Je vous remercie pour votre travail réalisé dans un calendrier très contraint. C'était le choix du président de la République que ce texte vous soit présenté au plus tôt. Au vu des attentes des populations d'outre-mer, il y a de bonnes raisons d'aller vite !
Le projet de loi comprend deux volets. Le premier concerne des mesures de régulation des marchés des outre-mer, le second comprend une série de dispositions tendant à mettre à jour des législations applicables à l'ensemble de l'outre-mer.
Sur le premier chapitre, contre la vie chère, le problème est simple et ne fait plus débat. Les prix des produits de grande consommation, surtout les produits alimentaires, sont partout en outre-mer très élevés, souvent supérieurs de 40 à 50 % à ceux de la métropole. Les plus touchés sont les ménages modestes. Porter remède à cette situation est donc une priorité politique et sociale.
C'est également une priorité économique car la vie chère touche aussi les marchés de gros et renchérit les coûts d'approvisionnement des entreprises, ce qui pénalise l'activité dans son ensemble.
Dans la droite ligne des engagements du candidat élu à la présidence de la République, la réponse proposée par le gouvernement se fonde sur le constat suivant : la réglementation actuelle nous enferme dans un choix difficile voire stupide, ne rien faire et cultiver le fatalisme, ou bloquer les prix et sombrer dans l'économie administrée. Or, l'administration des prix, utile pour faire face à une situation exceptionnelle, ne constitue pas une solution durable pour l'économie des outre-mer.
Il faut s'attaquer au système de formation des prix, c'est-à-dire aux causes de la vie chère, car les prix de détail ne sont que le résultat d'une accumulation de marges en amont. Pour cela, il nous faut des outils nouveaux : l'intervention sur les marchés de gros, le contrôle de la chaîne logistique, la lutte contre les exclusivités abusives et une régulation de la grande distribution. Avec cette nouvelle boite à outils, nos réponses seront plus précises et pertinentes.
On croit que l'administration connaît bien le fonctionnement des marchés et dispose de statistiques précises sur les coûts et les marges : ce n'est pas le cas ! En économie de marché, il est normal que chacun protège ses informations commerciales. Mais lorsque les marchés fonctionnent mal, l'opacité des marges devient un handicap : comment savoir où appliquer les remèdes ? L'administration se heurte à beaucoup de zones d'ombre, aux refus de publication des comptes,... Les entreprises préfèrent payer des amendes, y compris pour les monopoles pourtant constitués avec de l'argent public.
La tâche qui nous attend est difficile, mais la loi nous donne les outils nécessaires. L'article 1er vise la régulation des marchés de gros - et eux seuls. Les marchés de détail sont traités ailleurs, à l'article 5 et dans l'amendement du gouvernement introduisant un article additionnel sur le « bouclier qualité-prix », pour reprendre le terme utilisé par le président de la République. L'article 1er ne devrait pas poser de problème de constitutionnalité puisque la rédaction actuelle a été validée par l'assemblée générale du Conseil d'Etat. Si la régulation des marchés de gros se fait par décret, le passage de la loi au règlement est encadré par une triple garantie. Première garantie, le constat d'une restriction de concurrence doit être validé par un avis d'une autorité indépendante. Deuxième garantie, la régulation doit se limiter à résoudre les problèmes constatés en matière de formation des prix. Troisième garantie, les mesures inscrites dans le décret sont soumises à un critère de nécessité et de proportionnalité. On ne peut aller au-delà du constat validé par l'autorité indépendante. Ces procédures sont contradictoires et pourront donner lieu à des recours juridictionnels de droit commun, devant le Conseil d'Etat pour les décrets de régulation, devant la Cour d'appel de Paris pour la sanction du non-respect des mesures de régulation. En contrepartie de cet encadrement strict, le pouvoir réglementaire disposera d'une palette large de moyens : obligation d'accès, non-discrimination, offres de référence, prix plafond, ou encore encadrement des marges.
Cette souplesse est indispensable si nous voulons être efficaces et coller au marché : tel remède adapté à la régulation du fret vers les Antilles ne l'est pas pour les matériaux de construction à Mayotte, tel autre efficace en matière de stockage des carburants à la Réunion ne le sera pas pour l'oxygène liquide en Guyane. Les entreprises elles-mêmes peuvent aussi proposer des initiatives, il faut que le texte soit assez ouvert pour les accepter. Le pragmatisme est d'ailleurs la règle, dans la pratique communautaire comme dans le code de commerce.
L'article 2 tend à interdire les droits d'importation exclusifs, sans que cette interdiction soit absolue afin de préserver l'intérêt des consommateurs. Il est source de malentendus et certains demandent une interdiction absolue. Quelques précisions s'imposent. Tout d'abord, cet article n'interdit pas l'activité des grossistes importateurs. S'ils sont compétitifs et démontrent qu'ils sont un circuit d'approvisionnement efficace pour les détaillants et donc pour les consommateurs, ils continueront leur activité, en étant désormais choisis sur leurs mérites : ils ne seront donc plus des points de passage obligés du fait des exclusivités. En outre, dans le droit positif national ou communautaire, toutes les pratiques anticoncurrentielles sont susceptibles d'exemption, même si celle-ci est souvent difficile à obtenir, car la charge de la preuve pèse sur l'entreprise. Qu'une exclusivité puisse être justifiée par des arguments d'efficacité économique au bénéfice du consommateur n'est finalement que l'application du droit commun. Les cartes bleues en France sont un bon exemple d'entente exemptée parce que favorable au consommateur.
