J'ai donc l'honneur de vous présenter mon rapport sur le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer.
Avant d'en examiner les différentes dispositions, je souhaite évoquer les éléments qui ont conduit à l'élaboration de ce projet de loi et qui expliquent que la discussion de ce texte constitue un évènement pour nos concitoyens des outre-mer. Autrement dit, il me semble indispensable de vous rappeler pourquoi la lutte contre ce qu'on appelle dans nos outre-mer « la vie chère » est une urgence.
Tout d'abord, la cherté de la vie dans nos outre-mer est une réalité statistique. Elle est souvent analysée sous le seul prisme du niveau des prix, alors qu'elle comprend deux aspects : le niveau des revenus et le niveau des prix.
S'agissant des revenus :
- dans les départements d'outre-mer (DOM), une enquête publiée par l'INSEE en février 2010 a montré que les revenus sont, en moyenne, inférieurs de 38 %, par rapport à l'Hexagone. Dans ces départements, les foyers fiscaux à revenus très faibles sont très nombreux : alors que, dans l'Hexagone, moins d'un quart des foyers fiscaux déclaraient en 2008 un revenu annuel inférieur à 9 400 euros, près de 50 % des foyers fiscaux des DOM étaient dans cette situation !
- dans les collectivités d'outre-mer (COM), les inégalités de revenus sont très supérieures à celles de l'Hexagone. Deux chiffres l'illustrent : à Saint-Martin, les deux tiers des foyers fiscaux touchent moins de 9 400 euros par an ; en Nouvelle-Calédonie, le rapport inter-décile, qui mesure l'écart entre les revenus les plus hauts et les revenus les plus modestes, atteint 7,9, contre 3,6 dans l'Hexagone.
S'agissant ensuite des prix :
- dans les DOM, une autre enquête publiée par l'INSEE en juillet 2010 a relevé que le niveau général moyen des prix est supérieur de 6 à 13 % par rapport à l'Hexagone. L'écart de prix est encore plus important pour ce qui concerne les produits alimentaires : le prix du panier métropolitain de produits alimentaires est ainsi supérieur de 33,8 % en Guadeloupe, de 36,6 % à La Réunion, de 44,6 % en Martinique et de 49 % en Guyane ! Certaines associations locales de consommateurs ont mené leurs propres enquêtes qui ont abouti à des pourcentages encore plus élevés ;
- le constat est le même dans les collectivités d'outre-mer. Une enquête de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) s'est ainsi intéressée en décembre 2009 à l'évolution des prix en Nouvelle-Calédonie. Les prix des produits alimentaires y ont augmenté sur la période 1995-2008 plus que dans l'Hexagone, avec une inflation de 31 % (contre seulement 25 % pour l'Hexagone). Les produits les plus inflationnistes sont les produits de base, à l'exemple du riz dont le prix a progressé de 5,1 % en moyenne par an et même de 40 % en 2008 !
Le bilan global est donc clair : les revenus sont inférieurs et plus inégalitaires dans les outre-mer, tandis que les prix y sont supérieurs et augmentent davantage, notamment pour les produits alimentaires de base. La « vie chère » est ainsi une réalité quotidienne pour nos concitoyens ultramarins. Il n'est donc pas surprenant que cette question constitue, notamment depuis 2009, un sujet récurrent du débat politique et social dans nos outre-mer.
Vous vous rappelez ainsi certainement tous du « cri » poussé par nos concitoyens ultramarins au début de l'année 2009, et notamment par nos concitoyens antillais. Au début de l'année 2009, les DOM ont été secoués par une grave crise sociale, marquée par une grève qui a paralysé pendant plusieurs semaines les deux départements antillais. La question du niveau des prix, et notamment des prix des produits alimentaires, a été au coeur de cette mobilisation. La crise s'est conclue dans chaque des DOM par des accords prévoyant des baisses de prix pour certains produits de première nécessité, accordées par la grande distribution.
Pour autant, on ne peut que constater qu'aucune véritable réponse n'a été apportée depuis 2009 à la problématique de la « vie chère » dans nos outre-mer.
En réponse à la grave crise sociale, le Président de la République de l'époque a annoncé en février 2009 l'organisation d'États généraux dans chaque collectivité. La population ultramarine a été consultée sur plusieurs questions, au premier rang desquelles, bien entendu, la problématique des prix. Au terme des États généraux, le Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM) du 6 novembre 2009 a annoncé 137 mesures pour les outre-mer.
