Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous sommes très heureux de pouvoir débattre, dans cet hémicycle, des conclusions du rapport de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique.
Je veux le souligner, le rapport a été adopté à l’unanimité des membres de la mission et totalement soutenu par la commission des affaires sociales. Cette unanimité est d’ailleurs à l’image des travaux extrêmement constructifs et fort éclairants qui ont été conduits sur ce que je considère, j’y reviendrai, comme un véritable enjeu de société.
Nous ne voulions pas de polémiques inutiles, car cette mission d’information, souvenons-nous-en, est née d’un drame humain, celui de l’affaire des prothèses mammaires PIP, un drame dont nous découvrons d’ailleurs, chaque jour, l’ampleur croissante, puisque, vous le savez, les taux de rupture de ces prothèses sont très supérieures aux estimations initiales.
Malgré les Cassandre dénonçant le principe de précaution, nous ne pouvons que saluer la décision du précédent gouvernement de proposer l’explantation préventive à toutes les femmes porteuses de ces prothèses.
Pour autant, à l’occasion des différentes auditions, nous avons bien noté les difficultés auxquelles sont confrontées les victimes, qui dénoncent les pratiques parfois abusives de certains chirurgiens. Aussi avons-nous demandé à l’exécutif qu’il missionne l’Inspection générale des affaires sociales pour dresser le bilan de cette crise sanitaire et faire toute la lumière sur les conditions d’explantation. Madame la ministre déléguée, je souhaiterais avoir des éclairages sur la prise en compte de cette demande par l’actuel gouvernement.
Vous le savez, la mission commune d’information n’était pas une contre-enquête sur l’affaire PIP. Nous avons donc voulu que son champ d’investigation soit extrêmement élargi. Nous nous sommes concentrés sur les dispositifs médicaux dits « implantables », parce que jugés les plus à risque, ce qui recouvre une gamme de produits très large, allant des prothèses mammaires aux prothèses de hanche, en passant par les stents et les pacemakers.
Nous avons tenu à ouvrir encore plus notre réflexion pour y inclure l'ensemble des interventions à visée esthétique, qui, elles, vont du travail des esthéticiennes jusqu’à la chirurgie esthétique.
L’affaire PIP renvoyait en effet aux délicates questions, d'une part, du risque acceptable pour des interventions à visée purement esthétique et, d'autre part, de la place des pouvoirs publics pour déterminer un tel niveau de risque.
Je veux d’abord insister sur l’enjeu. En effet, à l’évocation du titre de cette mission commune d’information, d’aucuns nous ont parfois regardés avec un petit sourire. Pourtant, l’enjeu de santé publique est réel.
Pour les seuls dispositifs médicaux, le nombre de références aujourd'hui recensées oscille entre 160 000 et 800 000, soit un gap important tout autant qu’une incertitude extrêmement préoccupante ; le marché serait, selon l’IGAS, de 21 milliards d'euros.
De plus, chaque année, 300 000 actes de chirurgie et médecine esthétique sont pratiqués, marché en très forte progression. Autre chiffre intéressant, dans la perspective du débat qui va s’ouvrir, je précise que 16 % de la population française fréquente des cabines de bronzage à ultraviolets, dites cabines UV.
Si je mentionne ces quelques données, c’est pour bien montrer que nous sommes face à un problème de société, dépassant le simple choix individuel d’une prise de risque.
Nous avons donc travaillé sur un sujet élargi avec une approche elle-même élargie. Avec l’aide d’une équipe remarquable de fonctionnaires du Sénat, conduite, je tiens à le dire, par un remarquable administrateur, nous avons mené plus d’une cinquantaine d’auditions. Nous sommes intervenus auprès des instances européennes et nous sommes rendus aux États-Unis, au Danemark et en Suède. Nous aurions bien voulu aller en Australie, mais nous nous sommes contentés d’interroger les autorités locales par courrier, ce qui était plus respectueux des finances du Sénat !
Nous avons rencontré les spécialistes de la santé, les professionnels et les autorités sanitaires. Afin d’avoir véritablement une vision globale d’un tel enjeu de société, nous avons également pris contact avec des psychologues, des sociologues et des historiens. Nous tenions à dépasser les aspects purement techniques et sanitaires de ce type de débat pour privilégier une approche extrêmement large, afin d’en éclairer les enjeux sociétaux, qui ont toute leur place dans notre hémicycle.
