Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 15 octobre 2009 à 9h30
Accord de coopération avec l'inde pour le développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire — Adoption d'un projet de loi

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Mes chers collègues, je saisis l’occasion offerte par le débat sur ce projet de loi pour aborder un sujet, hélas, peu traité dans notre enceinte : celui de la politique française de coopération nucléaire civile et de ses relations avec la politique de lutte contre la prolifération nucléaire.

D’ailleurs, je devrais plutôt dire politique de « contrôle de la prolifération nucléaire », ce serait une appellation plus proche de la réalité internationale.

Je ne reviendrai pas sur les aspects, si bien développés dans le très instructif rapport de notre collègue Xavier Pintat, relatifs à l’intérêt de cette convention.

En revanche, je m’attarderai sur ce qui apparaît comme une contradiction : le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire et la prolifération nucléaire à but militaire.

Bref, quelle est la politique française d’exportation du nucléaire civil et quelle est notre politique en matière de nucléaire militaire aussi bien en France que dans le monde ?

Très récemment, le dossier nucléaire a été mis sur la table de l’ONU par le président des États-Unis, Barack Obama ; dans la foulée, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 1887 en faveur du désarmement nucléaire.

Ce texte « appelle tous les États à négocier en vue d’une réduction des arsenaux nucléaires et à œuvrer à l’élaboration d’un traité de désarmement général et complet sous strict contrôle international ».

S’agit-il d’une déclaration de principe – une de plus pourrait-on dire – ou s’agit-il d’une feuille de route ?

Nous devrions, dans ce dernier cas, faire une analyse fine et approfondie des conséquences pour la France d’une telle évolution.

Certains pensent qu’il n’y a pas de relation entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire.

Toutefois, le cheminement de l’Inde hier, les prétentions de l’Iran aujourd’hui et peut-être demain, les accords passés ici ou là au sud de la Méditerranée, notamment avec la Libye, l’Algérie, montrent bien qu’il y a une relation entre nucléaire civil et nucléaire militaire.

Souvent l’essor de l’un accompagne – ou cache – le développement de l’autre. Foin d’hypocrisie ! À l’heure actuelle, la communauté internationale doit faire face à des régimes qui veulent acquérir la bombe atomique sous couvert d’un programme nucléaire civil.

Mais il y a aussi l’aspect économique et diplomatique. En la matière, le nucléaire, marchandise sensible, est difficile à manier et peut poser problème.

Le président Sarkozy a pris l’habitude, à chacun de ses voyages à l’étranger, de signer des contrats – je devrais plutôt dire des « promesses de vente »... – sur le nucléaire civil, avec des accords pour construire des réacteurs nucléaires ou offrir une assistance technique à un certain nombre d’États arabes, mais aussi asiatiques. À cet égard, certains ont même pu parler de « diplomatie nucléaire ».

Nous devrions pouvoir, à mi-mandat, effectuer un bilan de cette politique de coopération nucléaire et pouvoir étudier ses concrétisations aussi bien que les promesses non tenues et les engagements défaillants. Ce bilan doit être éclairé par une discussion prenant en compte des critères géopolitiques, sur les conséquences stratégiques d’une telle diplomatie.

Le dossier nucléaire de l’Inde est un bon modèle du mélange du nucléaire civil et militaire et de leurs interactions.

La réalisation par l’Inde, État non partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, d’un programme nucléaire militaire, attesté par un premier essai nucléaire en mai 1974, a entraîné un arrêt pratiquement complet de la coopération internationale en matière civile. Par la suite, l’Inde a accepté de placer sous le contrôle de l’AIEA une partie de son programme nucléaire civil, ainsi que toutes les activités futures susceptibles de bénéficier d’une coopération nucléaire civile. Cette décision, ainsi que les engagements pris par l’Inde en matière de non-prolifération ont conduit le Groupe des fournisseurs nucléaires à autoriser une reprise des transferts de biens et technologies nucléaires avec l’Inde.

