Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, ce débat vient, en quelque sorte, couronner le travail de la mission commune d’information sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, mission créée sur l’initiative de notre collègue Chantal Jouanno.
Vous ne l’ignorez pas, à l’origine de cette mission se trouve l’émotion suscitée par le scandale des prothèses PIP. Notre rapport a d’ailleurs montré combien cette triste affaire dépassait le simple cadre d’une fraude au gel de silicone pour atteindre l’ampleur d’un véritable scandale sanitaire. Les dernières données de matériovigilance publiées en juillet par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, nous apprennent que, au fur et à mesure des explantations, apparaissent des cas d’anomalies et de réaction inflammatoire plus importants que ceux qui étaient estimés. À la fin du mois de juillet, 12 345 Françaises – sur les 30 000 potentiellement concernées – avaient fait retirer leurs prothèses, dont 8 460 à titre préventif. Des anomalies ont été constatées dans 22 % des cas, soit près du quart des opérations. C’est beaucoup plus que ce qui avait été annoncé lorsque le scandale a éclaté.
Voilà qui n’est pas de nature à rassurer toutes les femmes qui souffrent, d’autant que la question de leur indemnisation n’est toujours pas réglée !
De nombreuses autres raisons justifiaient que le Sénat s’intéresse aux dispositifs médicaux. Lors de la discussion de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, plusieurs de nos collègues avaient prédit qu’ils seraient au cœur du prochain scandale sanitaire. Les faits nous ont malheureusement rapidement donné raison.
C’est donc avec la volonté de prévenir un nouveau scandale sanitaire que notre mission s’est attelée à un travail de fond. En l’espace de quatre mois, nous avons auditionné plus de cinquante institutions, associations ou entreprises, qui nous ont fait part de leurs préoccupations ou suggestions.
Vous le savez, l’autre versant du champ de compétence de notre mission concernait les interventions à visée esthétique. À ce titre, l’ampleur inédite de l’affaire PIP, qui s’est traduite par une couverture médiatique internationale sans précédent, a montré combien l’apparence et la beauté – fussent-elles artificielles – étaient devenues les préoccupations majeures, sinon essentielles, d’un grand nombre de nos contemporains.
Au-delà des interrogations relatives aux méthodes et aux enjeux du contrôle des dispositifs médicaux, cette affaire des prothèses PIP nous a donc conduits à nous interroger sur la réglementation des interventions à visée esthétique.
Au fil de nos travaux, et à force de constatations mettant en évidence, selon les cas, un caractère absurde, dramatique ou désolant, notre mission s’est attachée à formuler des propositions concrètes, avec un mot d’ordre : faire prévaloir la sécurité dès lors qu’il est question de santé publique.
On a déjà beaucoup parlé de notre recommandation visant à interdire les cabines de bronzage. Je n’en dirai donc qu’un mot : ces cabines sont aujourd’hui reconnues comme un facteur d’augmentation des pathologies cutanées, notamment de la plus grave d’entre elles, le mélanome. D’aucuns expliqueront que cette pratique provoque moins de morts que d’autres activités, comme la chasse ou la baignade. Les cabines, poursuivront-ils, sont moins nocives que le tabac, que personne n’a proposé d’interdire jusqu’à présent. C’est exactement le genre d’arguments entendus au Brésil lorsque ce pays a pris la décision d’interdire les cabines, à la fin de 2009 ! Les intérêts en jeu sont, il est vrai, loin d’être négligeables mais, comme l’a considéré la justice brésilienne, le droit à la santé doit prévaloir sur le droit au libre exercice de l’activité économique. Et l’interdiction est toujours en vigueur, en dépit de ce que certains voudraient nous faire croire…
Il faut donc placer la sécurité en tête de nos préoccupations. Mais comment faire ?
S’agissant des dispositifs médicaux implantables, la réponse n’est pas toujours évidente, car les nouvelles technologies contribuent à sauver des vies et à améliorer la qualité des soins. Je pense, par exemple, à l’essor de la cardiologie interventionnelle, qui permet de traiter des pathologies graves dans des conditions beaucoup moins lourdes que les techniques chirurgicales traditionnelles. Lorsqu’il y va de la vie du patient, sans doute faut-il privilégier la rapidité de mise sur le marché des dispositifs innovants, quitte à procéder à leur évaluation approfondie après implantation.
Cependant, hormis ces cas d’urgence, la sécurité doit prévaloir. L’exemple des prothèses PIP ou des prothèses de hanche DePuy a montré les graves défaillances des mécanismes de contrôle.
La Commission européenne a engagé une vaste réforme des directives relatives aux dispositifs. D’abord annoncée pour le printemps, cette révision de la réglementation européenne a abouti la semaine dernière, ce qui est important.
Je passe sur la proposition de règlement relative aux dispositifs de diagnostic in vitro, lesquels n’entraient pas dans le champ de la mission.
Pour ce qui est des dispositifs médicaux en général, sous réserve d’une analyse plus précise de la proposition de règlement, je note avec satisfaction que la Commission européenne partage les préoccupations exprimées par notre mission. Au début du mois de juin, Mme Jouanno et moi-même nous étions d’ailleurs rendus à Bruxelles pour nous entretenir avec le cabinet du Commissaire à la santé et avec les fonctionnaires de la direction générale intéressée. À cette occasion, nous leur avions fait part de notre volonté de voir la rigueur s’imposer à tous les niveaux afin de garantir la sécurité des malades.