Force est de constater que l’apparence physique, aujourd’hui, n’est pas seulement une question de bien-être mais qu’elle constitue une véritable norme de société, aux impacts concrets et mesurables, par exemple, sur les taux d’embauche.
En outre, la mission commune d’information s’est inscrite dans un calendrier opportun. Son rapporteur, M. Bernard Cazeau, ira plus loin tout à l’heure dans l’analyse des dispositifs de sécurité sanitaire existants et nos recommandations. Vous verrez alors combien nous sommes dépendants des règles européennes, qui ont, jusqu’à présent, plutôt privilégié la libre circulation des biens et l’harmonisation par rapport à la sécurité sanitaire.
Nous avons la chance de nous inscrire dans un calendrier opportun, disais-je, puisque lesdites règles européennes sont aujourd'hui en cours de révision et donc de rediscussion.
À nous d’être force de proposition dans ce cadre. Nous pouvons proposer une voie médiane entre le système européen actuel et le système américain : le premier est parfois trop libre-échangiste mais se révèle un facteur d’innovations ; le second, que certains voient comme la solution idyllique, s’il laisse tout de même lui aussi passer de nombreux scandales, est plus sécurisant mais peut-être moins favorable à l’innovation. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’exigence d’innovation et l’impératif de sécurité.
Sécurité et innovation sont les termes clés de notre débat, deux principes qui doivent guider notre réflexion cette après-midi. La question est de savoir comment faire en sorte que des interventions non vitales soient encadrées de la plus haute exigence de sécurité, tandis que les interventions absolument vitales, elles, pourraient intégrer une prise de risque quelque peu supérieure.
Allant sur le terrain des propositions qui, normalement, sont du ressort de M. le rapporteur, je voudrais mentionner un sujet qui me tient à cœur : les perturbateurs endocriniens.
Voilà un peu plus d’un an, notre collègue Gilbert Barbier a consacré un rapport à ce sujet au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’en citerai simplement le titre : Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution.
On a coutume de dire que les dispositifs médicaux ne sont pas mieux encadrés que les jouets. C’est vrai pour le marquage « CE ». En matière de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, ou CMR, la situation est même pire : celles-ci sont interdites dans les jouets, y compris dans certains produits ludiques pour adultes, mais entrent toujours dans la fabrication des dispositifs médicaux.
Nous disposons aujourd’hui d’études précises, présentées par le docteur Cicolella dans le cadre des auditions que nous menons actuellement au Sénat sur la proposition de loi relative au bisphénol A, études soulignant l’impact sanitaire catastrophique de ces produits, tout particulièrement sur les fœtus et les nourrissons, donc sur les prématurés.
Aussi, lors de l’examen de ce texte, je vous proposerai qu’un tel produit soit exclu des dispositifs médicaux, notamment ceux qui touchent les prématurés et les nourrissons.
Je dirai un dernier mot sur l’esthétique.
Ce que nous avons découvert tout au long de nos travaux est assez inquiétant, pour ne pas dire parfois effrayant, en termes de pression sociale, de normalisation, de stratégies marketing. Cela ne fait que confirmer, malheureusement, ce que j’avais déjà souligné dans le cadre d’un précédent rapport consacré à l’hypersexualisation des enfants.
On pourrait s’interroger longtemps sur les motivations des personnes qui ont recours à la chirurgie ou à la médecine esthétiques. Nos auditions l’ont montré très clairement, toute moralisation est inutile et même totalement injuste. Je tiens vraiment à rappeler ce point au moment où s’ouvre le débat : la volonté de modifier les corps a existé de tout temps ; loin d’être un phénomène des temps modernes, un problème de sociétés « riches », il se développera inévitablement avec le vieillissement de la population et il faut même souhaiter que les techniques puissent être améliorées.
Il nous revient cependant, dans cet hémicycle, d’éclairer l’opinion, de clarifier les frontières entre l’esthétique et la médecine. Nous ne devons pas hésiter à interdire quand le risque sanitaire est avéré.
Mes chers collègues, je vous invite à un débat ouvert et pragmatique autour des propositions de M. le rapporteur, que je qualifie de très audacieuses : elles améliorent la sécurité sanitaire sans entraver les innovations « vitales », et la réglementation sans verser dans la moralisation. Une fois de plus, je n’en doute pas, le Sénat va montrer qu’il a un temps d’avance !