Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a réformé le Conseil supérieur de la magistrature.
Cette réforme était souhaitée par les magistrats, mais elle a aussi, il faut le dire, été imposée par le choc de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau.
L’article 65 de la Constitution prévoit notamment la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable. Dans son principe, cette disposition constitue une incontestable avancée.
Cependant, cette réforme n’a, hélas ! pas créé les conditions d’une véritable indépendance du CSM, d’un retour de la confiance de nos concitoyens envers la justice et de la transparence que vous avez, madame le garde des sceaux, évoquée, ou invoquée…
D’abord, cette réforme est entachée par l’intervention permanente du politique auprès des acteurs de la justice, mais aussi par la mise au pas régulière des procureurs et par l’instrumentalisation des juges, dont la propagande sécuritaire fait volontiers de bien commodes boucs émissaires !
Elle est ensuite entachée par la chronique de la suppression annoncée du juge d’instruction, suivant la volonté du Président de la République, dont on sait qu’il est chef de l’exécutif, chef de la majorité, chef du parti majoritaire de la majorité et qu’il commande à la justice et aux médias.
Mais revenons au CSM lui-même. Certes, le Président de la République ne le préside plus – affichage oblige –, mais le poids de l’exécutif y reste tout à fait déterminant. Le garde des sceaux n’en est plus vice-président, certes, mais il participe de droit aux séances des formations du CSM, sauf en matière disciplinaire, et sa présence ne peut être considérée comme purement formelle.
Le Président de la République nomme deux des membres du CSM, selon la procédure de l’article 13 de la Constitution, c’est-à-dire après avis des commissions des lois des deux assemblées. Or cet avis est forcément acquis, puisqu’il faudrait les trois cinquièmes de leurs membres pour refuser les nominations proposées !
Il nomme aussi le secrétaire général du CSM, sur proposition du premier président de la Cour de cassation et du procureur général, après avis du CSM, étant entendu que le principe selon lequel cet avis devait être conforme n’a pas été retenu.
Contrairement à ce que nous aurions souhaité, magistrats et personnalités qualifiées ne sont pas à égalité : les non-magistrats sont majoritaires, sauf en matière disciplinaire, du moins si la parité est respectée, comme le propose notre commission.
Autrement dit, l’emprise de l’exécutif reste très forte sur les décisions du CSM, ce qui va à l’encontre de l’indépendance de cet organisme et continue de porter atteinte à sa crédibilité, en particulier au regard de l’autonomie de ces décisions.
Pour ces raisons, nous sommes opposés à l’article 65 tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle. Or la loi organique ne fait qu’en organiser les modalités d’application, n’ayant pas le pouvoir d’en modifier la logique. Je développerai néanmoins quelques points qui pourraient être pris en compte.
Le justiciable va pouvoir déposer auprès du Conseil supérieur de la magistrature une plainte à l’encontre d’un magistrat. Cette saisine est soumise à un filtrage, dont je ne conteste pas le bien-fondé, par la commission des requêtes dont est pourvu le CSM. Cette commission devra statuer sur la recevabilité des plaintes. Elle pourra ainsi écarter celles qui sont manifestement infondées ou sont simplement dilatoires.
Il est à noter que le magistrat mis en cause est informé dès que la commission des requêtes décide de l’examen de la plainte et de la qualification disciplinaire qu’il convient de lui accorder. La commission dispose aussi de la possibilité d’entendre le magistrat visé par la plainte.
Cependant, les dispositions relatives à la commission des requêtes posent problème. En effet, lorsqu’il y a partage des voix au sein de cette commission, la plainte est tout de même transmise pour examen à la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Or le doute de la commission des requêtes devrait pouvoir bénéficier au magistrat mis en cause. C’est pourquoi il paraîtrait plus juste que le partage des voix entraîne un classement sans suite de la plainte. Une décision aussi grave pour la carrière d’un magistrat ne devrait pouvoir être prise qu’à la majorité. Serait ainsi respecté le principe selon lequel le doute bénéficie à la personne mise en cause.
De plus, cela permettrait de rendre plus cohérent l’ensemble du texte puisque la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature qui se prononce sur l’existence d’une faute doit, en cas de partage égal des voix, émettre « un avis en faveur de l’absence de sanction ». Il y a donc ici une incohérence qui doit être corrigée. L’uniformisation des effets du partage des voix doit être la règle, le principe étant qu’il bénéficie au magistrat.
