Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 15 octobre 2009 à 9h30
Article 65 de la constitution — Discussion d'un projet de loi organique

Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Madame le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 organise la modernisation de nos institutions en vue de développer, au quotidien, la vie démocratique dans notre pays. Le projet de loi organique que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui vise à la mise en œuvre de la volonté ainsi exprimée en ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature.

Permettez-moi tout d’abord de souligner le travail remarquable effectué sur ce texte par votre commission des lois, en particulier par son rapporteur.

La justice constitue l’un des piliers de l’unité de notre pays. Elle l’est aujourd’hui plus que jamais, au moment où la mondialisation, le développement d’un certain communautarisme et la contestation de l’autorité sont autant d’éléments centrifuges qui contribuent au délitement de notre unité nationale.

C’est pourquoi il est essentiel de réapprendre aux Français que les règles de droit, s’appliquant par définition à tous, incarnent cette unité et que la justice est sans doute l’institution la plus déterminante pour asseoir la conscience de cette unité.

Dans cette optique, le renforcement de la confiance dans la justice et l’adaptation de l’institution judiciaire aux exigences d’une démocratie moderne constituent les enjeux de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Deux objectifs sont au cœur du texte : offrir de nouvelles garanties d’indépendance à l’autorité judiciaire – l’évolution des attributions et de la composition du Conseil supérieur de la magistrature y contribuera –, mais aussi rapprocher la justice du citoyen. À cet égard, la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par le justiciable représente, sinon une révolution, à tout le moins une véritable avancée dans notre droit et dans les rapports du justiciable à la justice.

Les débats en commission ont permis à la fois d’atteindre ces objectifs et de respecter un juste équilibre entre l’effectivité de la saisine par le justiciable et la nécessaire sérénité de la justice, qui doit toujours demeurer l’une de nos préoccupations majeures.

Le projet de loi organique précise les attributions et la composition du Conseil supérieur à partir de trois principes : l’indépendance, l’ouverture, la transparence.

L’indépendance d’abord, parce que c’est un élément fondamental des valeurs de la justice. Le Président de la République cesse de présider le Conseil supérieur de la magistrature. Le garde des sceaux perd, par là même, sa qualité de vice-président. La procédure de nomination du secrétaire général et les modalités de réunion du Conseil doivent donc être adaptées en conséquence.

Deuxième principe : l’ouverture. De fait, notre société s’ouvre et il nous faut prendre en compte cette évolution. La composition du Conseil supérieur de la magistrature intègre cette exigence. Six personnalités qualifiées seront nommées par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, comme c’est déjà le cas pour bien d’autres autorités. Le texte prévoit d’ailleurs l’application à ces nominations de la procédure de l’article 13 de la Constitution, modifié l’an passé, ce qui offre une garantie supplémentaire.

Le nouvel article 65 de la Constitution prévoit en outre la désignation d’un avocat en tant que membre du Conseil supérieur. Le texte que je vous soumets en précise les modalités et, notamment, lève les incompatibilités entre les fonctions de membre du Conseil supérieur et la profession d’avocat. Nous aurons sans doute l’occasion d’en discuter.

Troisième principe : la transparence. Les attributions du Conseil supérieur de la magistrature, dans le domaine des nominations, sont élargies. Il rendra désormais un avis sur toutes les nominations des magistrats au parquet, y compris sur les emplois pourvus en conseil des ministres, essentiellement le procureur général près la Cour de cassation et les procureurs généraux près les cours d’appel. L’indépendance des magistrats du parquet s’en trouvera renforcée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai indiqué voilà quelques instants, l’autre volet du projet de loi organique, à savoir la saisine directe du Conseil supérieur par le justiciable, est une authentique innovation dans le droit français. Sa mise en œuvre vise à garantir l’effectivité du mécanisme tout en préservant la stabilité de l’autorité judiciaire : il y a là un équilibre essentiel, mais qui n’est pas facile à établir.

La saisine directe du Conseil supérieur porte d’abord sur la matière disciplinaire. Il faut le rappeler, il est déjà possible, par voie de recours, de contester éventuellement des décisions juridictionnelles ou de dénoncer le fonctionnement défectueux de la justice : ce sont l’appel et la cassation, d’un côté, l’action contentieuse sur le fondement de la responsabilité de l’État, de l’autre.

