Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour me féliciter de la tenue de ce débat, qui souligne la nécessité d'un dialogue entre le Gouvernement et le Parlement lorsque celui-ci s'est saisi d'un travail de contrôle et d'évaluation aussi important, et même indispensable. Je suis convaincu que ce dialogue nous permettra de formuler des propositions.
Abstraction faite des fantasmes que peut faire naître la passion qui entoure les agences de notation, il apparaît que la situation de ces entreprises n'est pas saine. Pourquoi ? Les agences de notation ne veulent toujours pas admettre que leur statut de simple donneur d'avis a changé. L'impact de leurs décisions sur les marchés est pourtant énorme. Et leurs erreurs, lorsqu'elles se produisent, ont des conséquences considérables.
Malheureusement, la liste de ces erreurs tend à s'allonger. Un des fiascos les plus retentissants en matière de notation a résidé dans l'incapacité des agences à prévoir la faillite de Lehman Brothers. Rappelons-nous que, quelques jours avant sa faillite, le 15 septembre 2008, Lehman Brothers, cinquième banque d'affaires américaine, était notée en catégorie « investissement » par les trois grandes agences de notation. Souvenons-nous également des subprimes, d'abord cotées unanimement triple A avant d'être considérées comme des junk bonds quelques mois plus tard, et entraînant alors une catastrophe économique et sociale aux États-Unis ainsi qu'un très fort traumatisme dans les banques de très nombreux pays.
N'oublions pas non plus l'incapacité des agences à détecter les fraudes chez Enron ou Parmalat. Standard & Poor's a d'ailleurs été condamnée en Italie pour ses erreurs dans l'affaire Parmalat.
De semblables dysfonctionnements ont été constatés pour les notations des dettes souveraines. S'agissant de la Grèce, par exemple, les agences ont péché par excès d'optimisme, et même par aveuglement, pendant les années 2000, ce qui les a contraintes, une fois la crise déclarée, à dégrader brutalement leurs notations, avec pour conséquence une nouvelle aggravation des difficultés du pays.
Enfin, le scandale des emprunts structurés, avec de fortes collusions entre les agences de notation et les banques qui confectionnaient et proposaient ces produits, a souligné la nécessité d'une forte évolution de la réglementation publique.
Dès lors que les notes ne sont plus de simples opinions, qu'elles révèlent le pouvoir majeur des agences de notation sur le marché, que leurs erreurs sont lourdes de conséquences, un vrai régime de responsabilité civile s'avère nécessaire. Pas de pouvoir sans responsabilité !
Comment expliquer que, l'affaire Parmalat mise à part, aucun procès en responsabilité intenté aux agences de notation n'ait abouti à des condamnations, alors même que des fautes étaient avérées ? Tout simplement parce que le droit ne le permet pas. Nous avons une amorce de responsabilité en France, mais certaines agences de notation – je pense à Moody's – s'efforcent d'imposer aux émetteurs français, notamment aux collectivités locales, de recourir à des contrats de droit anglais dans une tentative de « délocalisation par le droit ».
Le règlement européen en cours de discussion doit donc absolument conduire à une harmonisation européenne autour d'un vrai régime de responsabilité. C'est un point central, sur lequel nous alertons le Gouvernement. Les principes de ce régime de responsabilité seraient simples. Comme les clauses exonératoires, les clauses limitant le montant des dommages et intérêts doivent être interdites. Et quand un investisseur présente des éléments laissant présumer qu'une agence a commis une faute, il doit revenir à l'agence d'apporter la preuve contraire. C'est ce que l'on appelle l'inversion de la charge de la preuve.
Pourquoi inverser la charge de la preuve, monsieur le ministre ? Tout simplement parce que, désormais, grâce à un suivi systématique de leur processus de notation imposé par la régulation européenne, les agences de notation devraient être en mesure de justifier de la qualité de leur travail, alors que les émetteurs ou investisseurs lésés n'ont, par définition, pas accès aux données internes des agences.
Ce système supposerait que les agences de notation puissent faire face à d'éventuels contentieux, compte tenu du risque de condamnation. Un capital réglementaire minimal devrait donc être fixé par les autorités européennes, avec la souscription d'une assurance « responsabilité civile professionnelle » obligatoire.
