D'aucun considèrent que, dans la mesure où je serais le père des importations parallèles, les fraudes seraient de ma faute. Eh bien, pas du tout !
Certes, je me suis battu pendant vingt ans pour qu'un produit dûment homologué dans un État membre puisse être utilisé dans un autre. Il y a encore dix ans, les différences de prix pouvaient atteindre 40 % d'un pays à l'autre. La France a finalement reconnu ses torts et un décret du 4 avril 2001 a modifié la procédure.
Le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Jean Glavany, m'avait adressé le projet de décret pour recueillir mon avis : le texte me semblait parfait sur la forme, mais sur le fond, nous n'en avions jamais demandé autant ! J'ai, en vain, réclamé des barrières pré-contrôles afin d'éviter les dérives... qui n'ont pas manqué de se manifester, immédiatement.
Les autorisations de mise sur le marché d'importations parallèles (AMMIP), aujourd'hui rebaptisées permis de commerce parallèle (PCP), ne donnent pas les mêmes droits que l'AMM. Or, des entreprises mafieuses se sont constituées, ont obtenu, dès 2002, des autorisations nationales grâce à des filiales qui n'étaient que des boîtes postales et ont commercialisé des produits n'ayant fait l'objet d'aucune évaluation. Ces entreprises, à partir d'une substance active homologuée en Europe, et souvent achetée en Inde ou en Chine, font formuler un produit par des formulateurs que tout le monde connaît.
Le seul droit attaché à L'AMMIP est celui de commercialiser un produit acheté au fabricant titulaire de l'AMM, certainement pas de fabriquer un produit. Mais tous ces mafieux sont issus des grandes firmes internationales, ils connaissent parfaitement l'aspect que doit avoir le produit et leurs productions sont parfois de meilleure qualité que l'original - ce qui dissuade le groupe lésé d'engager des actions en justice, par peur d'être ridiculisé. Certes si ces produits non autorisés peuvent être de bonne qualité, en revanche, un seul produit de mauvaise qualité peut entraîner des effets calamiteux sur la santé publique. Leur taux de résidus de pesticides est inconnu !
Nous avions prévu cette situation et demandé que les évaluations soient fondées non seulement sur les produits mais aussi sur la qualité des demandeurs. Dans notre secteur, des sociétés boîtes postales ne sont pas acceptables. N'ayant pas obtenu gain de cause sur ce point, nous avons, dès 2002, engagé des poursuites judicaires contre ces sociétés. Le procureur d'Arras m'ayant indiqué que la priorité de ses deux seuls juges d'instruction allait aux affaires criminelles, le dossier fut transféré au pôle de sécurité alimentaire de Paris, avant d'aboutir sur le bureau de Mme Le Goff, procureur de Marseille.
Nous voulions certes, à l'origine, que les importations parallèles deviennent licites, mais nous voulions aussi qu'elles soient encadrées. Or le système actuel autorise toujours les fraudes. Je regrette que le ministère de l'écologie n'ait pas soutenu fermement nos recommandations quant à la régulation.
Il est bien difficile de faire condamner les entreprises mafieuses : les firmes lésées sont réticentes à engager des procédures pénales, pour ne pas voir leurs secrets industriels dévoilés. Et les parquets n'ont pas les moyens d'évaluer les dangers des produits. Finalement, le parquet a sur une affaire pourtant grave, libéré une vingtaine de produits, après deux ans de procédure, au motif que, au vu des analyses chromatographiques, les courbes des produits en question étaient très similaires à celles des produits homologués. Or, de telles analyses ne disent rien de la composition et donc de la toxicité du produit !
Comme je l'ai dit à Mme Le Goff en janvier dernier, il est très difficile d'avancer sans la volonté des industriels. Eux seuls sont capables d'orienter les recherches. Sans leur aide, on est contraint de chercher dans le vague, de procéder par éliminations successives, ce qui peut coûter plusieurs millions d'euros, alors que le parquet de Marseille, le plus pauvre de France, dit-on, peine déjà à financer son fonctionnement quotidien.