Le Gouvernement veut créer une boîte à outils pour s'attaquer aux structures économiques mêmes de l'outre-mer. Certes, une plus grande fluidité des marchés et l'accroissement de la concurrence n'auront qu'un effet limité sur les prix, à moyen terme et long terme, mais ce sont néanmoins des tâches indispensables auxquelles personne ne s'est attelé jusqu'ici. Les structures se sont sédimentées et l'information ne circule pas. Il faut faire toute la lumière sur la formation des prix, y compris dans un secteur administré comme les carburants - on pourrait d'ailleurs débattre des informations sur lesquelles l'Etat fonde son action !
Nous nous pencherons aussi, ce sera l'objet d'un amendement, sur les marchés de détail, afin de répondre dans l'immédiat aux attentes de la population. Dans l'esprit de beaucoup de gens, le président de la République s'était engagé à bloquer les prix, ce qui est évidemment impossible dans une économie libre : le texte actuel ne l'autorise que pour six mois, si l'on excepte un article inapplicable. Mais chaque année auront lieu des négociations quasi-obligatoires, un peu les NAO de la distribution, où les opérateurs auront à discuter d'un charriot-type, d'un « bouclier qualité-prix » - les produits bon marché sont parfois de mauvaise qualité nutritionnelle. Le périmètre devra être précisé : la commission compétente en Nouvelle-Calédonie examine 400 produits, mais un supermarché compte trois à cinq mille références, un hypermarché trente à cinquante mille ; nous misons plutôt sur 150 ou 200 produits. Des enquêtes de consommation, jusqu'ici trop rares, seront menées pour savoir comment se répartit le budget d'un ménage moyen.
Une fois la loi votée, des négociations auront lieu secteur par secteur. Dans celui des carburants, le décret doit être amélioré : est-il acceptable que le dernier n'ait rien changé au précédent ? Le texte donne lieu à un arrêté de méthode de la part du préfet de région, puis à des arrêtés préfectoraux et, avant de fixer le prix, on détermine un budget prévisionnel, dont l'exécution n'est jamais contrôlée mais qui donne objectivement raison aux entreprises qui souhaitent avoir une économie administrée celle-ci assurant une rente de situation. Aussi les entreprises ont intégré dans leurs coûts la compensation de la suppression de l'abattement de 30 % de l'impôt sur les sociétés, ce qui revenait à s'opposer au vote du législateur. En outre, bien que le brent soit importé de mer du Nord à un prix fixé par un contrat à long terme, les distributeurs répercutent dans le mois les variations du prix spot !
Nous devrions, paraît-il, être contents, puisque le prix de l'essence en outre-mer n'est guère supérieur au prix de métropole. Comparaison n'est pas raison ! Ici, le marché est hyper-concurrentiel, la marge au détail est d'un centime par litre de super, voire de 0,4 centimes pour les grandes et moyennes surfaces (Leclerc ou Casino). Elle est de 12,5 centimes en Guadeloupe, de 10 centimes à la Réunion et en Guyane, de 8 à 10 centimes en Martinique. Or, dans un secteur administré, c'est l'Etat qui fixe la marge ! Vu la faible concurrence, il n'y a aucun risque de faillite.
Quant au fret, c'est un secteur où règne un monopole, ou au mieux un oligopole puisqu'on parle de partage de slots et de vaisseaux, CMA-CGM assurant le transport de marchandises pour le compte de Mex. L'entente est indéniable ; le transport n'est pas facturé ad valorem, mais au volume. Il y aura un texte, mais auparavant nous voulons avoir des discussions approfondies. Oui, nous parlerons aussi des ports, où une ou deux entreprises de manutention se partagent le marché. Oui, nous parlerons également de la grande distribution alimentaire, du commerce de pièces détachées automobile : en outre-mer, les gens sont condamnés à prendre leur voiture, et les dépenses afférentes pèsent de plus en plus lourd dans leur budget. Quant au logement, le décret de la ministre Cécile Duflot encadrant les nouveaux baux et hausses de loyers s'applique aussi en outre-mer. Oui, il y aura une politique de longue haleine.
La grande distribution est-elle prête à collaborer ? Je le crois, même s'il y a eu d'abord quelques incompréhensions. J'ai même reçu quelques mémoires d'avocat sur l'injonction structurelle, alors que celle-ci est encadrée. Nous ne nous sommes pas seulement fondés sur l'avis de décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence au sujet de la concentration des distributeurs alimentaires à Paris intra muros. L'injonction devra être motivée par un comportement fautif. Certains nous disent que même en l'absence de faute, il faut s'attaquer à la structure des marchés. Notre texte est plus modeste, c'est d'une arme dissuasive que nous nous dotons : si les opérateurs ne changent pas de comportement, nous pourrons leur enjoindre de céder des surfaces ou des unités. Ils sont désormais mieux disposés. J'ai eu hier une réunion en Guyane où l'on a dit les choses sans langue de bois.
On ne s'en prend qu'à la production importée, dites-vous, il faudrait aussi s'intéresser à la production locale, où les marges sont souvent opaques, par exemple dans le secteur de l'eau. Comment se fait-il que les avantages fiscaux - exonération de l'octroi de mer, TVA non perçue récupérable - et l'exonération de charges patronales pour le fonctionnement et l'exploitation dans les zones franches d'activité n'aient aucune incidence sur les prix ?