D’une manière générale, la Commission reprend ce qui fut le leitmotiv de la mission tout au long de nos travaux : « renforcer sensiblement les contrôles pour garantir que seuls des dispositifs sûrs sont placés sur le marché de l’Union européenne et, dans le même temps, favoriser l’innovation et préserver la compétitivité du secteur des dispositifs médicaux ».
Les recommandations que nous avions faites sont reprises pour l’essentiel sous une forme ou sous une autre par la Commission.
Je citerai, notamment, la surveillance renforcée des organismes d’évaluation – jusqu’alors, ils faisaient un peu ce qu’ils voulaient ! - la multiplication des visites inopinées chez les fabricants – auparavant, ils étaient prévenus huit jours à l’avance, ce qui a permis l’affaire des prothèses PIP - l’accroissement des pouvoirs des organismes notifiés - ils exerceront des responsabilités et seront, semble-t-il, plus particulièrement surveillés - l’ouverture aux professionnels de santé et, élément très important, au public de la base de données européenne Eudamed à des fins d’information et de transparence sur les produits disponibles.
Je citerai également le renforcement de la traçabilité par l’introduction d’un système d’identification unique des dispositifs médicaux – pratique aujourd’hui très répandue, y compris aux États-Unis - l’intensification des exigences relatives aux preuves cliniques – en effet, faire des dispositifs médicaux sans jamais avoir de preuves cliniques va légèrement à l’encontre du dispositif sanitaire habituel !- l’amélioration de la coordination entre autorités nationales de surveillance, l’institution de règles de nature à prévenir le forum shopping, c’est-à-dire la possibilité offerte à un fabricant de changer d’organisme notifié comme bon lui semble - dans l’affaire des prothèses PIP, il y a eu changement d’organisme en cours de notification…
Dans le projet de la Commission, le changement nécessiterait un accord signé par les trois parties : le fabricant, l’ancien organisme notifié et le nouveau. L’accord emporterait l’abrogation du marquage de conformité délivré par l’ancien organisme notifié. Ce changement serait notifié à la Commission.
Encore une fois, attendons d’avoir le texte précis entre nos mains, mais le rapporteur que je suis ne peut s’empêcher de penser que nous avons fait œuvre utile.
Reste que l’objectif de la Commission européenne est d’aboutir à l’adoption du règlement d’ici à deux ans, pour une entrée en vigueur progressive entre 2015 et 2019, preuve que, à l’échelon européen, le rythme est encore plus lent que chez nous !
Ce qui ne nous empêche pas, madame la ministre déléguée, d’agir dès à présent, car tout ne se joue pas à Bruxelles, ce serait trop facile !
En matière de suivi des dispositifs après leur implantation, nous ne pouvons incriminer la réglementation communautaire. Si les défauts de conception des prothèses de hanche DePuy ont été détectés en Australie et en Suède, et non en France, c’est parce que nous ne tenons pas de registres exhaustifs des dispositifs.
Il est donc indispensable et urgent de repenser le système en rendant le recueil de données plus simple et en rappelant les professionnels de santé à leurs responsabilités en la matière. Car ils traînent des pieds ! On nous a opposé que la création de registres exhaustifs se heurtait aussi à des difficultés d’ordre juridique mais, nous l’avons vérifié, elles peuvent être surmontées.
Madame la ministre déléguée, quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre en ce domaine, qui me paraît fondamental ?
Dans le même ordre d’idées, il faut simplifier la déclaration d’incidents graves et accroître la transparence des liens d’intérêt, même si, en matière de dispositifs médicaux, les choses ne sont pas aussi simples que dans le domaine du médicament. En effet, les nouveaux matériels sont souvent développés en concertation avec une équipe médicale, voire sur son initiative. La loi « médicament » précitée contient des dispositions intéressantes ; on l’a vu cet été avec l’avertissement lancé par l’ANSM sur les sondes de stimulation cardiaque Somedics, apparemment commercialisées en dépit du retrait ou du non-renouvellement des certificats de marquage « CE » par son organisme notifié. Je souhaite bonne chance à ceux qui en sont porteurs !
D’ailleurs, preuve que les mécanismes existants peuvent fonctionner, l’ANSM a demandé, le mois dernier, la mise en quarantaine de l’ensemble des sondes de ce fabricant que les établissements de santé pourraient avoir en stock.
En outre, madame la ministre déléguée, je vous pose de nouveau la question : dans quel délai pourrons-nous disposer du rapport sur la sécurité des dispositifs médicaux prévu à l’article 41 de cette loi ?
J’en viens maintenant à l’esthétique.
Pour ce qui est de la chirurgie esthétique, la France fait figure d’exemple. Le délai de réflexion de quinze jours, l’interdiction de la publicité, l’encadrement des interventions sont des éléments essentiels dont plusieurs pays cherchent à s’inspirer.
En revanche, en matière de médecine esthétique, c’est la jungle ! Le marché est en forte croissance et de nouvelles techniques apparaissent sans cesse. Il y a quelques jours encore, un nouvel appareil est arrivé sur le marché, la « brosse vibrante antirides »…