Pour en revenir à la T2A, nous avons pointé du doigt les imperfections de la construction tarifaire : l’étude nationale des coûts repose sur un échantillon trop faible et insuffisamment représentatif de la diversité des établissements et les retraitements statistiques permanents nuisent à la lisibilité de l’ensemble.
Au total, le calcul des coûts, déjà imparfait, est en fait largement déconnecté de l’élaboration de la grille tarifaire.
En outre, à défaut de la mise en place de réels outils pour piloter l’activité, la France a choisi de facto une régulation des dépenses par les tarifs plutôt que par les volumes, et ce à un niveau macro-économique, sans prise en compte de l’activité de chacun des établissements pris individuellement. Cela explique que les tarifs s’éloignent des coûts réels constatés dans les établissements, ce qui n’est pas satisfaisant pour les gestionnaires et les équipes.
Au confluent des limites médicales et territoriales de la T2A se trouvent les 350 hôpitaux locaux – ex-hôpitaux ruraux – dont la loi prévoit qu’ils doivent appliquer la tarification à l’activité au 1er mars 2013. Cette évolution nous semble inappropriée, car ces hôpitaux, qui rendent un grand service public de proximité, seront particulièrement frappés par deux défauts actuels de la T2A : ils pratiquent principalement la médecine gériatrique avec peu d’actes techniques ; ils se trouvent dans des zones isolées ou peu denses en professionnels de santé.
Madame la ministre, quelles sont, sur ce point, les intentions du Gouvernement en ce qui concerne le passage à la T2A des hôpitaux locaux ? Plus globalement, ne serait-il pas opportun de commander une étude sur la place de ces établissements, qui pourraient être utilement valorisés pour répondre à certains défis actuels de notre système de santé ?
Je voudrais évoquer maintenant un sujet qui a été particulièrement décrié : la convergence.
La mise en place d’une tarification liée à l’acte thérapeutique conduit, presque instinctivement, à l’idée que le financement doit être égal, quels que soient le lieu, les modalités d’exercice ou le patient concerné.
Or, comme l’a montré la Cour des comptes, le processus de convergence intrasectorielle a déjà révélé les limites de cette intuition.
Ces limites ne peuvent être que plus fortes pour la convergence intersectorielle, entre les grilles tarifaires, le champ même des tarifs étant différent entre les secteurs privé et public. Ce processus présente des biais méthodologiques rédhibitoires, que nous avons signalés dans notre rapport.
Alors que des comparaisons ne pourraient légitimement s’effectuer que « toutes choses égales par ailleurs », des différences fondamentales existent entre les établissements de santé en ce qui concerne les modes de prise en charge, les contraintes d’organisation, le coût des personnels, ou encore la capacité à programmer son activité, qui ne dépend pas uniquement de la gestion administrative ou médicale.
En outre, les tarifs reposent aujourd’hui sur des coûts moyens, calculés à l’échelle nationale, dont la construction présente, je l’ai dit, certains défauts.
Pour l’ensemble de ces raisons, dans notre rapport, qui, je le rappelle, a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales, comme l’a précisé le président de la MECSS, nous demandons la suspension du processus de convergence tarifaire.
Madame la ministre, vous avez annoncé que vous proposeriez cette mesure dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Je m’en félicite.
Un autre sujet a souvent été évoqué durant nos auditions et déplacements : l’investissement hospitalier.
Aujourd’hui, il est presque exclusivement financé par l’assurance maladie via le fonds de modernisation des établissements de santé et les tarifs.
Nous nous sommes interrogés : est-il légitime que le remboursement des soins finance l’investissement immobilier, les constructions nouvelles d’établissements notamment ? Nous ne le pensons pas.
Dans le contexte dégradé de nos finances publiques, il s’agit d’une réflexion à moyen terme mais il nous semble nécessaire, d’une part, de remettre à plat les logiques de financement et, d’autre part, de trouver, pour ce type de dépenses, une meilleure gouvernance afin d’optimiser le choix des projets.
Dans le champ de la T2A, c’est-à-dire la médecine, la chirurgie et l’obstétrique, les tarifs représentent 75 % du financement, ce qui est une part certainement excessive comme nous l’avons vu précédemment.