Après les récents mouvements sociaux, l'octroi de mer a été significativement baissé pendant trois mois sur les produits de première nécessité, mais les distributeurs ont capté la marge ! Je n'avais aucun moyen d'agir, si ce n'est l'action civile en répétition de l'indu. De même, lors de l'installation du câble sous-marin dans les Caraïbes, j'ai fait baisser le prix de 2 000 euros par mégabit, par seconde et par mois à 375 euros, puis à 80 euros, mais c'était travailler pour les quatre fournisseurs d'accès à Internet qui ont augmenté leur marge, le forfait sur le téléphone ne diminuant que marginalement ! Là encore, le droit de la concurrence ne m'était d'aucun secours. La marge des uns est le coût supporté par les autres, et c'est pourquoi il faut faire la lumière sur la formation des prix, donner plus de pouvoirs aux collectivités et aux consommateurs : nous reverrons la procédure d'agrément des associations et solliciterons l'Institut national de la concurrence.
Eric Doligé, je n'ai pas le sentiment de stigmatiser mes prédécesseurs : je connais la difficulté de la tâche. Simplement, jamais on ne s'est attaqué aux structures de l'économie ultramarine. En bousculant les habitudes, je me suis déjà acquis une réputation... Mes prédécesseurs ont pris des mesures, dont l'application a été verrouillée. L'article L. 410-2 du code du commerce est inapplicable, puisqu'un décret doit être motivé « par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché ». Aussi n'a-t-il jamais été appliqué... Il faut à la fois libéraliser et réguler, sans sombrer dans une soviétisation qui ne dirait pas son nom : j'ai rassuré les distributeurs à cet égard.
Ce projet de loi ne résoudra certes pas tous les problèmes de la vie chère. Certains, souvent dans les commissions parlementaires, l'estiment liée à la surrémunération des fonctionnaires, mais comme le disait Mme Girardin, celle-ci stimule aussi la consommation, donc la croissance. Peut-être crée-t-elle un salariat à deux ou trois vitesses, mais elle a été étendue par convention collective à des entreprises comme EDF, France Télécom, les banques et assurances. Quant aux entreprises privées, qui pourraient en être gênées, celles de moins de 11 salariés bénéficient d'exonérations - ce qui crée d'ailleurs un effet de seuil.
La loi de programme pour l'outre-mer de 2003 a créé l'Observatoire des prix et des revenus - certains avaient l'idée de s'attaquer ainsi aux surrémunérations. Mais comme un parlementaire l'a alors fait remarquer, il y a en France un Observatoire des prix... et des marges. L'institution ultramarine doit avoir les moyens de mieux connaître les marges des entreprises.
D'autres textes suivront, sur l'agriculture, l'économie, ainsi que les contrats territoriaux de développement avec les collectivités. Nous leur suggérerons de revoir leur fiscalité sur les produits de première nécessité, ou de base, ou de grande consommation. Dix ans après, l'Europe nous demande de justifier l'octroi de mer. Celui-ci ne s'applique qu'aux entreprises dont les chiffre d'affaires est supérieur à 550 000 euros, c'est-à-dire, en Guadeloupe, à 175 entreprises sur 40 000. Celles qui n'y sont pas assujetties bénéficient en outre d'une exonération sur les intrants. Un surplus de recettes pourrait donc être dégagé en abaissant le seuil. Les collectivités pourraient aussi étendre aux services l'octroi de mer qui ne frappe pour l'instant que les produits locaux ou importés. C'est un impôt assis sur l'ensemble du coût, et non la seule valeur ajoutée ; peut-on le transformer en une TVA régionalisée ? Il s'agit de faire baisser les prix tout en garantissant les recettes des collectivités. Il y aura donc aussi un texte fiscal.
Monsieur le rapporteur pour avis, merci de votre appréciation élogieuse. Oui, il serait judicieux de renforcer les directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Nous donnons plus de moyens à l'Autorité de la concurrence, mais celle-ci ne rend d'avis que deux ou trois ans après les faits. L'ancien ministre Frédérique Lefebvre voulait augmenter le pouvoir de sanction de la DgCCRF. Cependant, ces affaires relèvent des juridictions civiles plutôt que d'autorités administratives, et ne peuvent attendre la saisine d'une collectivité ou du ministre. Les procédures de ce type aboutissent parfois, mais trop tard : c'est après sept ans que les opérateurs de téléphonie mobile ont été condamnés pour entente à 492 millions d'euros d'amende. Dans le domaine du transport aérien, la saisine de l'Autorité de la concurrence a été refusée. Il faut réfléchir aux moyens de lancer ce que j'appellerai « l'action publique » : peut-être quelques agents suffiraient-ils pour mener une action efficace et dissuasive. Je fais confiance au Sénat pour amender le texte en ce sens s'il le juge nécessaire. Les petites entreprises sous-traitantes sont parfois confrontées à des abus de dépendance, d'exploitation ou de position dominante, contre lesquels elles ne portent jamais plainte : les pouvoirs publics doivent le faire à leur place, ce qui implique que les régions soient correctement informées des éventuels abus. L'assemblée de la collectivité ou sa commission permanente doit-elle avoir le pouvoir d'agir ? S'il le faut, le décret le dira.
L'injonction structurelle, notamment en cas de marges abusives, peut à mon sens être efficace. Qu'est-ce qu'une marge abusive dans une économie libre ? Bien que la jurisprudence ait répondu à cette question, peut-être faudra-t-il parler de prix élevés compte tenu de la moyenne des prix du secteur.
Que se passera-t-il pour les investissements déjà engagés, une fois la règle des 20 % supprimée ? Les collectivités demanderont probablement des subventions.
Sur le droit des étrangers, notamment à Mayotte, un conseiller d'Etat a été chargé d'une mission, et je ne manquerai pas de vous faire rapidement connaître ses conclusions. Le visa Balladur devrait être maintenu, peut-être dans une version allégée, étant donné la pression migratoire observée là-bas.