Intervention de Virginie Klès

Réunion du 15 octobre 2009 à 9h30
Article 65 de la constitution — Discussion d'un projet de loi organique

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi organique que vous nous présentez est-il un bon texte ? Autrement dit, contribue-t-il à améliorer le fonctionnement de la justice ? Donne-t-il aux juges une plus grande sérénité, et à nous tous, citoyens justiciables ou membres de l’institution, la certitude qu’ils rendront désormais leurs jugements dans une plus grande impartialité, avec une plus grande indépendance, ou en faisant preuve d’encore plus d’intégrité qu’avant cette réforme ?

Il serait nécessaire, nous dites-vous, de renforcer la confiance du citoyen dans sa justice. Certes. Pour autant, il ne me semble pas que la confiance du citoyen dans sa justice serait aussi détériorée sans les multiples déclarations tonitruantes et caricaturales, émanant parfois du plus haut niveau de l’État, à la suite de faits parfois regrettables, parfois non vérifiés, ou même parfois non avérés, déclarations démagogiques et populistes indignes des fonctions exercées par ceux qui les ont proférées.

N’oublions pas que nombre d’enquêtes démontrent qu’une autre cause d’insatisfaction des justiciables français est liée à la lenteur de notre justice et aux délais nécessaires avant l’aboutissement des procédures, faute de moyens. Je fais d’ailleurs partie de ces insatisfaits !

Mais soit ! Modernisons, améliorons, luttons contre les reproches de corporatisme : fondés ou non, ils participent de l’image que la justice donne d’elle-même à nos concitoyens. Celle-ci se doit d’être particulièrement exemplaire, afin de restaurer la nécessaire confiance du citoyen envers notre justice, cette confiance reposant avant tout sur l’impartialité et l’indépendance des juges.

Pour autant, n’oublions pas qu’un arbre peut cacher une forêt. Ce texte peut sembler un détail parmi les multiples réformes judiciaires, mais aussi sécuritaires, sans oublier toutes celles qui touchent à l’information, à la communication, etc. Je suis malheureusement convaincue que nous assistons à la transformation de notre modèle républicain en une monarchie patrimoniale despotique, concentrant tous les pouvoirs entre deux seules mains.

Pour en revenir au seul domaine judiciaire, nous ne pouvons pas faire abstraction des autres réformes annoncées et à venir. Piège caché, le présent texte est à mes yeux une pierre, sans doute discrète, mais certainement indispensable, dans un dispositif ô combien complexe et redoutable par sa cohérence, sous des apparences banales.

Nous devons ainsi garder en mémoire, à l’occasion de l’analyse de ce texte, les perspectives annoncées quant aux prérogatives qui seraient réservées demain au parquet, aboutissant à lui confier un monopole dangereux, acquis sans même que son statut soit réformé dans le sens d’une indépendance réelle à l’égard de toute intervention politique.

On ne peut pas faire abstraction, quant à la nomination des magistrats du parquet, de l’indépendance du Gouvernement par rapport à l’avis émis par le CSM, contrairement aux règles fixées pour la nomination des magistrats du siège. Force est d’ailleurs de constater que le Gouvernement a largement usé, au cours des dernières années, de cette possibilité offerte de ne pas tenir compte d’un avis défavorable du CSM.

Indépendance de la justice, disions-nous ? Oui, si au moins une instance, au sein de l’ordre, reste complètement indépendante !

Une avancée significative doit pourtant être relevée : le Président de la République ne préside plus le CSM. Bravo ! Il n’y aurait donc plus d’ingérence du pouvoir politique dans les débats et délibérés du CSM ?... Bel effet d’annonce, mais encore une fois, selon une technique de communication maintenant éprouvée, poudre aux yeux des citoyens !

En effet, on se montre beaucoup plus discret sur le fait que les six personnalités extérieures à la magistrature qui seront membres du CSM seront nommées par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale ! Persistent donc le fait majoritaire et l’ingérence du politique.

Le CSM s’ouvre à l’extérieur en raison de la pluralité accrue de sa composition. Très bien ! Mais pourquoi faut-il – fait unique en Europe – qu’il soit composé majoritairement de non-magistrats lorsqu’il exerce des compétences de nomination ? Il est regrettable, à tout le moins, que la composition ne soit pas paritaire. Pourquoi, sur cette question comme sur tant d’autres, les professionnels ne sont-ils jamais écoutés par le Gouvernement ? Serait-ce de la défiance ? Ne s’agissait-il pas pourtant de redonner de la confiance ?

Il aurait été plus efficace, me semble-t-il, d’arrêter d’agiter le spectre du corporatisme et de manifester notre confiance à nos magistrats à travers des mesures de bon sens.

L’absence de définition de la qualification des personnalités désignées est-elle, d’ailleurs, de nature à renforcer la confiance et la transparence quant à leur indépendance vis-à-vis de l’autorité de nomination ? Permettez-moi d’en douter.

Autre noble objectif de ce projet de loi organique : adapter le fonctionnement de notre justice aux exigences d’une démocratie moderne. On nous le promet, la procédure de saisine par le justiciable du CSM va permettre cette révolution. Ce serait la deuxième avancée majeure de ce texte.

L’idée est belle, mais voilà : il s’agit encore d’une simple mesure d’affichage. En effet, les conditions de saisine du CSM, telles que vous les proposez, sont d’une grande complexité, ce qui rend difficile et pour le moins inégal selon les justiciables l’accès à ce nouveau droit : nécessité de distinguer ce qui relève du comportement et de l’acte juridictionnel, possibilités différentes de saisine du CSM suivant la nature des procédures, etc.

Il ne s’agit évidemment pas de proposer l’impunité au magistrat aux dépens du justiciable. Mais il devrait s’agir de rendre effectives et réalisables les dispositions mises en avant, afin qu’elles soient réellement utilisées et à bon escient.

D’autres possibilités de sanction d’un comportement éventuellement fautif d’un magistrat existent : la procédure disciplinaire de droit commun sur saisine du garde des sceaux, notamment. Malheureusement, des exemples existent, c’est vrai, de magistrats indélicats n’ayant fait l’objet d’aucune poursuite disciplinaire. Le gouvernement auquel vous appartenez, madame le garde des sceaux, affiche pourtant une politique volontariste en la matière, mais il agit peu !

Enfin, si les dispositions permettant d’écarter les plaintes irrecevables sont nécessaires, il est curieux que le texte conserve au garde des sceaux le pouvoir de saisir le CSM des faits dénoncés, alors même que la section de filtrage a rejeté la plainte du justiciable. Cette disposition autorise donc le pouvoir politique à garder en toutes circonstances le contrôle de la discipline, en revenant au besoin sur une décision du CSM.

Pourquoi tant de défiance et d’irrespect à l’égard d’une institution dont on prétend qu’elle est « renforcée dans son indépendance » ?

Alors, madame le ministre d’État, je réponds à la question que je me posais en exorde : pour toutes les raisons évoquées tant par moi-même que par certains de mes collègues, je ne pense pas que le texte que vous nous avez soumis soit un bon texte.

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