Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la MECSS, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la T2A est une tarification largement appliquée en Europe. En France, nous avons été plus loin que d’autres pays sur le champ concerné par cette tarification à l’activité.
Aujourd'hui, l’hôpital fonctionne pour une part très importante de ses recettes en T2A. En somme, pour une appendicectomie, quel que soit l’établissement, la sécurité sociale verse un certain montant à l’hôpital. Pour affiner tout cela, un grand nombre de critères sont pris en compte, et la façon dont le séjour se passe à l’hôpital est aussi analysée. En bref, c’est un énorme algorithme qui permet de déterminer quel tarif sera perçu par l’hôpital, et ce n’est pas forcément la réalité économique !
Autant le dispositif précédent, le forfait global, gommait les différences liées aux activités, ce qui était source d’immobilisme, autant la T2A peut être une course à l’activité. Son application depuis quelques années méritait véritablement un examen approfondi, ce qui a été fait à travers ce rapport de façon très perspicace. Que les auteurs en soient largement remerciés !
Je voudrais simplement, à travers mon propos, souligner quelques imperfections dont il faudra peut-être envisager la correction, madame la ministre.
Je vous ferai part, tout d’abord, de quelques réflexions, puis je commenterai quelques propositions.
Mes réflexions sont le fruit de remarques remontées du terrain. Elles sont inspirées par ma double expérience de membre du conseil de surveillance d’un petit centre hospitalier rural, celui de Sézanne, dans la Marne, mais aussi d’un centre hospitalier universitaire, celui de Reims.
La permanence des soins, tout d’abord, outre les frais de structure, coûte en frais de personnel non soumis à une activité constante.
Il faut bien sûr prendre en compte le tissu rural, la faible population, les distances par rapport aux grands centres techniques, mais également les spécificités locales.
La commune de Sézanne est située sur la tristement célèbre route nationale 4. Ce tronçon, qu’il a été question de moderniser au début des années soixante-dix, concomitamment à la création de l’autoroute A4, ne compte toujours que deux voies, et non deux fois deux voies. Chaque jour, 12 000 véhicules y transitent, dont 40 % de poids lourds. Vous vous en doutez, en cas d’accident, les antennes de SMUR déployées le long de la route doivent être particulièrement performantes.
A contrario, les services des urgences sont régulièrement sollicités par des gens qui n’ont pas besoin de soins urgents, mais qui sont simplement pressés.
Parallèlement, les gardes de médecins libéraux qui peuvent être organisées ne sont pas forcément sollicitées. À titre personnel, j’en sais quelque chose.
Il faudra bien qu’une véritable prise de conscience ait lieu un jour dans notre pays sur l’utilisation à bon escient des services publics. On voit bien les difficultés qui se posent lorsqu’on veut, par exemple, améliorer le système de relais des urgences et rapprocher les services du 15 et du 18, là où cela n’est pas déjà fait.
Par ailleurs, les patients, même lorsqu’ils font preuve de bonne volonté, ne peuvent pas, dans notre système, payer les actes médicaux ou les soins dans les centres hospitaliers. D’une part, cela ne les responsabilise pas, d’autre part, cela montre bien la limite de la gratuité. Entre la gratuité et, à l’autre extrémité du balancier, les dépassements d’honoraires, il nous faudra bien trouver un juste milieu si nous voulons sauver notre système de santé.
Ma deuxième remarque portera sur l’enseignement. Les coûts de l’enseignement sont différents d’un établissement à l’autre. Les jeunes étudiants ont une tendance naturelle à sur-prescrire, ce qui n’est pas pris en compte dans la T2A. La correction pourrait se faire par le financement des missions, lequel devrait peut-être prendre, dans ce cas, une part plus significative.
Ma troisième remarque concernera la recherche et les fameuses MERRI, les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation. La recherche est un élément essentiel pour la renommée d’un CHU.
Au départ, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, avait estimé à 15 000 euros le coût par an par étudiant faisant de la recherche. Il n’est plus actuellement que de 10 000 euros à 11 000 euros, ce qui pénalise les laboratoires et représente un coût pour les établissements concernés, à savoir notamment les CHU. Cette mission de recherche doit-elle être entièrement financée par la sécurité sociale ? La question est posée, il faut y réfléchir.
Je m’attarderai un peu plus longuement sur le numerus clausus, qui fera l’objet de ma quatrième remarque.
L’augmentation du numerus clausus était indispensable pour les universités sous-dotées, mais elle a automatiquement entraîné un abaissement du niveau requis pour accéder à la formation en médecine. Le tutorat est donc plus lourd, ce qui a différentes conséquences. Les CHU nouvellement sur-dotés sont soumis à une triple peine.
Dans les régions difficiles, avec une démographie défavorable comme c’est le cas en Champagne-Ardenne, les internes quittent la région à l’issue de leur formation. C’est la première peine.
Les gardes d’internes nécessitent un accompagnement, mais ne génèrent pas d’activités tarifées dans le cadre de la T2A. Au contraire, elles créent de la dépense supplémentaire. Ainsi, les interventions chirurgicales, qui sont plus longues lorsqu’elles sont effectuées par de jeunes internes en chirurgie, mobilisent davantage d’heures de personnel médical et paramédical. C’est la deuxième peine.
