Le projet portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, plus connu sous son acronyme : « DDADUE », transpose trois directives européennes. Sans doute aurons-nous à en étudier d'autres au cours de la législature.
La réglementation européenne en matière bancaire et financière s'est enrichie ces dernières années : Solvabilité II, directive AIFM sur les fonds alternatifs, règlement sur les agences de notation, directive sur les services de paiement, etc. Cela nous oblige à adapter notre droit.
Je me réjouis que le Gouvernement ait préféré la loi à l'ordonnance, et j'espère que cette méthode perdurera.
Le projet de loi transpose, d'abord, une directive de septembre 2009 sur la monnaie électronique. C'est une urgence car nous sommes sous la menace d'une sanction pécuniaire. La directive devait être transposée avant le 30 avril 2011. Le précédent Gouvernement avait obtenu du Parlement deux habilitations à procéder par ordonnance : la première, en loi de régulation bancaire et financière, n'a pu aboutir faute d'avoir établi un texte dans les délais ; la seconde, au début de l'année, a été retoquée par le Conseil constitutionnel pour un motif de procédure. Ce texte est donc en réalité une ordonnance qui n'a jamais vu le jour.
La Commission européenne, qui a adressé un avis motivé à la France, peut désormais saisir, à tout moment, la Cour de justice. Celle-ci ne manquerait pas de nous condamner pour une somme atteignant plusieurs millions d'euros. Au reste, même si la transposition intervenait avant la décision de la Cour, la France devrait néanmoins s'acquitter d'une amende.
L'enjeu de ce texte est donc de montrer notre bonne volonté à la Commission.
La directive de 2009 sur la monnaie électronique fait partie d'un chantier européen beaucoup plus vaste en matière de paiements. Avec l'émergence du marché unique, le nombre des paiements transfrontaliers a augmenté. D'où la nécessaire harmonisation de leur cadre juridique.
Le paysage des paiements en Europe a, de surcroît, été bouleversé par l'arrivée de l'euro et par l'émergence du commerce électronique. Plus récemment, les moyens de paiement eux-mêmes sont entrés dans une phase d'innovation : le paiement par Internet et bientôt le règlement par téléphone portable. La deuxième banque d'Afrique du Sud ne fonctionne qu'ainsi !
Dans ce contexte, les acteurs bancaires, la Commission européenne et la Banque centrale européenne ont entendu faire correspondre au marché unique, un espace européen unique des paiements. Nous voilà dans la dernière phase du projet SEPA - Espace unique de paiement en euros - pour l'Union européenne et même au-delà puisque 32 pays y adhèrent.
Au 1er février 2014, les caractéristiques des virements et des prélèvements en euros seront identiques, il n'existera plus de frontière.
Cette évolution s'accompagne de changements profonds. Par exemple, nous avons vu apparaître sur le RIB, les identifiants IBAN et BIC, qui sont les normes de référence pour les virements et prélèvements SEPA. De même, de nouveaux standards informatiques ont été définis. Le cadre juridique des paiements en Europe a dû également être adapté. C'était, en partie, l'objet de la directive de 2007 sur les services de paiement.
La Commission européenne poursuit sa réflexion : elle a soumis à consultation, en janvier 2012, un Livre vert sur les paiements par carte, par Internet et par téléphone portable.
Dans ce contexte, cette seconde directive « monnaie électronique » est déjà presque dépassée...
Un mot sur la notion de monnaie électronique ; elle a été conçue comme un substitut aux pièces et aux billets, c'était le cas du porte-monnaie électronique Monéo en France. En réalité, la « monnaie » électronique n'est pas de la monnaie. C'est simplement un moyen de paiement. Ce qui la caractérise, c'est d'être prépayée. Il n'y a pas de création monétaire lors de l'émission de monnaie électronique. Celle-ci est toujours créée contre une remise de fonds.
Les applications de la monnaie électronique sont nombreuses. J'ai cité le porte-monnaie électronique, c'est l'innovation qui a connu le moins de succès sauf en Belgique. Mais la monnaie électronique, c'est également les cartes-cadeaux, de nombreuses applications Internet, comme les paiements PayPal. Une société nommée Bankiwi envisage même de remplacer la traditionnelle « tirelire » des enfants et des ados - le petit cochon rose - par un système de gestion de l'argent de poche en ligne.
La directive de 2009 remplace la première directive sur la monnaie électronique du 18 septembre 2000 qui avait pour ambition d'accompagner le développement du commerce électronique. La monnaie électronique n'a pourtant pas connu le succès escompté, on l'a vu avec Monéo. En 2008, d'après les chiffres de la Commission européenne, 20 sociétés seulement étaient agréées comme émetteurs de monnaie électronique tandis que 127 opéraient sous le bénéfice d'une exemption d'agrément, ce qui prouve que le cadre juridique n'était pas adapté. Les règles prudentielles étaient trop contraignantes ; les établissements agréés devant disposer d'au moins 1 million d'euros de capital, ce qui a découragé les petites structures.