En revanche, à ce jour, en matière disciplinaire, le justiciable n’a aucune possibilité de saisir directement le Conseil supérieur. Seuls le garde des sceaux et les chefs des cours d’appel peuvent dénoncer à l’instance disciplinaire les manquements des magistrats.

Désormais, si ce texte est adopté, tout citoyen pourra directement saisir le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’il estimera que, à l’occasion d’une procédure judiciaire, le comportement – j’insiste sur ce terme – d’un magistrat mérite de faire l’objet d’une qualification disciplinaire.

Ce droit de saisine doit être accessible, mais il doit aussi être encadré.

L’encadrement du droit repose sur l’esprit même de la loi constitutionnelle. Le nouveau droit vise à protéger les libertés du citoyen ; il ne doit pas pour autant aboutir à une déstabilisation des magistrats ou de l’institution tout entière.

L’accessibilité est garantie par le fait que les exigences de forme sont finalement très peu contraignantes. Il suffit au justiciable d’écrire une lettre retraçant de manière détaillée les faits et griefs allégués. Il n’a pas besoin de recourir aux services d’un avocat.

Néanmoins, afin de parer à tout risque de déstabilisation, le projet de loi organique prévoit un filtrage à deux niveaux de la demande du justiciable.

Premièrement, la plainte devra être jugée recevable. En effet, il faut empêcher les dénonciations intempestives, susceptibles de porter atteinte à la sérénité du travail des magistrats. En tant qu’élus, nous savons bien que certains citoyens ont une vision telle de la justice qu’ils en viennent à contester systématiquement l’attitude des magistrats ou les décisions qu’ils rendent.

Le filtrage consistera d’abord, pour la section compétente – ou la commission des requêtes – du Conseil supérieur de la magistrature à vérifier qu’un certain nombre de conditions sont remplies, et en premier lieu que le requérant est bien concerné par la procédure à l’occasion de laquelle il conteste le comportement d’un magistrat.

En deuxième lieu, la plainte ne peut viser que le comportement du magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

En troisième lieu, la plainte ne peut, en principe, être reçue que lorsque le magistrat du siège n’est plus saisi de la procédure en cause ou lorsque le parquet n’est plus chargé du dossier. Cette règle étant posée, il est néanmoins prévu que, à titre exceptionnel, et dans des procédures qui seraient particulièrement longues, le Conseil supérieur pourra être saisi au cours de la procédure. La commission des lois du Sénat a proposé cette avancée pour tenir compte d’une réalité que notre droit ne saurait effectivement ignorer. Il s’agit là d’une juste appréciation des différences de situation qui peuvent exister selon les procédures en cours.

Le président de la section pourra ainsi rejeter les plaintes qui ne remplissent pas ces conditions et qui apparaissent irrecevables, abusives ou manifestement infondées.

La plainte doit ensuite viser un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire : c’est le deuxième niveau du filtrage. Pour vérifier cette condition, des informations et des observations seront recueillies par la section du Conseil supérieur auprès des chefs de cour.

Afin de dissiper les doutes éventuels sur les qualités du magistrat, la procédure doit, dans le même temps, trouver une issue rapide. C’est la raison pour laquelle les chefs de cour se sont vu impartir un délai de deux mois pour répondre aux demandes d’information qui leur sont adressées par la section du Conseil supérieur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’entrerai pas davantage dans le détail de ce texte, dont l’esprit et la philosophie correspondent simplement à la volonté de rapprocher la justiciable de la justice, en même temps que de conforter l’image d’indépendance de notre justice.

Le Conseil supérieur de la magistrature doit refléter ce que doit être la justice du xxie siècle, une justice moderne, reconnue, transparente, une justice qui soude l’unité nationale. Nous avons besoin plus que jamais d’une justice qui soit fière de ses valeurs, fière des principes sur lesquels elle repose, d’une justice irréprochable, consciente de la nécessaire exemplarité de chacun des magistrats, d’une justice proche des justiciables, en phase avec la société, au cœur de notre démocratie

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs du projet de loi organique que j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre appréciation et à votre vote.

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