Par lettre en date du 21 novembre 2011, le Sénat a demandé à la Cour des comptes de mener une enquête sur « l'entretien du réseau ferroviaire national ».
Le terme « entretien », en accord avec Mme le rapporteur spécial, doit être entendu comme « maintenance », ce mot désignant à la fois l'entretien au sens des dépenses de fonctionnement et le renouvellement au sens des dépenses d'investissement.
Il a été demandé à la Cour des comptes d'analyser le fonctionnement du système spécifique à la France créé par la réforme de 1997, qui fait reposer la gestion du réseau ferroviaire sur deux acteurs, RFF, gestionnaire d'infrastructure et propriétaire du réseau, et la SNCF, gestionnaire d'infrastructure délégué. Cette mécanique complexe constitue un des chapitres du rapport de la Cour des comptes.
La Cour des comptes a essayé d'évaluer les résultats de la politique menée dans le domaine de l'entretien ; elle est partie du fameux rapport Rivier de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EFFL), en 2005.
La Cour a également assuré le suivi des recommandations qu'elle avait formulées dans un rapport de 2008 « Le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine ».
En premier lieu, la maintenance est un véritable défi, le réseau possédant des caractéristiques qui rendent celle-ci difficile et lourde.
En effet, 48 000 kilomètres de voies doivent être entretenus, auxquels s'ajoutent les 15 000 kilomètres de voies de service.
Une autre caractéristique réside dans la diversité : 1 800 kilomètres de lignes à grande vitesse, 13 800 kilomètres de lignes classiques du réseau dit « structurant » et 13 600 kilomètres de lignes du réseau secondaire. Près de 70 % de ce réseau secondaire est parcouru par moins de vingt trains par jour, et 6 400 kilomètres par moins de dix trains par jour.
Autre caractéristique, l'hétérogénéité du réseau : il existe encore des tensions électriques différentes selon les endroits et je ne parle pas des tunnels aux gabarits variables. Cette hétérogénéité ne facilite guère l'entretien, une partie de l'équipement datant d'avant la création de la SNCF, ce qui constitue d'ailleurs un signe de qualité des constructions de l'époque !
S'agissant de l'architecture, le réseau est peu maillé. Quand on ferme une voie, on ne sait par où faire passer le train ; on évite donc de fermer les voies trop longtemps. L'entretien se révèle beaucoup plus difficile dans ces conditions.
Le défi de la maintenance est aussi lié au retard à combler en ce domaine. Ce retard est essentiellement lié à la forte baisse des investissements de renouvellement du réseau depuis le début des années 1980 et à la construction des lignes à grande vitesse. Personne ne conteste le fait qu'on a, à cette occasion, sacrifié le renouvellement du réseau existant.
L'effort de renouvellement du réseau a été divisé par deux à partir de 1980, quand la France investissait massivement dans la construction de ses lignes à grande vitesse. Longtemps, on a mené une politique implicite d'abandon d'une partie du réseau. Il s'agissait en effet de s'habituer à l'idée qu'une ligne devait être utilisée à des vitesses moindres en raison de son état.
Enfin, le troisième défi est celui du coût. L'enveloppe annuelle s'élève à 2 milliards d'euros. Le plan de renouvellement portant sur la période 2008-2015 représente 13 milliards d'euros d'investissement.
Le second point concerne la laborieuse articulation entre RFF et la SNCF. Le dispositif conventionnel, mis en place par la réforme de 1997 pour assurer la maintenance, est d'une très grande complexité et une partie de l'énergie des deux établissements publics a consisté à essayer de régler les différends qui apparaissaient au fur et à mesure.
Néanmoins, il ne faut pas négliger l'émulation qu'a créée RFF à l'égard de la SNCF, qui a dû abandonner son monopole. Elle s'est trouvée, dans certains cas limités, placée en concurrence face à RFF, cette tension pouvant favoriser des gains de productivité.
Ceci n'a cependant pas permis une réduction des coûts de l'entretien puisqu'on constate un renchérissement des dépenses. Pourquoi ? Tout d'abord, la multiplication des chantiers a créé une tension du côté des entreprises capables de mener à bien ces chantiers. Il a fallu faire de plus en plus de travaux de nuit, qui coûtent plus cher que ceux réalisés le jour.
Troisième point : le réseau ferroviaire continue de vieillir, en dépit de l'effort incontestable mené depuis le constat établi par le rapport Rivier ; malgré le doublement des investissements annuels de renouvellement, l'âge moyen des voies continue d'augmenter. Il est préoccupant de constater que le réseau qui vieillit le plus est le réseau structurant, le réseau secondaire ayant le plus bénéficié de l'effort de renouvellement. En effet, il est plus facile d'interrompre la circulation, on y travaille plutôt de jour que de nuit et la pression locale y était plus forte.
Quatrième point : la rénovation du réseau est de plus en plus financée par l'endettement. RFF a nécessairement été amené à y recourir de façon croissante. Je ne développerai pas la question de la dette ferroviaire, qui constitue un sujet en soi, mais il fallait bien financer l'effort de renouvellement, les péages ne suffisant pas.
On aboutit donc à des choix difficiles mais inéluctables. Comment affecter au mieux une ressource de plus en plus rare ? L'allocation de cette ressource devra d'abord porter sur les investissements. Il faudra choisir mieux que cela n'a été fait entre la préservation du réseau existant et le développement de nouvelles lignes. C'est un sujet largement débattu l'année dernière lors des Assises du ferroviaire.
Il faudra également se poser la question de la taille et de la consistance du réseau. L'effort financier important qui a été réalisé n'a pas permis de le rajeunir. Il faudrait donc soit un effort financier encore plus important, soit en réduire la taille.
La Cour des comptes ne saurait conclure en disant que l'on peut rayer d'un trait de plume un certain nombre de lignes ferroviaires. Tel n'est pas l'esprit du rapport, ni son contenu, mais il nous semble possible d'imaginer une action concertée avec les collectivités concernées portant sur la taille du réseau. En effet, le transport local ne nécessite pas forcément de recourir au train. Certaines dessertes sont en effet assurées par des autocars. Ceci conduirait à réduire l'ampleur du problème.