La relation entre les émetteurs – ceux qui sont notés – et les agences de notation n'est pas saine non plus. Entreprises et collectivités locales se plaignent de la position dominante des agences. Par exemple, au début de l'année 2012, douze des plus grandes entreprises allemandes ont adressé un courrier à Standard & Poor's, dans lequel elles critiquaient le doublement des tarifs par rapport aux années précédentes.
Les entreprises françaises dénoncent, quant à elles, des distorsions de notation par rapport à leurs concurrentes, notamment américaines, avec en particulier un biais favorable aux normes comptables US GAAP. C'est ainsi qu'EADS a dû faire appel à un conseil en notation pour rétablir sa note, injustement fixée à BBB+, alors que Boeing bénéficiait d'un A+.
Pour assainir la relation entre émetteurs et agences, il faut imposer la transparence des frais payés et autoriser un « droit de réponse » des émetteurs sur leur note.
Les conflits d'intérêts posent également problème. Bien sûr, les conflits d'intérêts liés à la collusion entre banques et agences en matière de produits structurés sont désormais mieux surveillés, mais, dans ce domaine, rien ne changera vraiment si l'on ne change pas le modèle économique lui-même. Pour les produits structurés, nous devons passer à un modèle investisseur-payeur.
Enfin, la situation du marché de la notation est profondément aberrante. Le duopole constitué au niveau mondial par Standard & Poor's et Moody's est à l'origine d'une importante rente de situation. Elle permet à ces entreprises d'imposer aux émetteurs des tarifs extrêmement élevés si on les rapporte au nombre d'heures de travail effectives accomplies par les analystes pour chaque notation. Les barrières à l'entrée du marché de la notation sont difficiles à franchir. Or 64 % des investisseurs que nous avons interrogés demandent plus de concurrence, 25 % déclarant même en souhaiter « beaucoup plus ». Notre rapport suggère que les autorités nationales et européennes de la concurrence aient à vérifier que les trois grandes agences n'abusent pas de leur position dominante.
Nous appelons donc les autorités européennes à construire une stratégie pour faire face au quasi-duopole de Standard & Poor's et Moody's. Cependant, gardons-nous d'idées inopérantes car inefficaces. Ainsi, la stratégie actuelle des autorités européennes, qui consiste à privilégier la concurrence par de « petites agences », n'est pas convaincante dans la mesure où elle repose sur le mythe du renforcement mécanique de la concurrence.
Mme la présidente l'a rappelé, les autorités européennes ont enregistré des « petites agences » en nombre mais, comme il est peu vraisemblable que les émetteurs fassent spontanément appel à ces « petites agences » manquant d'expérience et de personnel qualifié, la Commission européenne propose désormais une mesure qui serait de nature à leur faciliter l'accès au marché : la rotation des agences, sur le modèle de ce qui existe pour les commissaires aux comptes. Cependant, le marché de la notation n'est pas celui du commissariat aux comptes, sur lequel cette pratique, ainsi que celle du co-commissariat, ont été introduites avec succès. En réalité, il y a peu à attendre de ce type de mesure : l'efficacité de la rotation de deux ou trois agences serait illusoire car dérisoire.
De la même manière, la création d'une agence publique européenne est une piste peu susceptible de prospérer dans le contexte actuel. Il est vrai que, sur le plan théorique, dès lors que l'on considère que la notation présente les caractéristiques d'un « bien public », la création d'une agence publique européenne est pleinement justifiée. Moody's a également soutenu la validité de cette idée. On pourrait imaginer le financement d'une agence publique par une taxe affectée, et opter pour une forme juridique appropriée – celle de la fondation – afin d'éviter les conflits d'intérêts.
Cependant, dans le contexte actuel, marqué par la crise de la dette souveraine, la création par les États de ce qui serait considéré comme « leur agence », exprimant donc « leur voix », susciterait un fort soupçon de la part des marchés. En outre, pour jouer un rôle mondial, cette agence devrait obtenir l'accréditation de la SEC, la Securities and Exchange Commission américaine.
(À suivre)