La disposition essentielle de l'article 3 est l'extension du pouvoir de saisine de l'Autorité de la concurrence par les régions d'outre-mer. Celles-ci auront, sur leur territoire, le même pouvoir de saisine général que le ministre de l'économie. Elles seront un relais pour toutes les entreprises qui n'osent pas porter plainte elles-mêmes. Les autres collectivités conservent leur pouvoir de saisine spécialisé dans leurs domaines de compétence, « pour défendre les intérêts dont elles ont la charge », précise le code. Cette différence de traitement s'explique par la compétence de coordination économique des régions et par le fait que la procédure devant l'Autorité est lourde - rédaction d'un mémoire, avocat, auditions,...
L'article 4 abaisse de 7,5 à 5 millions d'euros le seuil de contrôle des concentrations dans le commerce de détail outre-mer. Comme indiqué dans l'étude d'impact, seront concernées les opérations portant sur des surfaces moyennes supérieures à 600 mètres carrés, une taille déjà significative dans nos territoires.
L'article 5 est celui qui a fait couler le plus d'encre, il a été brandi comme la preuve que le gouvernement voulait stigmatiser la grande distribution. Il n'en est rien ! Cet article répond à une nécessité juridique, car le droit de la concurrence ne sait pas sanctionner la rente de monopole. En effet, une rente suppose des marges élevées et il n'y a pas de norme en la matière en économie de liberté des prix. J'ajoute que l'administration manque d'informations sur les prix et sur leur formation. Le juge considère généralement que dans des marchés ouverts et de grande taille, la rente attire les concurrents et que le bénéficiaire ne profite pas longtemps de son avantage.
Mais lorsque le marché est réduit, en raison d'une population peu nombreuse, de la rareté du foncier ou des coûts d'approche, l'implantation de concurrents n'est pas toujours aisée et le monopoleur engrange des profits durablement. L'article 5 vise donc à combler un angle mort du droit de la concurrence. S'attaquer aux marges abusives avec des moyens efficaces et dissuasifs évitera aux consommateurs, souvent désargentés, d'être captifs et victimes de ces configurations.
Il n'y a pas de stigmatisation. Dans la plupart des bassins de population, plusieurs enseignes se font concurrence. Mais dans d'autres zones, des situations anormales peuvent apparaître : nous nous donnons les moyens d'agir.
L'article est donc très clair sur le plan juridique. Il a été amélioré après la saisine par M. Bertrand Delanoë de l'Autorité de la concurrence, concernant l'état de la concurrence dans Paris intra-muros. La structure du marché n'est pas visée, seul un comportement effectif justifie une procédure d'engagements volontaires, puis d'injonction, voire d'injonction structurelle. L'Autorité de la concurrence ne joue par au Monopoly avec les magasins et ne redessine pas à notre convenance les marchés locaux !
S'agissant du chapitre 2, j'évoquerai seulement l'article 8 qui exonère les maîtres d'ouvrage outre-mer d'un autofinancer des projets à hauteur de 20 %. Un dispositif dérogatoire existe déjà en Corse, le législateur ayant déjà dans le passé pris en compte l'insuffisance des ressources de certaines collectivités. En outre, il s'agit d'une possibilité et non d'une obligation. L'Etat utilisera cette disposition dans le cas d'investissements d'intérêt public majeur et de faibles ressources de la collectivité. Je reviens de Guyane : la France a déjà été condamnée à verser de très fortes amendes, l'Europe étant très vigilante dans le domaine des déchets ménagers et des décharges sauvages. L'Etat a donc aujourd'hui intérêt à financer à 100 % la construction de centres de stockage de déchets ultimes (CSDU). Une telle possibilité existait jusqu'à la loi de finances initiale de 2012 : hélas, l'ancienne majorité l'a alors supprimé, provoquant de grandes difficultés dans certains territoires.
Vous avez compris la philosophie du texte : le but n'est pas de laisser croire que les coûts d'importation vont disparaître et les prix s'aligner comme par magie sur les prix de la métropole, il est de faire disparaître les profits injustifiés.
Il faudra, chaque fois que possible, faire baisser les prix et rétablir ainsi la confiance de la population. Une vraie désespérance s'est emparée de celle-ci, le fatalisme s'installe, on croit que l'Etat ne peut ou ne veut rien faire. Mais notre arsenal juridique est invalide outre-mer ! Ce n'est pas un hasard si mes prédécesseurs n'ont jamais pu appliquer l'article 1er de la loi pour le développement économique des outre-mer, ni l'article L. 410-2 du code du commerce. Une telle succession de conditions est exigée que les procédures ne sont jamais déclenchées.