Intervention de Hubert Haenel

Réunion du 15 octobre 2009 à 9h30
Article 65 de la constitution — Discussion d'un projet de loi organique

Photo de Hubert HaenelHubert Haenel :

Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’important travail effectué par notre collègue Jean-René Lecerf.

Ayant occupé des fonctions au Conseil supérieur de la magistrature, il y a certes fort longtemps, ayant été rapporteur, au nom de la commission des lois, de la réforme de 1993, ayant été moi-même magistrat, ancien membre du Conseil d’État, je me permets de vous livrer quelques réflexions sur un thème fondamental pour le bon fonctionnement de la démocratie et pour l’équilibre institutionnel : quelle indépendance pour la justice ?

Lors de l’audience solennelle de début d’année de la Cour de cassation, le Président de la République a souhaité « tracer le chemin » d’une « justice rénovée ». Fort justement, il soulignait que la « réflexion sur la justice ne saurait être le seul apanage des juges », mais devait, au contraire, « s’ouvrir sur la société tout entière ».

C’est le sens de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature opérée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Elle a mis fin à la présidence du CSM par le Président de la République et à la vice-présidence de droit du ministre de la justice. Mais elle a aussi prévu que cette instance serait désormais composée en majorité de non-magistrats. Le CSM retrouve ainsi sa légitimité auprès de nos concitoyens.

Un CSM composé en majorité de magistrats revenait à faire de la magistrature une sorte de corps séparé de la société, ne rendant des comptes qu’à lui-même. Or, dans une démocratie, il n’est point de légitimité sans responsabilité.

En outre, la révision a ouvert aux justiciables la faculté de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Ce faisant, elle a garanti aux citoyens que leurs griefs concernant le comportement des magistrats seraient examinés de façon impartiale par une instance clairement identifiée. Il était temps !

Avec un fonctionnement plus transparent, la justice est confortée dans son indépendance comme dans son autorité:

Cette importante réforme invite à approfondir la réflexion sur ce que doit être l’indépendance de la justice. On s’accorde, en effet, à considérer qu’une justice qui fonctionne est une justice indépendante, indépendante du pouvoir politique, certes, mais, plus généralement, de toute forme de pression de nature à jeter la suspicion sur les décisions qu’elle rend.

Pour atteindre cet objectif, le remède, souvent évoqué, consiste à couper le cordon ombilical entre la justice et le pouvoir politique, car c’est là que prendrait racine au pire, le syndrome de la dépendance et, au mieux, le poison de la suspicion.

S’il s’agit de prohiber toute forme de manœuvre politique qui viendrait influer sur le cours normal de la justice, voire l’entraver, on ne peut que souscrire à la démarche.

En revanche, s’il s’agit de mettre en cause le lien fondateur et essentiel qui confère aux magistrats leur légitimité, aux juridictions leurs pouvoirs et à leurs décisions leur portée, alors, il faut rejeter toute remise en cause et, bien au contraire, je le dis au risque de vous choquer, mes chers collègues, conforter ce lien. Car il faut sans cesse revenir à la source de ce qui fonde notre justice dans le cadre de notre régime démocratique et républicain.

Dans la République, le juge n’est pas une institution dont la légitimité serait indéterminée ou fondée en quelque sorte sui generis. Sa légitimité procède du souverain, donc du peuple, représenté par le Parlement et par le Gouvernement. C’est ce qu’exprime parfaitement le fait que toute décision judiciaire est rendue « au nom du peuple français » et que son exécution est ordonnée « au nom de la République ».

Le juge exerce son office dans un but précis et dans des conditions déterminées : il doit appliquer la loi de façon égale et juste au cas d’espèce qui lui est soumis C’est à cette fin, précisément délimitée, que le souverain lui délègue temporairement son imperium.

Le juge n’est pas à la source de la loi ou d’une quelconque souveraineté. Les conditions de son office sont fixées par la Constitution, par les lois et règlements qu’il a la stricte obligation d’appliquer. Ainsi rappelé, ce lien apparaît consubstantiel à l’idée même d’une justice républicaine.

Je serais tenté de dire qu’il faudrait au moins autant se préoccuper d’un autre risque de dépendance du magistrat : sa dépendance par rapport à lui-même. Cette dernière peut résulter de ses propres préjugés, de son appartenance religieuse, philosophique, politique ou syndicale, voire, plus simplement, du souci de sa propre image. Dans le monde hypermédiatisé qui est le nôtre, le danger est de voir un magistrat se mêler de débats et de polémiques, au risque de susciter un soupçon qui pèsera ensuite sur les décisions qu’il sera susceptible de prendre.

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