus propre en Inde. Le Premier ministre indien a clairement exprimé l’ampleur du défi à cette occasion : « L’expansion de notre programme d’énergie nucléaire va entraîner d’énormes opportunités pour l’industrie mondiale du nucléaire », parce que l’Inde doit « penser grand » pour les besoins énergétiques futurs de son 1, 2 milliard d’habitants.

Concrètement, 470 000 mégawatts pourraient être produits par les centrales nucléaires indiennes d’ici à 2050, ce qui constituerait un bond en avant considérable et un changement d’échelle par rapport aux 4 120 mégawatts actuellement produits par les dix-sept réacteurs nucléaires en activité dans le pays. Le nucléaire ne représente aujourd’hui que 3 % de la production d’énergie en Inde. Le potentiel de croissance est donc immense.

Le développement de l’industrie nucléaire civile en Inde réduira grandement sa dépendance aux énergies fossiles et fournira indéniablement une contribution majeure à la lutte contre le changement climatique.

Or, à cinquante-quatre jours de l’ouverture de la conférence de Copenhague, il est bon de rappeler que la France peut aussi aider l’Inde à réduire ses émissions grâce au nucléaire, à l’expertise dont elle dispose dans ce domaine et à l’excellence des entreprises françaises, comme le Commissariat à l’énergie atomique, le CEA, Areva, GDF-SUEZ, EDF ou Alstom. Ils peuvent tous apporter à l’Inde ce dont elle a besoin dans les domaines énergétiques et environnementaux.

Pour illustrer mon propos d’exemples concrets, je rappellerai qu’Areva emploie déjà en Inde plus de 4 200 personnes et y compte huit sites industriels. En février dernier, Areva a annoncé la signature avec la Nuclear Power Corporation of India Limited d’un protocole d’accord ouvrant la voie à une collaboration dans le domaine de la production d’électricité nucléaire et visant à construire au moins deux réacteurs EPR, ou European Pressurised Reactor, à Jaitapur, dans l’État du Maharashtra, et à retenir une option sur quatre autres.

Ces projets sont, certes, utiles à l’Inde, mais ils le sont aussi à nous tous, si nous voulons engager ensemble une lutte efficace contre le réchauffement climatique. Nous avons tous à y perdre si rien n’est fait aujourd’hui pour enrayer ce processus.

Voilà donc les circonstances géopolitiques, environnementales et stratégiques de cet accord, qui, je le rappelle, décline les champs et les modalités de notre future coopération. L’accord prévoit bien évidemment l’encadrement de nos coopérations industrielles et de recherche. Il répond, me semble-t-il, aux attentes indiennes en matière de sécurité de ses approvisionnements énergétiques, de la fourniture en combustible, de sûreté et de sécurité nucléaire, sans contribuer aucunement, je le dis ici solennellement, à la production de matières fissiles à destination de la fabrication d’armes nucléaires. Il est aussi un élément clé de stabilité en faveur de la non-prolifération nucléaire de par les garanties qu’il apporte aux deux partenaires.

Telles sont, madame la présidente, monsieur le rapporteur – et je tiens à vous féliciter de votre excellent rapport –, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle, pour la France, l’approbation d’un tel accord de coopération avec l’Inde sur le développement commun des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.

C’est donc avec confiance et avec la plus grande détermination que je vous demande aujourd’hui, au nom du Gouvernement, d’approuver ce projet de loi, particulièrement marquant pour la relation franco-indienne et ses développements futurs.

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