Le nombre de professeurs n’a pas augmenté. En conséquence, ils doivent consacrer des heures supplémentaires à la formation, au détriment des actes rémunérateurs. C’est la troisième peine.
Ma cinquième remarque a trait aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM. Madame la ministre, ils sont une procédure intéressante, mais parfois hasardeuse. Les nouveaux CPOM pour la période 2012-2017 sont proposés après concertation, mais les moyens réels qui y seront consacrés ne seront connus qu’en fin d’année. Ils dépendront de la répartition définitive des enveloppes par l’ARS, pour les missions d’intérêt général.
Si les objectifs sont fixés, les moyens n’y sont pas !
Une adaptation du dispositif doit être envisagée, car il est difficile de définir clairement des objectifs sans visibilité budgétaire.
Ma sixième remarque portera sur l’ONDAM, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie. Afin de contrôler les dépenses de sécurité sociale, l’idée est de maîtriser l’augmentation annuelle de l’ONDAM. Les déterminants de l’ONDAM sont, d’une part, l’inflation, qui agit sur les consommables, et, d’autre part, le GVT, le glissement vieillesse technicité, qui est une inflation naturelle de la masse salariale.
Ainsi, la tentation est légitime de combler les déficits en laissant filer les allocations de MIGAC : cela signifie l’explosion de l’ONDAM au détriment du juste soin. Et si les aides à la contractualisation venaient à être considérablement augmentées, cela signifierait revenir d’une certaine façon au système de dotation globale et à ses dérives, les dépenses incontrôlées. La T2A en serait affaiblie d’autant.
Ce qu’il faudrait peut-être faire, au contraire, c’est chercher à maîtriser les aides à la contractualisation tout en revisitant le système d’attribution des missions d’intérêt général et en s’assurant de contrôler les dérives de la T2A.
À cet égard, permettez-moi d’en citer quelques-unes : l’optimisation du codage des séjours dans le but d’assurer une rentabilité extrême – cela s’est vu parfois –, la sélection de patients financièrement rentables – cette tentation existe –, le renforcement des pratiques médicales les plus invasives au détriment de soins plus précis, mais moins bien valorisés.
Rassurons-nous, ces risques sont aujourd’hui en partie contrôlés par la sécurité sociale, mais il existe encore sans doute des marges de progression. Il faut toutefois garder à l’esprit que la T2A est un système mondialement utilisé, et l’un des seuls outils de pilotage de l’efficience d’un hôpital.
J’évoquerai maintenant – ce sera ma septième remarque – la comptabilité analytique hospitalière et la performance. Dans ce domaine également, des améliorations gagneraient à être faites afin que, au sein de chaque service, l’on puisse connaître précisément ce que coûte telle ou telle information. Il serait judicieux de renforcer la vision analytique. Ce serait un gage important pour les médecins, mais également pour les personnels administratifs.
Je m’attarderai maintenant sur quelques-unes des propositions figurant dans le rapport de la MECSS.
J’évoquerai tout d’abord la proposition 9 sur la télémédecine, laquelle est, comme l’a souligné Alain Milon, une avancée tout à fait intéressante. La télémédecine commence à être au point, notamment dans le domaine de l’imagerie et pour les consultations de spécialistes à distance. Il est donc urgent de régler les problèmes de tarification et de responsabilité médicale qu’elle pose.
Dans le domaine de la médecine du travail, cette innovation est pertinente, à condition de la reconnaître rapidement, compte tenu du déficit en médecins du travail. Un décret pourrait être pris rapidement afin d’autoriser une expérimentation dans ce secteur, madame la ministre. Cela permettrait d’avancer et de prouver qu’il existe des choses intéressantes, susceptibles de nous faire réaliser des économies, tant dans le domaine hospitalier que dans celui de la médecine de ville.
La proposition 26 mérite également qu’on s’y arrête. Elle pose la question des moyens des agences régionales de santé, les ARS. Sont-ils adaptés aux ambitions régionales ? En fait, les ARS sont chargées de décliner une politique nationale à l’échelon régional. Toutefois, il existe des disparités difficiles à combler. Sur le terrain, les différences sont considérables. Il faut trouver une articulation, notamment avec le financement du secteur médico-social, secteur dans lequel les collectivités locales assurent des responsabilités. Bien souvent, les doubles tarifications ont une répercussion sur le budget des hôpitaux. Il faudra également se pencher sur cette question.
La proposition 35 vise à replacer le malade au sein du dispositif d’évaluation budgétaire, en travaillant sur un parcours de santé. Je pense que c’est important.
En tant que médecin généraliste, je me rends compte encore trop souvent que le parcours de santé est un véritable parcours du combattant, surtout pour les pathologies lourdes. Des améliorations pourraient être trouvées.
En conclusion, bien des problèmes restent à résoudre.
La question se pose de l’extension de la T2A, notamment aux soins de suite et aux hôpitaux locaux. Personnellement, j’invite à la plus grande prudence. Le dispositif peut être amélioré.
Il s’agit, cela a été rappelé, de répartir une enveloppe définie annuellement dans le cadre de l’ONDAM. Est-il envisageable d’exclure la partie « recherche » ? Faut-il exclure l’investissement ? Ce qui est important, c’est de trouver des solutions, car nous sommes tous attachés à l’efficience de notre système hospitalier. §