Parmi les mesures annoncées, bien peu constituaient une réponse à la problématique du niveau des prix. Les quelques mesures annoncées dans ce domaine n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu et des attentes de la population, alors même que de nombreux travaux ont été lancés sur cette question en 2009 :
- d'une part, à l'initiative du président Gérard Larcher, notre Haute assemblée a mis en place en 2009 une mission commune d'information sur la situation des DOM, mission que j'ai eu l'honneur de présider et dont notre collègue Éric Doligé était le rapporteur. Cette mission a produit un rapport qui fait référence et qui formulait de nombreuses propositions en matière de prix ;
- d'autre part, l'Autorité de la concurrence a rendu deux avis en 2009, l'un sur les marchés des carburants, l'autre sur les mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation. Ces deux rapports formulent un diagnostic précis de la situation ainsi que de nombreuses propositions.
Près de trois ans après le CIOM, les résultats en matière de prix sont bien faibles, pour ne pas dire inexistants. La crise de 2009 a connu de nombreuses répliques dans nos outre-mer : en 2011, Wallis-et-Futuna a été ainsi secoué par un mouvement social autour de la problématique du prix de l'énergie ; à l'automne 2011, une grave crise sociale, marquée par une grève de près de cinquante jours, a paralysé Mayotte ; au début de l'année 2012, un conflit social a eu lieu à La Réunion autour de la question du prix des carburants. Ainsi, au « cri » de nos concitoyens antillais en 2009 a répondu le « cri » de nos concitoyens wallisiens, mahorais ou réunionnais.
Le projet de loi comprend deux chapitres : le chapitre Ier, c'est-à-dire les articles 1 à 7, constitue le coeur du projet de loi. Il regroupe les dispositions relatives à la régulation économique outre-mer. Ses principales dispositions sont applicables dans tous les outre-mer, à l'exception des collectivités compétentes en matière de prix et de concurrence, c'est-à-dire la Polynésie française et la Nouvelle Calédonie :
L'article 1er permet au Gouvernement de réglementer par décret le fonctionnement de marchés de gros.
L'article 2 interdit les clauses des contrats commerciaux accordant des droits exclusifs d'importation à certains opérateurs, sauf si ces clauses bénéficient au consommateur.
L'article 3 permet aux collectivités territoriales ultramarines de saisir l'Autorité de la concurrence pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles sur leur territoire.
L'article 4 abaisse de 7,5 à 5 millions d'euros le seuil de notification des opérations de concentration dans le commerce de détail ;
L'article 5 accorde à l'Autorité de la concurrence un pouvoir « d'injonction structurelle » dans le secteur de la grande distribution lui permettant, en cas de position dominante permettant de pratiquer des prix ou des marges abusifs, d'obliger des entreprises, en dernier recours, à céder des surfaces.
L'article 6 actualise le code des postes et communications électroniques.
L'article 7 habilite le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant d'étendre à Wallis-et-Futuna, avec les adaptations nécessaires, certaines dispositions du code de commerce.
Le Chapitre II porte sur des problématiques plus diverses. L'article 8 supprime, dans les outre-mer, l'obligation de participation financière des collectivités territoriales ou de leurs groupements à certains projets dont elles sont maîtres d'ouvrage. L'article 9 habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance la législation applicable à Mayotte dans plusieurs domaines, notamment en matière d'immigration. L'article 10 prévoit l'homologation de peines prévues par la réglementation de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. L'article 11 ratifie 26 ordonnances, dont 15 prises dans le cadre de la départementalisation de Mayotte.
Ce second chapitre relève très largement du champ de compétence de la Commission des Lois. L'examen au fond des articles 8, 9 et 10 lui a donc été délégué.
J'ai procédé à une dizaine d'auditions sur ce texte : j'ai ainsi reçu l'Autorité de la concurrence, les représentants des consommateurs, mais aussi, bien entendu, la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), le MEDEF ou la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD). Par ailleurs, soucieux d'être à l'écoute de tous et notamment de chaque territoire, j'ai sollicité les présidents des différentes collectivités ultramarines, des observatoires des prix et des revenus ou encore des chambres de commerce et d'industrie : plusieurs d'entre eux m'ont transmis des contributions écrites particulièrement intéressantes.
Au terme de mes travaux, la conclusion est claire : ce projet de loi est un texte important, attendu dans nos outre-mer et dont l'adoption constituera une première réponse à la problématique de la « vie chère ».
Je me réjouis tout d'abord que ce texte, qui vise à mettre en oeuvre un engagement du Président de la République, vienne rapidement en discussion devant notre Haute assemblée. Son inscription à l'ordre du jour de la session extraordinaire et le fait qu'il s'agisse d'un des premiers textes du quinquennat démontre, à mes yeux, l'attachement du Président de la République et du Gouvernement à nos outre-mer et leur volonté de faire de la lutte contre la « vie chère » dans ces territoires une priorité.
