Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 15 octobre 2009 à 9h30
Article 65 de la constitution — Discussion d'un projet de loi organique

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, avec la révision du 23 juillet 2008, l’article 65 de notre Constitution, consacré au Conseil supérieur de la magistrature, est non seulement passé de neuf à onze alinéas, mais il a surtout fait l’objet d’une réécriture totale.

La composition, l’organisation et les attributions du Conseil supérieur en sont profondément modifiées. Le nombre de ses membres n’appartenant pas à la magistrature a été augmenté, les magistrats devenant minoritaires lorsque les formations statuent sur les nominations, mais siégeant à parité avec les non-magistrats dans les formations disciplinaires.

La révision met fin à la présidence du Conseil supérieur par le Président de la République, qui demeure cependant garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Elle met également fin à la vice-présidence du ministre de la justice. Ce dernier, bien que n’étant plus membre du Conseil, peut participer aux séances de ses formations, sauf en matière disciplinaire.

La nouvelle rédaction de l’article 65 de la Constitution élargit les attributions du Conseil supérieur en lui permettant de donner un avis simple au ministre de la justice sur les nominations aux emplois de procureur général.

Enfin, la récente loi constitutionnelle innove largement en permettant la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable. On peut d’ailleurs opérer, à cet égard, un rapprochement avec le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61–1 de la Constitution, qui ouvre la possibilité pour tout justiciable de saisir le Conseil constitutionnel aux fins d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori et que le Sénat vient d’adopter.

Ces différentes réformes, touchant un organe essentiel au fonctionnement de la justice dans notre pays, seront mises en œuvre par le projet de loi organique qui est aujourd’hui soumis en premier lieu au Sénat.

Si l’on s’attache tout d’abord à ce droit de saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables, on doit constater qu’il s’inscrit dans le cadre d’un débat récurrent sur la responsabilité des magistrats.

D’ailleurs, le législateur a déjà réfléchi récemment à un tel dispositif : lors de l’examen de la loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats. Le mécanisme alors adopté, qui aurait permis à toute personne, physique ou morale, estimant que le comportement d’un magistrat était susceptible de constituer une faute disciplinaire, de saisir d’une réclamation le médiateur de la République, a été censuré par le Conseil constitutionnel.

Cet aspect de la question de la déontologie et de la discipline des magistrats, qui se situe au cœur du débat sur la justice depuis une dizaine d’années, et qui a encore été exacerbé par les graves dysfonctionnements mis en évidence dans l’affaire d’Outreau, restait donc, au moins partiellement, sans réponse.

Au-delà, c’est tout le problème de la confiance des citoyens à l’égard de leur justice qui se trouve posé, même si une étude réalisée en 2008 par le Conseil supérieur de la magistrature montrait que 63 % des personnes interrogées maintenaient leur confiance dans la justice, score certes moins flatteur que pour les hôpitaux – 89 % de taux de confiance –, l’école – 82 % –, l’armée – 81 % –, la police – 76% – ou la fonction publique – 73 % –, mais sensiblement supérieur à la confiance exprimée, mes chers collègues, à l’égard des élus – 44% – ou des médias – 31%.

L’ambition du projet de loi, relayée par la commission, qui a adopté sur ce point un certain nombre d’amendements, réside dans la recherche d’un équilibre entre la responsabilité disciplinaire des magistrats, fondée sur leurs obligations déontologiques et la préservation de la sérénité et de l’indépendance de la justice.

Il convient donc de donner à la saisine du justiciable son plein effet, sans pour autant prendre le risque de déstabiliser les juges. Il s’agit là d’une évolution considérable dans la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire, dont les saisines par le ministre de la justice ou les chefs de cour se comptaient jusqu’à présent, chaque année, sur les doigts des deux mains, voire d’une seule ; il y en aura vraisemblablement, dans les années à venir, des dizaines ou des centaines.

La révision constitutionnelle et le projet de loi organique répondent sur ce point à la demande, largement exprimée, d’un renforcement de la responsabilité disciplinaire des magistrats. Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation, et Julie Joly-Hurard ont écrit à juste titre : « L’époque où l’on présupposait que l’autorité et le crédit de la justice reposaient sur le silence gardé à propos des fautes commises par les juges, pour maintenir, par la dissimulation, le mythe du juge irréprochable, est aujourd’hui révolue. La culture du secret n’est socialement plus admise. Bien au contraire, l’autorité de la justice comme la confiance des justiciables en celle-ci sont actuellement et plus que jamais fondées sur la transparence de la procédure et de la jurisprudence disciplinaires, qui permet à tout citoyen de vérifier que les fautes révélées sont effectivement et proportionnellement sanctionnées. »

La commission des lois a également été animée par le souci de renforcer l’indépendance de la justice. Dans la mesure où le constituant, sur l’initiative du Sénat et notamment de Jean-Jacques Hyest, rapporteur du projet de révision constitutionnelle, a consacré une exigence de parité entre les membres magistrats et les membres non-magistrats pour la composition des formations du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en matière disciplinaire, la commission a veillé à ce que cette règle ne puisse être contournée, par exemple en cas d’absence ou d’empêchement des présidents de formation.

Rappelons que tous les conseils de justice de l’Union européenne, les homologues de notre Conseil supérieur de la magistrature, sont majoritairement composés de magistrats, à deux exceptions près : la Belgique et la République slovaque, qui pratiquent une stricte parité. Cette exigence est également exprimée par plusieurs textes européens, dont la Charte européenne sur le statut des juges du Conseil de l’Europe.

Enfin, la commission s’est efforcée de garantir l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature. Elle a ainsi souhaité inscrire dans le texte organique les obligations déontologiques particulières d’indépendance, d’impartialité et d’intégrité auxquelles doivent satisfaire les membres du Conseil.

Dans le même esprit, elle a précisé les conditions dans lesquelles un membre doit s’abstenir de siéger en raison des doutes que sa présence ou sa participation au délibéré pourraient faire peser sur l’impartialité de la décision rendue.

Elle a également cherché à concilier la présence ès qualités d’un avocat au sein du Conseil supérieur, voulue par le constituant, avec les difficultés que peut créer, en raison d’éventuels conflits d’intérêt, la poursuite par cet avocat d’activités au sein des tribunaux, mais aussi avec le trouble que pourrait légitimement éprouver un justiciable apprenant que le conseil de son adversaire serait susceptible d’intervenir dans le déroulement de la carrière de celui qui juge leur différend.

Le souci de l’unité du corps judiciaire, à laquelle la commission demeure attachée en dépit des turbulences que connaît aujourd’hui le statut du parquet, a également inspiré certains amendements, portant par exemple sur la création de commissions des requêtes, en charge du filtrage des plaintes des justiciables, communes pour le siège et pour le parquet.

Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, c’est une étape importante de la mise en œuvre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 que nous abordons aujourd’hui. Puisse-t-elle largement contribuer à réconcilier les Français avec leur justice et à développer des relations apaisées entre les différents pouvoirs.

La commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi organique enrichi des amendements qui l’ont d’ores et déjà modifié pour constituer le texte dont nous allons débattre.

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