La révision de la directive de 2000 était donc devenue indispensable. Il avait été proposé de la refondre dans le cadre de la directive sur les services de paiement de 2007, mais les Etats européens n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un minimum de fonds propres pour les deux types d'établissement envisagés : les établissements de paiement et les établissements de monnaie électronique. Au lieu d'une seule entité juridique nouvelle, nous en avons deux, dont les missions sont très proches.
Résultat, la frontière entre les deux directives est floue. Au demeurant, les changements en matière de paiements étant inéluctables dans les années à venir, la directive que nous transposons aura vraisemblablement une vie très brève.
Le projet de loi prend en compte les nouvelles règles en matière de monnaie électronique et l'apparition des établissements de monnaie électronique. Sans entrer dans le détail, permettez-moi un mot sur les exemptions. Normalement, un établissement de monnaie électronique doit être agréé, ce qui emporte plusieurs conditions, notamment en termes de capitalisation et de protection du consommateur. Une des principales caractéristiques de la monnaie électronique est d'être toujours remboursable à son détenteur : vous ne pouvez pas la perdre. Or la directive prévoit qu'il est possible d'être exempté de l'agrément. Pour cela, la monnaie électronique émise doit servir dans un éventail « limité » de magasins ou pour acheter un éventail « limité » de biens ou services. Par exemple, trois commerçants de centre-ville s'associent pour émettre une carte-cadeau prépayée valable dans leurs boutiques. Ils ne seront pas considérés comme émetteurs de monnaie électronique et ne seront pas soumis au capital minimal de 350 000 euros.
Néanmoins, le concept d'éventail limité peut être à géométrie variable. Une conception trop extensive serait défavorable aux consommateurs. L'Autorité de contrôle prudentiel devra être très vigilante sur ce point. Cela implique, d'abord, de réviser les exemptions actuelles pour les faire basculer dans le régime de l'agrément, puis de limiter les futures autorisations.
Deuxième point : le mode de remboursement de la monnaie électronique. La directive oblige à rembourser la monnaie électronique sans indiquer comment. Le projet de loi prévoit que le remboursement se fera à la demande du détenteur, par virement ou par espèces... ce qui semble paradoxal pour de la monnaie électronique.
Afin de tenir compte des modèles économiques des nouveaux émetteurs de monnaie électronique, qui opèrent pour la plupart sur Internet, le plus raisonnable aurait été d'ouvrir le remboursement en liquide pour la seule monnaie électronique émise contre le versement d'espèces, comme les cartes-cadeaux par exemple.
Dernier point, la lutte contre le blanchiment. La monnaie électronique risque de devenir une voie privilégiée de la fraude. En France, les émetteurs de monnaie électronique ne sont pas soumis aux obligations de vigilance et d'identification de leurs clients dans la limite de 250 euros pour un support non rechargeable et de 2 500 euros pour un support rechargeable. Le texte renforce, autant que faire se peut, les dispositifs anti-blanchiment. On peut cependant s'interroger sur l'opportunité de maintenir un certain anonymat autour de la monnaie électronique. La FNAC doit-elle vérifier l'identité de la personne qui achète une carte-cadeau de 30 euros ? Cela paraît excessif mais l'achat de dix cartes prépayées anonymes permet déjà de transférer 25 000 euros ! Des réflexions sont en cours à Bruxelles en vue de la prochaine révision de la directive anti-blanchiment.
En fait, la monnaie électronique demeure un objet mal identifié. D'un côté, elle est assimilée à la monnaie fiduciaire, en tant que substitut aux pièces et billets, ce qui peut justifier l'anonymat ; de l'autre, elle est considérée comme un moyen de paiement... Bref, le cadre juridique reste incertain.
Le projet de loi transpose également la directive « Omnibus I », adoptée à la suite de la création de l'Autorité bancaire européenne, de l'Autorité européenne des marchés financiers et de l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles. Il convient, en effet, de modifier onze textes sectoriels afin de tenir compte de l'existence de ces trois nouvelles autorités européennes de surveillance. Si les projets d'union bancaire confiant à la BCE la supervision des banques de la zone euro aboutissent, les compétences de l'Autorité bancaire européenne pourraient évoluer, de même que les modalités de coopération entre elle et l'ACP.
Enfin, le texte transpose le volet public de la directive contre les retards de paiement dans les transactions commerciales. Cette directive harmonise les délais de paiement des différentes autorités publiques qui disposeront d'un délai maximal de trente jours pour effectuer le paiement. Ce délai pourra être porté à soixante jours dans certains cas. En matière de marchés publics, la règle des trente jours s'applique déjà mais la directive va plus loin que les seuls marchés publics et vaut pour l'ensemble des contrats de commande publique.
Par ailleurs, le projet de loi instaure, en cas de retard, une indemnité forfaitaire d'un montant minimum de 40 euros. C'est la principale innovation par rapport au droit existant.
Le texte établit enfin le taux d'intérêt pour le retard de paiement, équivalent au taux de refinancement principal de la BCE majoré de huit points. En 2011, les retards de paiement ont coûté plus de 100 millions d'euros aux autorités publiques, dont 80 % pour l'Etat. Avec ce texte, la facture pourrait s'alourdir de près de 50 millions d'euros !