Ainsi, par exemple, on apprend que tel juge qui a défrayé la chronique à une époque – une gloire de la magistrature ! – se présente à une élection sous telle ou telle étiquette. Dès lors, nos concitoyens peuvent se demander si les décisions qu’il a rendues sont insoupçonnables. Nous devons avoir ce débat : il faut appeler un chat un chat !
Bref, c’est le chantier de la déontologie qui ne doit pas être esquivé si l’on veut traiter complètement la question de l’indépendance de la justice.
En autorisant la saisine du CSM par les justiciables, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 apporte une réponse pertinente. Elle leur permet en effet d’exprimer devant cette haute instance leurs attentes relatives à l’éthique de la magistrature.
Plus complexe et ambivalent peut paraître le lien qui relie le procureur ou ministère public au pouvoir politique. Héritiers des procureurs du roi, les procureurs de la République puisent leur légitimité à la même source que les magistrats du siège. Mais leur particularité est d’être étroitement associés à l’action du Gouvernement à travers sa politique pénale. Chargés de mettre en œuvre l’action publique, avec une marge d’opportunité que la loi leur reconnaît et que je ne remets d’ailleurs pas en cause, ils exercent une mission située à la frontière entre justice et politique. Ils doivent, en effet, mettre en mouvement le bras séculier de l’État, mais ils ne peuvent agir dans ce but que dans le cadre de la politique pénale générale définie par le couple Parlement-Gouvernement.
Dès lors, on mesure que l’on ne peut couper complètement le lien entre l’action politique et l’action publique sans risquer de méconnaître les principes fondateurs.
Ne peut-on néanmoins réfléchir à une plus grande transparence qui permettrait de lever les suspicions qui entourent, dans certains cas, la mise en œuvre de l’action publique ?
Les comparaisons européennes sont à cet égard utiles. Deux pays – l’Italie et le Portugal – ont fait le choix de l’indépendance de leur ministère public, qui ne peut recevoir d’instruction du pouvoir exécutif. Dans des pays qui, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, ont confié l’instruction au ministère public, ce dernier n’est pas indépendant et peut recevoir des ordres de l’exécutif. Mais la loi néerlandaise a pris soin d’encadrer le pouvoir du ministre de la justice.
En France, une plus grande transparence pourrait résulter – c’est une suggestion parmi d’autres – de l’organisation d’un débat annuel devant le Parlement qui serait l’occasion d’un véritable échange sur les constats à dresser et les orientations à retenir. Il serait suivi d’un vote. Par sa solennité et par la publicité qui lui serait donnée, une telle procédure conférerait une vraie légitimité aux circulaires et directives de politique pénale qui en résulteraient. Chaque parquetier disposerait ainsi d’une feuille de route précise et complète, dont la légitimité serait incontestable.
Cette relation entre ministère public et pouvoir politique doit aussi être étudiée en intégrant la dimension européenne. En effet, l’action du ministère public passe et passera de plus en plus par la coopération judiciaire au sein de l’Union européenne, qui s’exerce sous diverses formes, notamment dans des instances comme Eurojust, qui, je l’espère, montera en puissance. Le développement de la coopération judiciaire en Europe et le bon fonctionnement de l’instance de coordination qu’est Eurojust seront d’autant mieux assurés que les systèmes judiciaires européens seront, sinon identiques, du moins comparables dans leurs grandes lignes. Cela plaide en faveur de la réforme de l’instruction annoncée par le Gouvernement et qu’ont déjà réalisée la plupart de nos voisins.
D’aucuns ont objecté ou vont objecter que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe vient d’adopter une résolution qui, entre autres préconisations, invite la France à « revoir le projet de suppression des juges d’instruction » et à envisager de revenir sur la révision constitutionnelle de l’année dernière – celle dont nous parlons aujourd'hui ! –, afin de « rétablir une majorité de juges et de procureurs au sein du Conseil supérieur de la magistrature ».
On n’a pas manqué de se référer à ce texte – la presse s’en est fait l’écho – pour assurer que l’Europe condamnait la réforme envisagée de l’instruction pénale. Mais quelle Europe ?