Est-ce un exemple pour d’autres pays ? L’avenir seul le dira !

Cependant, nous savons que le comportement responsable de l’Inde en matière de non-prolifération nucléaire et les engagements nouveaux pris à cet égard par ce pays ont conduit le Groupe des fournisseurs nucléaires à lever les obstacles qui s’opposaient à la reprise de la coopération nucléaire civile avec l’Inde. En conséquence, cette évolution sera étudiée avec attention par d’autres pays qui voudront peut-être demain suivre un chemin similaire ; il faudra alors étudier attentivement les conséquences d’une telle « prolifération »... positive.

Toutefois, j’estime que la représentation nationale n’a pas suffisamment étudié cette question et les conséquences de la politique de notre pays en la matière.

Je ne souhaite pas critiquer, contester ou polémiquer. Mon objectif est simplement d’attirer votre attention, de présenter cette problématique et d’obtenir que la Haute Assemblée fasse preuve d’initiative en abordant sans complexes ni tabous cette question, parce que nous avons devant nous des échéances importantes.

D’abord, le traité de réduction des armes stratégiques, connu sous le nom de START, signé en 1991, arrive à son terme le 5 décembre. Entre Washington et Moscou, l’époque semble être à la détente. En juillet dernier, le président Obama et le président Medvedev se sont engagés à signer un nouveau traité réduisant leur nombre de têtes nucléaires. Comme nous savons que la Russie et les États-Unis possèdent environ 95 % des armes atomiques mondiales, ce mouvement décroissant pourrait avoir des conséquences sur les 5 % restants et cela nous concerne.

Ensuite, deuxième échéance importante, en 2010 aura lieu l’évaluation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP.

Voilà un très bref récapitulatif de la situation de ce traité, conclu en 1968, entré en vigueur en 1970 et initialement prévu pour vingt-cinq ans, qui a été prolongé de façon indéfinie en 1995 avec une évaluation prévue tous les cinq ans.

Il a été ratifié par 189 pays, dont l’Iran et les cinq grandes puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité.

Aux termes du TNP, les puissances nucléaires s’interdisent de transférer des armes nucléaires et d’aider un pays à s’en doter.

Les États signataires non dotés d’armes nucléaires s’engagent à ne pas en mettre au point ni en acquérir. En contrepartie, l’accès aux usages pacifiques de l’énergie atomique leur est garanti sous réserve d’un contrôle par l’Agence internationale de l’énergie atomique.

L’Inde et le Pakistan, devenus puissances nucléaires de facto en 1998 après des essais atomiques à leur actif, n’ont pas signé le TNP. Israël n’a jamais reconnu publiquement disposer d’un arsenal nucléaire et s’est toujours refusé à signer le traité. En septembre 2009, la Conférence générale de l’AIEA a exprimé « sa préoccupation » dans une résolution appelant Israël à abandonner l’arme nucléaire.

La Corée du Nord est sortie du traité en janvier 2003. En octobre 2006, elle a fait exploser sa première bombe atomique. Les discussions internationales pour obtenir sa dénucléarisation sont au point mort depuis le retrait de la table des négociations de Pyongyang en avril 2009. En mai 2009, elle a annoncé avoir réussi un nouvel essai nucléaire.

À la fin de l’année 2003, l’Iran a accepté un protocole additionnel, signé par une centaine d’États, qui permet un contrôle inopiné et approfondi des sites et activités nucléaires. En février 2006, le président Mahmoud Ahmadinejad a ordonné la fin de l’application du protocole.

La Corée du Nord, comme l’Iran, ont été visés par des sanctions de l’ONU pour leurs activités nucléaires ou balistiques.

La Syrie, l’Égypte, l’Irak, le Nigeria et Taïwan sont ou ont été soupçonnés d’avoir des activités nucléaires militaires. Plusieurs pays ont renoncé officiellement à un armement nucléaire : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, le Kazakhstan, le Bélarus, l’Ukraine et la Libye.