Sur le fond, je me réjouis que ce texte, salué par les associations de consommateurs, comprenne des dispositions novatrices s'inspirant des travaux menés depuis 2009 notamment l'Autorité de la concurrence.
Ce texte constitue ainsi une « boîte à outils » à disposition des autorités publiques, qui contribuera à remettre en cause des positions acquises qui alimentent le phénomène de la « vie chère ». Deux dispositions du texte me paraissent particulièrement importantes.
D'une part, l'article 2 qui prévoit l'interdiction des clauses des contrats commerciaux ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à un opérateur : l'Autorité de la concurrence a souligné en 2009 que les fabricants et les distributeurs font souvent appel, dans les DOM, à des importateurs-grossistes. Les pratiques d'exclusivités territoriales liant les fabricants et les importateurs réduisent la possibilité pour les distributeurs de choisir entre différents importateurs-grossistes. Un seul exemple : à La Réunion, un seul grossiste commercialisait en 2009 les produits de deux grands groupes fromagers hexagonaux. Dans ces conditions, les importateurs-grossistes réussissent à prélever des marges commerciales très importantes, oscillant entre 20 et 60 % pour un nombre important de références ;
D'autre part, l'article 5 qui octroie à l'Autorité de la concurrence un pouvoir d'« injonction structurelle ». Cet article a créé des remous dans la grande distribution, au niveau local mais aussi au niveau national. A mes yeux, ce dispositif constitue une « arme de dissuasion massive » et devrait permettre de remédier au défaut de concurrence dans ce secteur. Dans les DOM, la grande distribution présente en effet un niveau de concentration élevé : d'après l'Autorité de la concurrence, certains groupes détiennent des parts de marché en surfaces commerciales supérieures à 40 %, soit sur la totalité du département concerné, soit sur une ou plusieurs zones de chalandise.
Ce projet de loi constitue donc une avancée très importante. Je note d'ailleurs que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie s'est montré intéressé par les dispositions figurant dans le texte et souhaite réfléchir à l'introduction de dispositifs similaires dans la règlementation locale. Pour autant, ce texte ne constitue qu'une première étape. D'autres textes devront intervenir, d'autres mesures devront être prises, afin d'apporter des réponses à la problématique de la « vie chère ». Il faut à mes yeux analyser avec précision le processus de formation des prix et s'intéresser, par exemple, au coût du fret maritime, au coût du passage portuaire, aux marges des différents intermédiaires... Il convient aussi de porter l'effort sur d'autres secteurs économiques : nos concitoyens ultramarins souffrent du prix des billets d'avion, du niveau des frais bancaires, du niveau des loyers, du prix des pièces détachées...
La réflexion devra donc se poursuivre au cours des prochains mois et des prochaines années. En tant que Président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, je rappelle que la délégation a commencé des travaux sur la question de la « vie chère » et qu'elle prendra donc toute sa part à la réflexion sur ce sujet.
Je vous proposerai d'adopter plusieurs amendements portant sur les articles du chapitre Ier du projet de loi. Ces amendements ne remettent en rien en cause l'équilibre du texte.
Sur les articles 1 à 3, j'ai travaillé en lien avec notre collègue Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis au nom de la commission des Lois, que je souhaite remercier. Les amendements que je vous propose d'adopter visent à préciser les dispositions du projet de loi. A l'article 5, disposition phare du projet de loi, je vous proposerai plusieurs amendements visant à préciser la procédure.
Le Gouvernement a quant à lui déposé plusieurs amendements. L'un d'entre eux me paraît essentiel car il vise à mettre en oeuvre un engagement fort du Président de la République, à savoir la mise en place de boucliers « qualité prix ». Il prévoit en effet une négociation annuelle, dans le cadre des observatoires des prix et des revenus, avec les organisations de la grande distribution en vue de la conclusion d'un accord de modération du prix de certains produits de consommation courante. En cas d'absence d'accord, le préfet pourra arrêter les modalités d'encadrement des prix des produits concernés.
Cet amendement constitue à mes yeux une avancée essentielle et pleinement complémentaire des autres dispositions du projet de loi.
J'espère que notre commission adoptera à une large majorité ce texte important pour nos outre-mer, première réponse aux attentes fortes de nos concitoyens ultramarins en matière de lutte contre la « vie chère ». Elle démontrera ainsi une fois de plus son attachement à nos outre-mer qui constituent, comme l'indiquait le rapport de la mission d'information de 2009, « un défi pour la République [et] une chance pour la France ».