J’en viens au problème essentiel, à savoir le maintien de l’exécutif dans la procédure de décision. En effet, si la plainte du justiciable est rejetée par la commission des requêtes, le garde des sceaux conserve la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Il y a là une véritable atteinte à l’indépendance de la justice et à la crédibilité même de l’institution, qui pourra voir sa décision de ne pas poursuivre un magistrat être remise en question par le pouvoir. C’est manifestement une entorse au principe de la séparation des pouvoirs.
L’appréciation que porte à ce sujet l’Union syndicale des magistrats n’est pas de bon augure pour les relations entre le pouvoir exécutif et les magistrats. Elle estime en effet que cet aspect de la réforme est « la marque, même symbolique, que le pouvoir politique entend garder en toutes circonstances le contrôle de la discipline en revenant au besoin sur une décision du CSM. »
On peut aussi considérer que cette disposition porte atteinte à la règle qui veut que l’on ne soit pas jugé deux fois pour le même fait. Il nous semble en effet que la décision de rejeter la plainte du justiciable qui est prise par la commission des requêtes ne devrait pas être susceptible d’un quelconque recours.
L’immixtion de l’exécutif, sous la pression de l’opinion publique, n’est pas de nature à favoriser la sérénité des délibérations du Conseil supérieur de la magistrature lorsque celui-ci doit prendre une décision susceptible de remettre en cause la carrière d’un magistrat.
J’évoquerai à présent le mode de désignation de certains membres du CSM dont il conviendrait de renforcer la légitimité.
Ainsi, l’avocat doit être, à notre avis, élu par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux, et la commission semble partager ce point de vue. Son élection par ses pairs ne peut que renforcer son autorité. De plus, cela le placerait sur un pied d’égalité avec le conseiller d’État membre du CSM, qui est, lui, élu par l’assemblée générale du Conseil d’État. Là encore, il s’agit donc d’assurer la cohérence de la réforme qui nous est soumise.
Le secrétaire général doit également voir son autorité renforcée en étant désigné à la suite d’un avis conforme de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature.
Il est important, à mon sens, de conférer à ces personnalités la plus grande légitimité possible pour leur permettre d’exercer le rôle qui leur est imparti. Cela permettrait d’éviter des polémiques inutiles.
Je voudrais soulever, s’agissant de la formation plénière du Conseil, deux autres questions.
D’une part, je déplore que les prérogatives accordées à la formation plénière ne soient pas suffisantes. En effet, si la réforme prévoit que cette formation peut être amenée à répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République, ainsi qu’à toute question relative à la déontologie des magistrats ou au fonctionnement de la justice dont la saisit le garde des sceaux, elle ne peut être à l’initiative d’avis portant sur des atteintes à l’indépendance de la justice. Or une telle faculté lui aurait permis de renforcer sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion publique et d’éviter l’instrumentalisation de certaines affaires par les autorités politiques.
D'autre part, la formation plénière est complètement absente en matière disciplinaire, le projet de loi organique lui octroyant pour seule prérogative la possibilité d’élaborer et de rendre public « un recueil des obligations déontologiques des magistrats ». C’est, à mon sens, bien insuffisant.
Soulignons aussi que certaines des sanctions prévues dans le cadre du régime disciplinaire applicable aux magistrats paraissent excessives et disproportionnées. Il en est ainsi de la révocation avec suspension totale ou partielle des droits à pension : un magistrat qui a commis une faute avérée et punissable doit naturellement être sanctionné ; pour autant, il serait injuste de toucher à sa retraite alors même qu’il a cotisé. Le magistrat doit être traité comme n’importe quel justiciable, mais évitons tout acharnement à son égard. Prévoir une telle sanction, qui remet en cause l’égalité des citoyens devant la loi, confine à l’excès de zèle. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à la supprimer.
Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, si la réforme offre une avancée en faveur des justiciables, qui pourront dorénavant saisir l’institution, elle montre toute son ambiguïté en maintenant le droit pour l’exécutif d’intervenir sur une décision du Conseil supérieur de la magistrature.
Le projet de loi organique n’atteint pas, à l’évidence, les objectifs qui lui étaient, semble-t-il, assignés, à savoir renforcer l’indépendance des magistrats et accroître la transparence et la confiance. Conformément à la position que nous avons adoptée au moment de la révision constitutionnelle, nous voterons contre.