Voilà pour ce bref rappel destiné à mettre en lumière l’intérêt de ce dossier afin de nous inciter à nous occuper rapidement de ces questions.

Nucléaire civil, nucléaire militaire, exportation de technologies sensibles, politique de non-prolifération... voilà des sujets qui concernent directement la sécurité de notre pays, la sécurité de l’Europe et donc la paix dans le monde.

Quels sont les trois piliers du TNP ? La non-prolifération, le désarmement et la coopération pour les usages civils de l’énergie nucléaire.

J’estime que l’exemption décidée au bénéfice de l’Inde illustre une certaine inadaptation du TNP aux réalités actuelles. Il ne faudrait pas affaiblir cet édifice, comme cela a été dit, et ainsi faciliter à d’autres pays moins regardants que l’Inde des interprétations ou des lectures ad hoc du régime international de non-prolifération.

Quelle est la situation actuelle ?

Récemment, le Parlement européen s’est ému devant l’absence de progrès dans la réalisation des objectifs du TNP, comme en fait état le rapport d’Angelika Beer en avril 2009.

Cette situation est paradoxale : d’un côté, des inquiétudes sur une prolifération nucléaire militaire non maîtrisée et, de l’autre, une demande accrue, et une disponibilité plus grande, de technologies nucléaires !

Elle est paradoxale aussi, parce que coexistent en même temps des initiatives nombreuses prônant un désarmement nucléaire radical, telles la campagne « Global Zero » ou la proposition de désarmement de Henry Kissinger et de George Shultz, et une demande internationale croissante sur le nucléaire civil. Hier, nous avons pu lire dans le quotidien Le Monde un article transcourants sur ces questions.

Notre pays ne peut pas rester sur le bord de la route et regarder passer les débats et les propositions qui, directement ou indirectement, concernent aussi bien notre capacité de dissuasion nucléaire que la politique française de coopération dans le domaine nucléaire civil.

Ainsi, la prochaine conférence d’examen de 2010 des parties au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires revêt pour nous une très grande importance.

Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France et quelles sont les initiatives que notre pays entend porter lors de cette conférence de 2010 ?

Je considère essentiel que notre pays ne soit pas isolé quand la communauté internationale, dans ses différentes enceintes, traite des questions de défense et de sécurité, le nucléaire, civil ou militaire, en faisant partie.

C’est pourquoi j’ai approuvé sincèrement l’adoption, par le Conseil européen le 12 décembre 2003, d’une stratégie de l’Union européenne contre la prolifération des armes de destruction massive.

Aujourd’hui, presque sept ans plus tard, nous sommes en droit de nous interroger sur le bilan et les effets d’une telle stratégie.

Avez-vous, monsieur le secrétaire d’État, des éléments à nous communiquer à cet égard ?

Par ailleurs, toujours sur l’Europe, concrètement, quel est l’avis du Gouvernement sur les propositions existantes en vue de placer la production, l’utilisation et le retraitement de tout le combustible nucléaire sous le contrôle de l’AIEA ?

La France soutient-elle le Conseil et la Commission européenne qui seraient disposés à contribuer financièrement, à hauteur de 25 millions d’euros, à la création d’une banque de combustibles nucléaires placée sous le contrôle de l’AIEA ?

Peut-on, doit-on soutenir d’autres initiatives visant à la multilatéralisation du cycle du combustible nucléaire en vue de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire ?

Mes chers collègues, vous le voyez, les sujets sensibles ne manquent pas et, en dehors de tout esprit polémique, je souhaite que ces matières soient abordées par notre assemblée.

Il s’agit là d’une composante forte de notre politique étrangère et de notre politique de défense. Le nucléaire, sous toutes ses formes, ne doit pas rester à la porte de la Haute Assemblée. Pour autant, le groupe socialiste votera le projet de loi qui nous est soumis.

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