Une part de 10 % obéit à des logiques diverses, principalement le paiement direct de certains médicaments onéreux et de dispositifs médicaux ou des forfaits pour des activités comme les urgences.
Les 15 % restants font, comme la convergence, l’objet de dissensions constantes entre les représentants des hôpitaux et des cliniques. Cet ensemble hétéroclite et mouvant est regroupé dans la dotation des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les MIGAC.
Madame la ministre, vous avez annoncé la constitution de divers groupes de travail ; je crois qu’il serait utile d’en consacrer un à la remise à plat de ces MIGAC, qui doivent être simplifiées et clarifiées pour conforter les missions de service public de l’hôpital.
Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur la place des activités de recherche et d’enseignement dans les MIGAC, qui correspondent aux missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation, les MERRI.
La dotation destinée aux MERRI, d’un montant de 2, 7 milliards d’euros, représente environ le tiers du financement des MIGAC, alors que plusieurs de ses lignes relèvent clairement de la responsabilité de l’État. Cette dotation a beaucoup augmenté ces dernières années et a donc pesé sur l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, en tant qu’enveloppe fermée. Comme pour les investissements immobiliers, nous croyons qu’il faut mener une réflexion sur la répartition des responsabilités et des financeurs sur cette question des MERRI.
Nous nous sommes également intéressés aux modalités de régulation macro-économique des dépenses, qui nous semblent, comme à beaucoup d’acteurs, insatisfaisantes. Je l’ai dit, elles passent par l’ajustement à la baisse des tarifs, qui ont en pratique baissé continûment ces dernières années, et par la mise en réserve annuelle d’une part des MIGAC.
La construction et la baisse des tarifs sont les symboles, à nos yeux, des défauts de la mise en œuvre de la T2A : un établissement dont l’activité croît, mais moins vite que la prévision nationale, voit ses recettes baisser d’une année sur l’autre. C’est incompréhensible et démotivant pour les équipes médicales et soignantes ainsi que pour les cadres de direction des établissements.
Nous demandons en conséquence une réforme globale de la régulation des dépenses pour la rapprocher de l’activité propre de chaque établissement et éviter la mise en réserve infra-annuelle de crédits budgétaires.
Un autre élément est apparu durant nos travaux : la T2A peut faire obstacle aux coopérations hospitalières, car les établissements n’ont intérêt ni à partager leur activité ni même à échanger du temps médical. De ce fait, la T2A peut se révéler contraire à un objectif politique pourtant important.
Nous pensons qu’il est possible de donner aux agences régionales de santé, les ARS, les moyens d’attribuer, de manière contractuelle, des financements temporaires pour accompagner les coopérations hospitalières. À ce niveau, je me permets, madame la ministre, de vous interroger : comment entendez-vous conjuguer la mécanique individualiste de la T2A avec l’objectif de développement de la coopération entre établissements ?
De manière générale, nous estimons nécessaires d’attribuer plus de marges de manœuvre aux ARS pour accompagner les établissements dans leurs projets.
Dans un autre volet, notre rapport souligne que chacun de nos déplacements a été ponctué par un sujet qui est manifestement très mal vécu par la communauté hospitalière : les contrôles de l’assurance maladie.
Réalisés sous l’égide de l’ARS, leur principe n’est aucunement remis en cause, ils sont essentiels dans un système de tarification à l’activité, mais la pratique est, là aussi, insatisfaisante : les personnels les ressentent souvent comme effectués systématiquement à charge et à la limite de la remise en cause, a posteriori bien sûr, de décisions thérapeutiques.
Restaurer la confiance et la sérénité est nécessaire, ce qui passe par une meilleure association des acteurs, un renforcement du pilotage national et l’élargissement de la composition des équipes de contrôles sur le terrain à des praticiens vacataires exerçant en établissement.
Madame la ministre, pouvez-nous indiquer quelles sont, là aussi, les intentions du Gouvernement ?
Je terminerai par un point, qui ne doit pas demeurer dans le champ technique : le développement et l’interconnexion des systèmes d’information. Les capacités technologiques existent dorénavant ; il s’agit de les mettre en place de manière coordonnée pour améliorer notre organisation sanitaire.
C’est une étape indispensable au développement concret de la notion de parcours de santé, mais, sur ce sujet, je laisse la parole à mon collègue Alain Milon, corapporteur et vice-président de la MECSS. §