Celui-ci est marqué par deux faits essentiels.
Tout d’abord, la magistrature française connaît un mal-être profond, qui n’est pas nouveau, mais qui s’est beaucoup aggravé depuis deux ou trois ans.
Cette situation a des causes diverses : le sentiment d’assurer une mission très difficile avec des moyens parfois insuffisants, l’absence de reconnaissance de la part des pouvoirs publics, qui se traduit notamment par les attaques ou les critiques évoquées à l’instant par Mme Boumediene-Thiery, enfin le sentiment que le public ne comprend pas ce que fait la justice française.
Madame le ministre, comme j’ai eu l’occasion de le faire remarquer à votre prédécesseur, voilà deux ans et demi, quand je l’ai rencontré pour la première fois, j’appartiens depuis plus de cinquante ans au paysage judiciaire et je ne me souviens pas d’avoir jamais observé pareil climat dans la magistrature française. Vous aurez véritablement à prendre en compte ce problème.
J'ajoute que le traitement médiatique de la justice est désolant. Je regardais mardi dernier l’émission de télévision Prise directe, à laquelle vous participiez d'ailleurs, et qui était intitulée – rendez-vous compte ! – « Faut-il avoir peur de la justice ? ». On y présentait la justice comme la source de maux divers : insuffisante exécution des décisions, erreurs judiciaires, ouverture des portes des prisons pour des récidivistes qui n’attendent que l’occasion de recommencer, indifférence ou surmenage des magistrats, misère extrême des locaux – il est vrai que le tribunal d’Aix-en-Provence n’est pas le mieux doté de France, mais j’espère que cette situation changera, et il existe tout de même d’autres juridictions qui sont fort bien logées. Bref, l’image qui était donnée de notre justice était à la fois misérabiliste et humiliante.
Ainsi que je le répète à chaque occasion, ce n’est pas juste !
Je connais bien un certain nombre de justices, en Europe et outre-Atlantique. Certes, la justice française ne peut certainement pas prétendre à se voir décerner la palme d’or des justices européennes. Il n’en reste pas moins qu’elle ne mérite pas d’être traitée ainsi, car elle est loin d’être la plus mauvaise d’Europe. Peut-être est-elle la plus mal aimée, mais c’est une autre question.
En matière civile, nous pouvons servir de modèle à bien des juridictions étrangères. Nous avons mis en place des procédures, notamment le référé, mais aussi de multiples modes de solution des conflits que d’autres pays ne connaissent pas et qui aident considérablement la marche de la justice.
En matière pénale, les innovations qui ont été apportées sont essentiellement dues aux initiatives du parquet lui-même, tirées de sa pratique.
À l’heure où il est question d’adopter le modèle accusatoire, il suffit de s’intéresser, comme c’est mon cas, à l’évolution des justices internationales pour constater que, dans les pays qui ont fait ce choix il y a longtemps – je pense aux pays anglo-saxons, qui ont de grandes justices –, le taux d’erreur judiciaire...